Chapitre 3 : Escale sur Stillburg

11 minutes de lecture

L’Alcazar avançait dans l’immensité calme de l’espace, ses réacteurs rugissant alors que la planète Stillburg apparaissait à l’horizon, flottant dans le vide comme un mirage de métal et de chaos. Les membres de l’équipage se préparaient à poser pied sur le repaire de pirates le plus notoire de toute la galaxie. Stillburg, une planète où les lois étaient aussi inexistantes que les bonnes intentions.

Stillburg, située dans une nébuleuse à peine chartée, était un empilement de plateformes métalliques géantes suspendues au-dessus d’une mer luminescente. La géographie de la planète était aussi chaotique que la population qui l'habitait. Les cartographes évitaient de s'y aventurer, préférant laisser ce coin de l’espace dans l’oubli, et avec une bonne raison : personne ne savait ce qu’il y avait sous cette mer étincelante. Mais la question importait peu ici, car, comme l’auraient dit les pirates locaux, « mieux vaut ne pas savoir ».

Les habitations sur Stillburg ressemblaient à un enchevêtrement de dômes lumineux et de tours torsadées, où chaque étage abritait un bar bruyant, un atelier de contrebande ou un casino intergalactique où l’on jouait avec des règles inventées sur le moment. Les "rues", si l’on pouvait appeler cela ainsi, n’étaient en réalité que des passerelles en lévitation. Il suffisait d’une fausse manœuvre ou d’une distraction pour tomber dans le vide, mais cela ne semblait pas déranger les habitants qui se déplaçaient à travers cette ville volante avec une nonchalance étonnante.

Les pirates, mercenaires et autres aventuriers de l’espace se côtoyaient dans un déluge de bruits, de rires et de cris. Des tricornes à l’ancienne vissés sur des têtes couronnées de prothèses cybernétiques dernier cri. L’ambiance était une fusion de fêtes exubérantes et de bagarres générales, où la boisson coulait à flots et où la majorité finissait par trinquer, parfois dans un sens littéral.

Jed et Luisa se retrouvèrent au cœur du marché local, un bazar qui dégageait une odeur de métal chaud et de marchandises douteuses. Les étals étaient remplis de pièces détachées pour vaisseaux volés, d’animaux exotiques aux yeux luisants qui bougeaient dans des cages transparentes, et de tissus brillants qui se frayaient un chemin à travers la foule bruyante. Luisa, les yeux écarquillés par la scène qui se déroulait devant elle, jeta un regard furtif à Jed. Les deux femmes étaient ici pour trouver des pièces de rechange pour leur vaisseau, des fournitures pour la cuisine de Luisa, et peut-être, obtenir des informations sur la mystérieuse carte menant à l’Étoile d'Azura.

— C’est exactement le genre d’endroit où les bonnes affaires n’existent pas, murmura Luisa, jetant un coup d’œil à un étal où un commerçant vendait des armes dans une caisse en bois, comme si de rien n'était.

— Les bonnes affaires, c’est pour les amateurs. Ici, faut savoir comment négocier, répondit Jed, son regard passant de stand en stand. Elle s'arrêta un instant devant un vendeur qui semblait plus intéressé par sa boisson que par la transaction en cours.

Luisa s’approcha d'un autre commerçant qui, contrairement à beaucoup d'autres, avait une étiquette de prix plutôt... intéressante.

Le marché de Stillburg, malgré sa réputation de lieu d’échanges louches et de transactions en tout genre, offrait aussi des trésors cachés pour ceux qui savaient où chercher. Au milieu de l’agitation, Luisa s’éloigna un instant de Jed pour fouiller parmi les étals qui proposaient des ingrédients exotiques venus des coins les plus reculés de la galaxie. Un petit coin de paradis pour une cuisinière passionnée comme elle.

Elle s’arrêta devant un stand aux étagères pleines de sacs et de boîtes en tout genre. Le vendeur, un vieux kaelorien avec ses tatouages tribaux, la salua d’un sourire édenté.

— Ah, une connaisseuse ! Tu cherches des épices, des herbes ou des mets frais ? J’ai ce qu’il faut pour faire tourner les papilles, dit-il avec un accent qui sentait l’aventure.

Luisa jeta un coup d'œil aux étalages. Là, entre des sacs de riz galactique et des racines de plantes rares, elle aperçut ce qu’elle cherchait : des piments d’une couleur éclatante, aussi rouges que des étoiles naissantes, et des fruits exotiques au parfum épicé qui embaumaient l’air d'une chaleur presque palpable.

