Chapitre 5 : Une galaxie en flamme
L'Alcazar fendait l'obscurité spatiale, ses moteurs ronronnant comme un prédateur à l'affût. Dans la cabine de pilotage, Eagle et sa sœur Esmeralda, les navigateurs , scrutaient un champ de débris flottants. Ils entreraient prochainement dans le système solaire d'Hadrion, en pleine guerre entre la Confédération Zantorienne et l'Alliance d'Orkannis.
— Ah, l'odeur de la diplomatie galactique, plaisanta Eagle en esquivant une carcasse de frégate fumante.
L'Alcazar glissait dans l'immensité de l'espace, se rapprochant du champ de bataille cosmique où chaque seconde semblait durer une éternité. Les explosions illuminaient le vide, jetant des ombres mouvantes sur les parois de la salle de commandement. Tony observait les trajectoires ennemies sur l'hologramme central, son visage fermé et déterminé.
— Esmeralda, positionne-nous à trois cent de ce croiseur. Eagle, garde le cap et surveille les intercepteurs.
— Je vois tout, capitaine. répondit Eagle, d'une voix calme et maîtrisée, ses doigts volants sur les commandes. Ses yeux analysaient chaque mouvement, chaque variable, sans une seule seconde de panique.
Esmeralda, à ses côtés, était tout son contraire : vive, réactive, presque nerveuse.
— Ils sont sur nous, Eagle ! Une patrouille d'intercepteurs arrive à toute vitesse, et si on reste ici, on va finir en cratère flamboyant !
— Je gère, Esmée, rétorqua Eagle avec un calme exaspérant, ajustant les propulseurs pour un virage serré qui les fit frôler un astéroïde géant.
Dans la salle des armes, Yvan Dubois, restait imperturbable malgré les secousses. Grand, imposant, et d'un sérieux à toute épreuve, il superviserait les tactiques défensives.
— Howard, prépare les canons latéraux. Cible leurs propulseurs pour les ralentir, ordonna Yvan d'une voix grave et autoritaire.
Howard, le géant jovial, éclata de rire en ajustant les coordonnées de tir.
— Tu sais que je peux viser leur poste de pilotage aussi, juste pour leur apprendre à ne pas nous courir après.
— Fais ce que je dis, Howard, ou je te fais faire des pompes à gravité zéro jusqu'à la fin de la semaine.
— Ça va, ça va ! Mais si je les touche avec panache, tu me paies un verre après !
Sur la passerelle, une alarme retenti. Esmeralda bondit sur ses commandes, furieuse.
— On a une mine cinétique sur notre trajectoire !
Tony, sans perdre son sang-froid, donna ses ordres :
— Eagle, tourne à quatre-vingt-dix degrés et passe à pleine vitesse. Esmeralda, largue un leurre. Yvan, prépare les boucliers secondaires.
Le vaisseau vira soudain, provoquant le leurre qui explosa de justesse derrière eux. L'onde de choc les propulsa en avant, mais les boucliers tinrent bon.
— Pas mal, capitaine, lança Howard dans le communicateur, en pleine euphorie. Mais la prochaine fois, peut-être qu'on pourrait éviter les explosions sur la trajectoire ?
Yvan leva les yeux au ciel, mais un sourire discret étira ses lèvres sévères.
Tony regarda l'hologramme tactique, où une corvette ennemie bloquait leur passage.
— On ne passera pas en force, murmura-t-il. Esmeralda, quelles sont nos options ?
— On peut utiliser les astéroïdes comme couverture. Mais c'est risqué, on n'a qu'un mince passage.
— Risqué, c'est notre spécialité, intervint Eagle avec un grand sourire.
— Yvan, prépare les équipes au combat rapproché au cas où, ordonna Tony.
— Toujours prêts, capitaine, répondit Yvan.
L'Alcazar plongea dans le champ d'astéroïdes, ses moteurs rugissant à pleine puissance. Eagle guida le vaisseau avec une précision presque surnaturelle, esquivant les rochers géants et les tirs ennemis. Esmeralda surveillait les intercepteurs, les mains prêtes à activer les contre-mesures à la moindre alerte.
