03 - L’animal de la nuit

3 minutes de lecture

Damien sombra très vite dans le sommeil. Une petite brise entrait timidement par la fenêtre pour les rafraichir. Allongé lui aussi sur le dos, il se laissa emporter, rêvant déjà aux vacances à venir, à la location peut-être trop grande qu’ils avaient louée dans les Landes. À la chaise haute, au lit parapluie, aux petits détails du descriptif qui ne servaient plus à rien désormais.

Au milieu de la nuit, Caroline ouvrit les yeux. Elle tourna la tête vers le réveil. Elle n’avait pas dormi très longtemps mais se sentait étrangement reposée. Elle devait se trouver entre deux phases de sommeil, entre le paradoxal et le profond. Exactement comme son état général depuis quelques semaines, dans un entre-deux mal défini.

Elle regarda son mari. Il partageait sa vie depuis vingt ans déjà et l’avoir à ses côtés n’était plus une surprise dont elle se réjouissait chaque nuit. Ils avaient trouvé leur place dans le lit, presque creusé la forme de leur corps dans chaque partie du matelas. Elle se voyait très bien mourir dans ce lit, dans cette chambre, comme si son avenir était sur des rails dont elle ne pouvait plus jamais dévier.

Damien dormait. Il semblait paisible. Elle l’enviait d’y parvenir si facilement. Elle lui en voulait aussi de ne pas souffrir autant qu’elle, d’arriver à se détacher du malheur. Caroline était encore engluée dedans, dans ce quelque chose de visqueux, collant et sale dont elle ne se débarrassait pas. Elle aurait donné beaucoup pour réagir comme son mari. Comme cela devait être plus simple d’être dans sa tête.

Il n’avait jamais ronflé. Cependant, parfois, il grinçait des dents et lorsqu’elle était réveillée comme maintenant, et qu’elle l’entendait, ce bruit devenait insupportable. Le corps de son époux semblait détendu, son visage paraissait calme mais sa mâchoire, par contre, se serrait et ses dents se limaient dans ce qui était pour Caroline un vacarme effroyable.

Elle posa sa main sur sa joue puis son menton, essayant tant bien que mal de l’apaiser par le touché, de le chercher au fond de son rêve pour qu’il relâche la pression. C’était à la fois un geste tendre et précis, qu’elle avait accompli à de nombreuses reprises déjà. Damien plissa le nez, chassa un moustique invisible avec sa main, respira profondément puis se tourna sur le côté. Il lui tournait le dos maintenant mais ne grinçait plus des dents.

Caroline se demanda dans quelle mesure la routine rongeait tout ? La tendresse, la séduction, l’amour. Comment tenir aussi longtemps avec une personne sans perdre petit à petit les fondations même du couple ? Surtout avec des enfants qui prenaient toute leur énergie, à la fois cadeaux et poisons de leur vie.

Elle regardait le plafond, écoutait les bruits de la rue puis plus loin, ceux de la ville endormie : des voitures, des sirènes, un bus. Elle pouvait identifier chaque son. Elle avait l’impression qu’elle ne parviendrait pas à se rendormir, condamnée à devenir la gardienne de la nuit et de la maison. Elle attrapa sa bouteille d’eau et but quelques gorgées.

C’est alors qu’elle entendit quelque chose qu’elle ne reconnut pas. La chambre était légèrement mansardée de son côté et cela semblait provenir de là. Ou du plafond. En tout cas, de cet espace au-dessus, inconnu pour elle : les combles. Elle était aux aguets, entièrement tendue vers ce qu’elle ne définissait pas encore. Cela bougeait en réalité, cela courrait même.

Caroline perçut très distinctement des pas et des griffes, comme si un chat s’amusait là-haut. Ou un autre animal qu’elle n’envisageait pas encore tout à fait. Elle suivait ses mouvements. Il semblait descendre la mansarde et la remonter, courir et sauter, ralentir puis se rouler en boule. Elle semblait la voir, cette boule de poils informe, qui vivait au-dessus d’elle. L’animal continua comme ça un temps interminable.

Caroline s’endormit, épuisée, peu de temps avant que le réveil ne sonne. Elle n’avait pas voulu solliciter Damien pour qu’il écoute lui-aussi, pour qu’ils partagent cet événement insolite. Elle était contrariée. Elle avait eu le temps d’imaginer toutes sortes de choses. Alors quand des les premiers instants, elle avait pu trouver ça drôle, elle avait finalement passé la nuit à s’inquiéter : un animal venait d’entrer chez eux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Romain Marchais ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0