— Ces piments… d’où viennent-ils ? Ils ont l’air d’avoir du caractère, demanda-t-elle en examinant de plus près un panier débordant de petites capsules vibrantes.

— Ah, ces piments viennent de Kaelora, ma chère. Ça, c’est pour les plats qui réchauffent le cœur, répondit le vendeur avec un clin d'œil. Une pincée, et même le plus gelé des chasseurs de trésors retrouvera la chaleur de son chez-soi.

Luisa sourit. Elle savait exactement quoi en faire. Un bon chili, épicé et réconfortant, serait parfait pour ce soir. Elle se tourna vers d'autres étals, où elle trouva de la viande de drakar (une bête à six pattes qu’on cuisait lentement à la broche, quand on en avait une sous la main) et des haricots d’Andromède, petits et tendres, qui se marieraient à la perfection avec son plat. L’idée de préparer un tacón de drakar aux épices chaudes n’avait jamais paru aussi tentante. Il y avait aussi une étagère remplie de pommes de terre et de poivrons verts qui rappelaient à Luisa les repas de son enfance sur Terre.

— Je vais prendre ces piments, ces haricots, et un peu de viande de drakar, dit-elle en comptant ses galions avec soin. Et peut-être un peu de cet assaisonnement... je pourrais faire un gâteau de maïs pour le dessert.

Le vieux kaelorien hocha la tête et commença à remplir son sac, tandis que Luisa, toute joyeuse de pouvoir préparer un repas réconfortant, sentait déjà l’odeur des épices emplir la cuisine de l'Alcazar. Rien de tel qu’une soupe de poulet d’Andromède pour détendre l’équipage après une longue journée de tension. Ou peut-être un ragoût d’aubergines avec des légumes anciens pour rappeler les saveurs de son pays. Cuisiner était son échappatoire, son moyen à elle de rassembler l’équipage autour d’un repas chaleureux, même dans un coin aussi excentrique et débridé que l’Espace.

Quand elle retourna vers Jed, un sac rempli de provisions, elle se permit un sourire satisfait.

— On va bien manger ce soir, dit-elle en secouant le sac. J’ai de quoi concocter un repas digne de ce nom. Si on ne trouve pas de carte, au moins on aura quelque chose qui réchauffe l’âme.

Jed leva les yeux au ciel, mais un sourire se dessina sur ses lèvres.

— On va voir ce que tu peux faire avec tout ça. En attendant, j’espère que ton enthousiasme saura tenir tête aux… mercenaires qui semblent se préparer pour une fête.

Luisa haussa les épaules, un éclat malicieux dans les yeux.

— Quoi qu’il en soit, je pense que ma paëlla cosmique va bien leur plaire. Personne n’a jamais refusé une bonne portion de soleil, même dans un endroit aussi… particulier.

Les deux femmes s’éloignèrent du marché, Jed s’assurant que personne ne les suivait, tandis que Luisa imaginait déjà les repas réconfortants qu’elle allait préparer pour l’équipage. Après tout, dans l'univers impitoyable de Stillburg, c'était peut-être le seul endroit où l'on pouvait encore trouver un peu de chaleur, au sens propre comme au figuré.

Luisa demanda à Jed si elle avait trouver ce qu’elle cherchait.

— Tu penses que c’est là qu’on va trouver ce qu'on cherche ? demanda-t-elle.

— Pour le vaisseau c’est tout bon, enfin j’espère. Par contre je n’ai rien réussi à glaner sur ce fichu fragment de carte, j’espère que les autres n’auront pas fait chou blanc, répondit Jed, avant de s’éclipser dans la foule avec Luisa, espérant que leur présence passerait inaperçue. Mais c’était sans compter sur l'œil aiguisé des mercenaires de la compagnie Eclipse.

Un cri s'éleva dans le marché, rapidement suivi de plusieurs autres. Deux mercenaires armés s’étaient rapprochés, leurs regards fixant intensément Jed et Luisa. Leurs armes étaient prêtes, leurs intentions, tout sauf amicales.

— Je crois qu'on a attiré l’attention, murmura Luisa, avant de sortir un petit gadget de sa ceinture. Un bouclier temporaire se déploya autour d'elles, juste à temps pour bloquer les premiers tirs.

— Mauvaise idée, répondit Jed avec un sourire en coin, ses couteaux déjà en main.

