02 - Vivre

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Sur l’écran, les sourires étaient francs, éclatants. Ces corps et ces visages figés du passé paraissaient plus vivants que les deux êtres humains qui s’ennuyaient l’un à côté de l’autre. Damien observa son épouse du coin de l’œil, ses cheveux noirs, sa silhouette longiligne, son ventre plat. Tellement plat. Il donnerait beaucoup pour retourner dans l’instant de ces photos.

Caroline se leva la première. « Je te laisse la télé ? » demanda-t-elle à son mari. « Non, c’est bon » répondit-il. Elle éteignit. « Je crois que je vais aller me coucher. Je suis crevée. » ajouta-t-elle dans un murmure. « J’arrive » dit-il à l’ombre de sa femme qui déjà s’éloignait. Il nota les séances du film pour demain soir et coupa l’ordinateur. Il entendit Caroline trainer les pieds dans les escaliers.

Damien s’installa à son tour dans le canapé pour lire quelques pages de son livre. Il voulait aussi écouter les bruits familiers de son épouse. Ses pas dans le couloir, son arrêt aux toilettes, les instants dans la salle-de-bain pour se démaquiller, se passer de la crème sur le visage, l’armoire pour préparer ses affaires du lendemain, ses bijoux posés sur la table de chevet.

La fenêtre qu’elle ouvrait. Et son corps qui s’écroulait sur le matelas, qui s’enroulait dans les draps, qui se recroquevillait et qui, malgré la chaleur, tremblait de froid. Les mots ne s’imprégnaient pas dans le cerveau de Damien. C’était sa femme qu’il lisait à distance, qu’il essayait de déchiffrer. Il voudrait la retrouver, la ramener de là où elle se terrait.

Il referma son roman. Dehors, il ne faisait pas encore vraiment nuit. Les jours raccourcissaient déjà pourtant. C’était si court ce moment de l’année où la lumière gagnait, où la nuit se faisait discrète, où la noirceur la plus sombre laissait enfin le premier rôle au jour éclatant, où la tristesse se faisait petite face à l’espoir. C’était si fugace. On n’avait jamais le temps d’en jouir finalement.

En montant les escaliers à son tour, Damien se dit qu’ils auraient dû en profiter davantage. De tout. De la vie. Des enfants. Des amis. De la famille. Du monde à découvrir. À chaque marche, il sentait un poids supplémentaire s’abattre sur lui, comme si tout devait définitivement s’achever là, avec le sentiment atroce de n’avoir rien fait, rien vu, rien vécu.

Damien se lava méthodiquement les dents. Il écouta ensuite, derrière la porte, le bruit calme de la respiration endormie de Caroline. Il entra dans la chambre de Théo. Elle était rangée. Il y avait encore l’espace libre qu’il avait laissé inoccupé. Il s’était débarrassé de quelques jouets, avait fait du tri, parce qu’il s’était soudain senti grand.

Damien s’approcha de la fenêtre et observa la rue derrière le voilage blanc. Les voitures, la ville au loin, tout semblait flou et presque irréel. Il se souvint des différentes évolutions de la chambre, depuis la sortie de la maternité jusqu’à maintenant. Il se sentit soudain très vide, comme si son fils lui échappait, comme s’il n’habitait déjà plus ici.

Damien rejoignit sa chambre. Avec le réverbère de la rue, il put ouvrir son placard et préparer ses affaires sans avoir à ouvrir la lumière. Il s’étendit aux côtés de Caroline. Elle dormait du côté de la fenêtre, lui du côté de la porte. Chacun son côté, chacun sa table de chevet, chacun ses habitudes, comme les vieux couples dont ils se moquaient avant.

Il posa sa main sur elle, sa peau brûlante lui réchauffait le cœur depuis vingt ans déjà. Se glisser contre elle était de loin le meilleur moment de sa journée. Elle dormait sur le dos, totalement nue. Il effleura ses seins et s’arrêta sur son ventre, essayant encore une fois de ne plus penser à la forme arrondie qu’il avait pris et au petit être qui s’était battu à l’intérieur.

Damien caressa le ventre de son épouse qui n’avait plus aucune trace de cette grossesse furtive et inattendue. Ils avaient eu si peur au début, démunis devant l’imprévu. Puis ils avaient ouvert leur cœur à sa venue, incluant les enfants à cet événement incroyable, heureux et naïfs. Pour finalement tout perdre, l’enfant, et l’espoir d’un futur déjà tout tracé.

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