— J'ai une ouverture, annonce Eagle calmement.
— Alors prends-la, répondit Tony.
L'Alcazar jaillit du champ d'astéroïdes, ses propulseurs illuminant l'espace. Derrière eux, la corvette ennemie essuya une volée de tirs bien placée de Howard, ralentissant sa poursuite.
— Et voilà pourquoi on est les meilleurs, déclare Esmeralda avec un clin d'œil.
Tony, les bras croisés, observaient les étoiles qui défilaient à travers la verrière. Ils avaient survécu à cette épreuve, mais il savait que d'autres dangers les attendaient.
— En avant pour la station de ravitaillement, dit-il. On n'a pas fini de se battre.
***
Jed s'était glissée dans la salle des machines juste après la traversée tumultueuse du champ d'astéroïdes. L'air y était saturé d'une odeur de métal chauffé, et les vibrations constantes du moteur principal lui procuraient une étrange forme de réconfort. Elle passa en revue les circuits et les valves, plus par habitude que par nécessité. Après une telle épreuve, l'Alcazar méritait une attention minutieuse.
Mais en vérité, c'était son esprit, et non les machines, qu'elle tentait d'inspecter.
Elle s'appuya contre une rambarde, fixant du regard les engrenages qui tournaient avec une régularité apaisante. Les événements de ces derniers jours tournaient en boucle dans sa tête. Tony, le capitaine charismatique, avait une manière de galvaniser l'équipage, de transformer même les situations les plus désespérées en victoire. Il était une force brute de la nature, un leader né.
Elle se surprit à sourire en pensant à la façon dont il se tenait sur la passerelle, donnant ses ordres avec une autorité inébranlable. Il incarnait tout ce qu'elle admirait : la détermination, la vision, et cette lueur de défi dans ses yeux, comme s'il savait que rien ni personne ne pourrait jamais le vaincre.
Mais Dean...
Elle inspira profondément, les pensées se bousculant dans sa tête. Dean était très différent. Réfléchi, calme, et avec cette capacité presque surnaturelle à la comprendre sans qu'elle ait besoin de dire un mot. Dans la salle de navigation, leurs esprits s'étaient accordés comme les pièces d'un mécanisme parfaitement huilé. Il avait une façon de faire jaillir sa créativité, de l'encourager à voir au-delà de l'évidence, et elle ne pouvait nier l'électricité dans l'air quand leurs regards se croisaient.
Elle passe une main dans ses cheveux roux, frustrée par ses propres émotions.
— Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? murmura-t-elle à voix basse.
Pourtant, elle savait bien qu’il n’était pas question de bien ou mal. C'était cette dualité qui la troublait. Tony était le capitaine, un homme de passion et de puissance. Dean, lui, était l'ancre dans la tempête, celui sur qui elle pouvait compter pour trouver un chemin quand tout semblait perdu.
Elle se détourna de la rambarde, attrapant un tournevis qu'elle fit virevolter distraitement entre ses doigts. Son cœur pesait lourd, tiraillé entre ces deux hommes qui représentaient des forces si différentes mais tout aussi captivantes.
« Je vais devenir folle à ce rythme... »
Un rire amer échappa de ses lèvres. C'était idiot, vraiment. Ils étaient en train de sillonner une galaxie déchirée par la guerre, à la recherche d'un artefact mythique qui pourrait tous les mettre en danger. Et voilà qu'elle, Jed, la mécanicienne professionnelle, était distraite par des sentiments qu'elle n'avait pas demandé à ressentir.
Elle reposa le tournevis et rangea sa boîte à outils.
« Il faut que je parle à Luisa », se dit-elle.
Luisa était sa meilleure amie, son roc, et aussi celle qui n'avait jamais peur de lui dire ses quatre vérités. Si quelqu'un pouvait l'aider à démêler ce chaos émotionnel, c'était bien elle.