Les mercenaires s’élancèrent vers elles, mais ils n'avaient pas prévu la rapidité de Jed. En un éclair, elle s’élança, ses couteaux en mouvement parfaitement coordonnés. Un des mercenaires tomba au sol, un sifflement d'air traversant la plateforme sous lui. Luisa, quant à elle, saisit le premier objet qu’elle trouva – un bonbonne en métal vide – et frappa violemment l'autre assaillant, l’envoyant dans un tas de pièces détachées.

Les deux femmes se redressèrent rapidement, jetant un coup d’œil furtif autour d’elles. La scène était déjà en train de dégénérer. Des mercenaires supplémentaires commençaient à se diriger vers elles, et la tension était palpable.

— On va devoir courir, dit Luisa, mais son regard était déjà fixé sur un étal un peu plus loin. Je crois que je viens d’avoir une idée.

Jed suivit son regard, perplexe. L’étal en question débordait de vêtements amoncelés, une véritable explosion de tissus criards, d’accessoires improbables, et d’uniformes dépareillés qui semblaient avoir été abandonnés par des équipages de pirates depuis des siècles. Le vendeur, une créature trapue, était occupé à discuter avec un client particulièrement difficile.

— Tu plaisantes ? grogna Jed.

— Pas du tout. Luisa lui saisit la main et l’entraîna vers l’étal. Elle attrapa rapidement deux capes longues, l'une noire et l'autre d’un gris métallique, et un vieux chapeau large orné d’un plumeau holographique clignotant. Enfile ça.

— Tu veux que je ressemble à un clown interstellaire ?

— Non, je veux qu’on ressemble à des pirates ordinaires. Tu as vu combien ils sont ici avec des accoutrements aussi tape-à-l’œil ? Personne ne fait attention à eux, parce qu’ils sont partout. Ça nous rend invisibles.

Jed soupira mais comprit l’idée. Elle enfila la cape noire et rajusta le chapeau tandis que Luisa se couvrait avec la cape grise, rabattant la capuche pour masquer son visage. Elles récupérèrent également des masques de filtre à oxygène aux reflets changeants pour cacher leurs traits. Avec un peu de chance, leurs poursuivants n’arriveraient pas à les reconnaître dans la foule bariolée.

— Et maintenant ? demanda Jed en resserrant la ceinture de sa cape. On a l’air de sortir d’un carnaval, mais ça ne nous aide pas à quitter le marché.

Luisa jeta un coup d’œil autour d’elle et pointa un groupe de drones de transport qui déchargeaient des caisses près d’une passerelle.

— On grimpe sur ces drones. Ils partent vers la plateforme sud, c’est là que nous avons garé le vaisseau, non ?

Jed écarquilla les yeux. T’es sérieuse ? C’est n’importe quoi, et ils n’ont pas l’air de transporter des passagers clandestins.

— Tu as une meilleure idée ? Luisa haussa les épaules tout en commençant à se diriger vers les drones.

Jed hésita une seconde avant de la suivre. Elles attendirent le bon moment, se cachant derrière un chariot renversé pendant que les drones étaient brièvement laissés sans surveillance. Quand l’un des engins s’éleva doucement dans les airs, Luisa sauta agilement sur la plateforme arrière, tendant la main à Jed pour l’aider à grimper.

— Tu aurais dû être acrobate, murmura Jed en s’accroupissant pour ne pas être repérée.

— Ou pilote, mais ça, c’est une autre histoire. Luisa sourit avant de rajuster sa capuche.

Les drones les emmenèrent au-dessus des ruelles chaotiques du marché. Depuis leur position, elles pouvaient voir la foule en contrebas, y compris les mercenaires qui semblaient toujours les chercher frénétiquement.

— Ils ne nous trouveront jamais ici, murmura Jed.

— Encore faut-il qu’on arrive à descende sans s’écraser, répondit Luisa, jetant un regard inquiet à l’horizon où les gratte-ciels en forme de soucoupes se faisaient de plus en plus imposants.

En approchant d’une plateforme d’atterrissage déserte, Jed eut une idée. Elle désigna une série de conteneurs empilés à proximité.

— On saute là-bas. Les conteneurs sont marqués pour une livraison à la baie marchande près des quais. Si on se cache dedans, ils nous mèneront directement à notre vaisseau.

Luisa hocha la tête. Sans hésiter, elles bondirent du drone, atterrissant sur le sommet d’un conteneur dans un bruit sourd. Elles glissèrent à l’intérieur par une trappe latérale laissée ouverte, leur respiration haletante mais soulagée.

