Chapitre 2
Proust m'a réconcilié avec le caractère divers des choses. La parfaite constance avec laquelle le narrateur nous met à disposition toutes ces choses qu'il voit, qu'il sent, qu'il imagine, son impeccable ponctualité dans l'expression — on peut dire qu'il n'est jamais en retard ni en avance sur ce qu'il exprime — selon laquelle il semble toujours tout dire à point nommé sans scrupules ni remords, l'absence de division intérieure dont tout cela témoigne permet à Proust d'évoquer les choses dans leur diversité sans que nous en ressentions de la fatigue, du découragement.
Longtemps, je m'étais trouvé écrasé par la perspective de tout ce qu'il était possible de faire, d'éprouver dans le monde. Je ne pouvais pas considérer cette perspective sans y voir l'absence ou l'abolition de toute possibilité d'avoir la paix. Je ne dirais pas que Proust a résolu tout seul ce problème pour moi, mais l'indifférence avec laquelle il semble envisager le passage du temps, la succession des états d'âme, la force qu'a l'air de lui procurer cette indifférence dans, justement, la représentation même de ces processus, ont participé à m'affranchir de mes désagréables considérations.
Étrange idée que celle de diversité. Au niveau du sens, on peut dire qu'elle contient à la fois l'idée de l'unité et cette de la multiplicité : une seule chose peut être diverse en elle-même, par ses expressions ou dans le temps, par exemple dans la phrase d'Anatole France (citée par le CNRTL sur la page de l'adjectif divers) : « L'enthousiasme est abondant et divers dans une âme de vingt ans. » Ce serait une bonne manière de qualifier la littérature de Proust : diverse. D'autant plus que l'adjectif évoque aussi cette idée d'indifférence dont je parlais plus haut : lorsqu'on dit qu'on a fait diverses choses, cela veut un peu dire qu'au fond, peu importe ce qu'on a fait.
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