Jed jeta un dernier coup d'œil aux moteurs. Tout semblait en ordre, du moins ici. Car dans son cœur, rien n'était à sa place.
Elle quitta la salle des machines, plus déterminée que jamais à chercher un peu de clarté dans ce tumulte intérieur. Parce que, quoi qu'il arrive, une chose était certaine : elle ne pouvait pas se permettre de perdre son sang-froid. Pas maintenant.
***
Tony était assis à son bureau, le regard rivé sur une carte holographique qu'il ne regardait pas vraiment. Lorsque Dean frappa à la porte de sa cabine, il répondit d'un ton neutre :
— Entre.
Dean s’exécuta, refermant soigneusement la porte derrière lui. Tony leva les yeux vers son second, son expression indéchiffrable, mais ses doigts tapotaient légèrement la table.
— Tu voulais me voir, capitaine ? demanda Dean, toujours calme, bien que le ton de Tony lui ait paru étrangement tendu.
— Hmm, marmonna Tony en s'appuyant contre le dossier de sa chaise. Je voulais te parler... d'un sujet un peu délicat.
Dean haussa un sourcil, mais ne dit rien, attendant que Tony poursuive.
— Ça concerne Jed, lâcha finalement Tony, les mots prononcés avec une pointe de dureté qu'il s'efforça de dissimuler. Je ne sais pas exactement ce qu'il se passe entre vous deux, mais je préfère que ça reste en dehors du vaisseau. Elle a un rôle crucial ici, tout comme toi, et je ne veux pas que... cette complicité devienne une distraction.
Dean croisa les bras, prenant soin de rester impassible, mais il sentit un picotement familier, celui d'une confrontation inévitable.
— Avec tout le respect que je te dois, capitaine, Jed est plus que compétente. Rien de ce qu'il y a entre elle et moi n'affectera son travail, ni le mien.
Tony se pencha légèrement en avant, ses coudes sur le bureau.
— Et c'est quoi exactement, ce qu'il y a entre vous deux ?
Dean hésita une fraction de seconde, mais il n'était pas du genre à cacher la vérité, même si cela risquait de compliquer les choses.
— Elle me plaît, Tony.
Le capitaine resta figé un instant, comme s'il s'était pris un coup qu'il n'avait pas vu venir. Il se redressa lentement, croisant les bras à son tour.
— Tu te rends compte de ce que tu me demandes, là ? Elle fait partie de l'équipage. On a des règles, Dean, des principes. Je ne veux pas que ça dégénère ou que ça envoie le mauvais message au reste de l’équipe. Bien qu'on soit des pirates, je tiens à ce que nos valeurs soient respectées à bord de ce vaisseau.
Dean resta stoïque, mais ses mots étaient clairs et directs.
— Je suis conscient des risques. Mais je pensais que tu comprendrais, toi, mieux que quiconque. Je te respecte, Tony, et je veux ta bénédiction... ou au moins savoir que ça ne changera rien à notre amitié ou à nos rôles ici.
Tony détourna le regard, fixant un point invisible sur le mur. L'amertume dans son expression était évidente, même s'il essayait de la cacher sous un masque de professionnalisme.
— Tu demandes beaucoup, Dean, dit-il finalement. Et pour être honnête, je ne sais pas si je peux te la donner. Mais je te dis ceci : Jed est essentielle à ce vaisseau. Si tu compliques sa vie ou son travail, je ne le tolérerai pas. Tu restes mon lieutenant, et je ne veux pas que cette histoire finisse par nous coûter plus qu'elle ne vaut.
Dean hocha lentement la tête, lisant entre les lignes. Tony était jaloux, même s'il ne le disait pas. Une tension qu'ils n'avaient jamais connue auparavant s'installait entre eux.
— Message reçu, répondit Dean, sa voix calme mais teintée d'une fermeté tranquille. Mais ça ne change rien pour moi.
Tony ne répondit pas, se contentant de le regarder partir. Lorsque la porte se referma derrière lui, le capitaine serra les poings. Une chose était certaine : leur amitié venait de prendre un coup qu'aucun d’eux n'avait vu venir.