— Et maintenant ? souffla Luisa dans l’obscurité.

— Maintenant, on attend. Ces conteneurs bougent vite. Avec un peu de chance, on sera près de l’Alcazar avant qu’ils remarquent qu’on a disparu.

— Et si on est pris ? demanda Luisa, avec un mélange d’amusement et d’inquiétude.

Jed dégaina un couteau, un sourire en coin.

— Alors, tu peux nous cuisiner un dernier repas. Moi, je m’occupe du reste.

Dans le silence tendu du conteneur, un éclat de rire étouffé résonna. Malgré le chaos, elles jouaient pour gagner.

***

La Taverne des Trous Noirs grouillait de vie. Des pirates, mercenaires et contrebandiers se pressaient autour des tables bancales, échangeant anecdotes, marchandises, et parfois des coups de poing. Dean, toujours impeccable malgré le chaos ambiant, traversa la salle d’un pas assuré. Son manteau noir voletait derrière lui, attirant quelques regards intrigués.

Il repéra Rhozan, un vexalisien trapu à la peau rouge, installé au bar, un verre de Flamme Stellaire fumant dans ses mains.

— Rhozan, appela Dean en s’accoudant au bar à ses côtés. Toujours fidèle à ton poison préféré.

Rhozan leva ses yeux reptiliens et éclata de rire en découvrant le visage de Dean.

— Dean ! Si tu viens traîner ici, ça veut dire que tu es dans une sale affaire. T’as ce regard de mec qui cherche des réponses mais qui va finir avec des emmerdes.

Dean fit signe au barman de lui servir un Earl Gray, vestige de la vie sur Terre.

— Tu me connais trop bien, Rhozan. J’ai besoin d’informations, et je sais que tu es l’un des seuls à pouvoir m’aider.

Rhozan haussa un sourcil. Oh, c’est flatteur, ça. Mais ça dépend de ce que tu cherches. Si c’est encore un coup foireux impliquant des artefacts anciens, je préfère te prévenir : ça attire les ennuis.

Dean esquissa un sourire. C’est exactement ce que je cherche. Des fragments de carte. Anciens, mystérieux, et liés à quelque chose d’important.

Le rire de Rhozan s’éteignit aussitôt. Il posa son verre et s’assit bien droit, comme pour jauger la gravité de la situation.

— Une carte, hein ? Laisse-moi deviner. Tu cherches ces fragments dont on dit qu’ils mènent à l’Étoile d’Azura ? demanda-t-il à voix basse, ses yeux scrutant les alentours.

Dean plissa les yeux, intrigué.

— Donc tu sais quelque chose. Parle, Rhozan. Je peux te payer.

Rhozan grogna, visiblement partagé.

— L’argent, c’est une chose. Mais tu sais ce que disent les légendes sur l’Étoile, non ? Ceux qui la cherchent attirent la mort. Ou pire.

Dean s’approcha, posant une main ferme sur l’épaule de son ami.

— Depuis quand tu crois aux légendes, Rhozan ? J’ai besoin d’une piste, pas de tes superstitions.

Rhozan soupira et vida son verre d’une traite. Très bien. Mais ce que je te dis, tu l’as pas entendu de moi. Il se pencha et poursuivit à voix basse :

— Un entrepôt. Plateforme 72-B, à la périphérie de la ville. Les gars qui traînent là-bas... disons qu’ils collectionnent des choses qui brillent et qui attirent les curieux.

Dean haussa un sourcil.

— Et je suppose qu’ils ne me dérouleront pas le tapis rouge ?

Rhozan esquissa un sourire carnassier.

— Non. Mais t’as l’air d’aimer les défis. Fais attention, Dean. Ces gars-là ne plaisantent pas, et si tu tombes sur un fragment de carte là-bas, c’est que quelqu’un d’encore plus dangereux le voulait aussi.

Dean hocha la tête, glissant quelques galions sur le comptoir pour payer la tournée.

— Merci, Rhozan. Tu sais, c’est toujours un plaisir de te voir.

Rhozan ricana.

— Le plaisir est pour moi, mon vieux. Mais si tu te fais descendre, ne viens pas me hanter.

Dean lui adressa un sourire narquois en quittant la taverne, prêt à affronter les dangers que Stillburg avait à offrir.

Annotations

Vous aimez lire Mila Blackwater ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0