08 – Plan de bataille
Caroline se réveilla bien plus tôt que d’habitude. Son sommeil avait encore été haché mais elle ne se souvenait pas d’un rêve particulier, juste d’une impression générale de menace. Elle se rendit dans le bureau et alluma l’ordinateur. La lumière bleutée éclaira son visage pendant qu’elle fixait la trappe qui menait aux combles, avec un regard plein de défi.
La maison était désormais silencieuse. Elle s’étonnait de quelque chose qui était pourtant assez habituel. La présence de cette fouine, ses activités nocturnes, avaient totalement modifié sa perception de son petit univers. Il y avait quelque chose là-haut qui ne devait pas être là, qui brisait l’équilibre précaire qu’ils avaient cru revenu.
Caroline avait traversé une période si sombre que penser à autre chose que ses enfants avait été presque impossible. Aussi bien Théo et Iris, que ce bébé qui n’avait jamais vu le jour. Elle avait beaucoup réfléchi à la grossesse, à la maternité, au fait d’enfanter. Elle avait imaginé cet enfant imprévu, miraculeux, qui aurait redonné vie à leur foyer endormi. Et à quel point son absence avait mortifié chacun d’eux.
Caroline fit à nouveau quelques recherches au sujet de la fouine, parcourut des forums. Elle commanda un appareil à brancher sur une prise qui devait envoyer des ultrasons insoutenables pour l’animal mais inaudibles pour les humains. Elle était prête à l’affronter. Cependant il ne s’agissait pas d’un combat à mains nues, d’un affrontement classique. Elle se devait surtout de gagner une guerre psychologique avec elle-même.
Damien se réveilla seul dans son lit. Il se leva et retrouva Caroline assise dans le fauteuil, plongée dans Internet, happée par les pages qui défilaient. Il lui toucha le bras. Elle sursauta et le regarda, apeurée. « Désolé, je ne voulais pas te faire peur » dit-il d’une voix encore un peu ensommeillée. « Oui. Raté. J’ai cru que c’était… » Elle ne finit pas sa phrase. Il fallait une preuve à Damien, un contact visuel avec l’animal, pour qu’il finisse par la croire.
Damien ne releva pas. Ce n’est que plus tard, alors qu’ils étaient déjà lavés et habillés, et qu’ils partageaient leur petit-déjeuner, qu’il lui demanda ce qu’elle faisait si tôt sur l’ordinateur. « Je cherchais des informations sur la manière dont on peut se débarrasser d’une fouine » répondit-elle. Il soupira. « Tu ne te sens peut-être pas concerné mais moi, savoir qu’un animal mange notre foyer de l’intérieur, ça me met hors de moi ! »
« Aucun problème chérie » murmura-t-il doucement, avec un ton que Caroline détesta. Il semblait lui parler comme à une enfant qui raconte des histoires incroyables de fées ou de pirates. Elle resta silencieuse jusqu’à ce qu’ils se séparent pour se rendre dans leur travail respectif. Dans la journée, au bureau, elle imagina son mari là-haut faire face à la fouine et l’animal qui lui disait : « Alors, elle disait des conneries Caroline ? »
Elle lui envoya un mail : « Ce soir, tu montes et tu chasses la fouine ! » Il ne répondit pas. Il n’aimait pas du tout recevoir ce genre d’ordre. Surtout, il ne tenait pas à se retrouver dans la poussière et les courants d’air des combles pour constater qu’il n’y avait rien, qu’elle avait imaginé cet animal et les bruits qui allaient avec. Et pour se confronter à la cruelle réalité de son état mental toujours pas vraiment stabilisé.
De son côté, il essayait de penser à la meilleure manière de contrer ses idées, de la guider vers une prise de conscience plus saine de la situation. Il ne voulait pas la brusquer, de pas l’offusquer. Il souhaitait toujours être un bon mari, à l’écoute de sa femme, de ses problèmes. Il se devait aussi de la mettre face à ses contradictions. C’était son rôle. Pour enfin passer à autre chose et combler le vide toujours si présent au creux de son ventre.
Damien s’imagina tout de même monter dans les combles. Il fallait d’abord bouger une bibliothèque remplie de livres puis ouvrir la trappe. Ensuite, il allait devoir attraper l’échelle escamotable qui était pliée en trois parties, la descendre et la sécuriser. Puis il allait monter, armé de sa lampe de poche et poser ensuite ses pieds sur des poutres ou des planches de bois mal réparties. Tout ça ne lui disait rien du tout.
Quand Étienne était monté, à l’époque, cela l’avait bien soulagé. Son ami était bien plus à l’aise que lui pour ce genre de choses. Damien n’était pas très téméraire ni ce qu’on pouvait appeler quelqu’un de « viril ». Caroline semblait parfois le lui reprocher, attendant de lui des réactions d’homme, des décisions et des actions en conséquence. Il avait parfois l’impression de ne pas être celui qu’elle espérait, d’être décevant.
Il souhaitait donc n’avoir pas à monter mais se rendait compte que si, malgré tout, son épouse avait raison et qu’il y avait bien là-haut une fouine qui avait pris ses quartiers, il allait devoir prendre son courage et ses responsabilités à deux mains. S’il y avait bien un animal, il se devait de le déloger. Par contre, il ne savait pas du tout comment faire. S’il se retrouvait face à la fouine, allait-elle l’attaquer ? Comment fallait-il se défendre ?
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