***
Plus tard, alors que l'Alcazar s'éloignait de la zone de guerre, Jed rejoignit Luisa dans la cuisine. Les odeurs réconfortantes de paëlla épicée emplissaient l'espace.
— Luisa, commença Jed en s'asseyant sur un tabouret. J'ai besoin de ton avis sur quelque chose.
Luisa, qui goûtait sa préparation, posa sa cuillère avec un sourire.
— Ah, des affaires de cœur ? Tu m’en diras tant.
Jed grimaça.
— Comment tu fais pour tout deviner ?
— Jed, ma chérie, je suis la personne a qui on vient toujours raconter les histoires de cœur sur ce vaisseau. T’es pas la première, tu seras pas la dernière. Alors, dis-moi tout.
Jed hésita, enroulant une mèche de cheveux roux au bout de son doigt.
— Dean, il est… différent. Il est calme, intelligent, et je me sens bien quand je travaille avec lui. Mais Tony… il a ce côté charismatique, ce truc qui fait qu'on veut le suivre jusqu'au bout du monde. Je ne sais pas quoi penser.
Luisa éclata de rire.
— Ah, le classique triangle amoureux, et tu fais pas les choses à moitié, tu vas chercher le haut du panier. Écoute, chérie, le plus important, c'est de savoir ce que TOI tu veux. Pas qui ils sont, mais ce que tu ressens. Tu n'es pas obligée de choisir maintenant. Profite du moment.
Jed acquiesça lentement, ses pensées toujours embrouillées.
— Merci, Luisa. Tu es une amie précieuse.
Luisa haussa les épaules avec un sourire.
— Précieuse, et toujours là quand il faut te rappeler de vivre l'instant. Maintenant, goûte ça et dis-moi si j'ai mis trop de piment.
Jed prit la cuillère tendue par Luisa avec un mélange d'appréhension et de curiosité. La vapeur du plat montait, chargée d'arômes qui rappelaient la Terre.
— Trop de piment ? Elle arqua un sourcil moqueur. C'est un peu ton truc, non ? Faire transpirer tout le monde avec tes recettes.
— Eh bien, disons que j'ai peut-être… eu la main un peu lourde, cette fois. Luisa croisa les bras, un sourire en coin, accompagnant le verdict.
Jed goûta une bouchée, et aussitôt, ses yeux s'écarquillèrent. Elle lâcha un petit toussotement, sa main battant l'air comme si cela pouvait éteindre le feu qui s'allumait dans sa bouche.
— Oh, bon sang, Luisa ! T'as cuisiné ça pour nous ou pour des dragons ?
Luisa éclata de rire, attrapant un verre d'eau et le tendant à Jed.
— Désolée, je voulais juste ajouter un peu de caractère à cette paëlla. Tu sais, pour réchauffer l'ambiance…
— Si ça, c'est réchauffer l'ambiance, alors je crains le jour où tu voudras allumer un incendie ! Jed reprit son souffle, un sourire s'étirait sur ses lèvres. Bon, à part l'effet volcanique, c'est délicieux.
Luisa pose une main sur sa hanche, fière.
— Ha, je savais que tu aimerais. Et entre nous, c'est comme ça qu'on affronte les journées difficiles : un bon repas épicé pour garder le moral.
Jed hocha la tête, son regard se perdant un instant dans la contemplation du plat fumant, Luisa réussissait a faire des merveilles avec les ingrédients qu’on trouvait dans l’espace.
— Merci, Luisa. Pour le plat… et pour être là.
— Toujours. Mais dis-moi… Luisa s'approcha, baissant légèrement la voix, son ton devenant complice. C'est le piment qui te fait rougir, ou ce ne serait pas plutôt Dean et Tony ?
Jed faillit avaler de travers, elle lança un regard fusillant à Luisa, avant d’éclater de rire.
— Oh, toi… Tu fais la maline maintenant !
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