Prologue

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— Si mes parents apprennent que nous avons menti, je peux dire adieu à tous les amusements de l’été, s’inquiéta Sophie.

C’était une journée chaude du mois de juillet. Comme il était d’usage lors des fortes chaleurs, les promenades en forêt étaient strictement interdites du fait du risque élevé d’incendies. La végétation dense et sèche avait tout pour plaire à n’importe quelle étincelle désireuse de se métamorphoser en un feu flamboyant et destructeur.

Néanmoins, peu soucieuses du danger, Sophie et sa meilleure amie Céline, âgées toutes les deux de quatorze ans, s’aventuraient dans les sentiers aménagés, sac au dos.

— Ils n’en sauront rien, la rassura Céline. Nous serons rentrées avant leur retour du travail.

— C’est encore loin ?

— Non. C’est par ici.

Céline s’éloigna avec détermination du chemin pour se faufiler entre les arbres. Sophie dut accélérer le pas pour la suivre. Le dénivelé n’était pas vraiment important, mais suffisamment pour mettre Sophie en difficulté. Quant à Céline, elle donnait l’impression de flotter au-dessus du sol tant ses mouvements s’orchestraient avec légèreté.

Sophie ne sut pas exactement combien de minutes s’écoulèrent avant d’entendre Céline prononcer ces mots libérateurs :

— Nous sommes arrivées.

Sophie la regarda. L’expression du visage de sa meilleure amie dévoilait son excitation. Elle se tenait devant l’entrée de la grotte, un sourire sincère aux lèvres. Son état d’esprit fut contagieux. Sophie s’illumina à son tour alors que Céline sortit une lampe torche de son sac à dos.

Elles se prirent la main et, ensemble, elles s’enfoncèrent dans la pénombre de la cavité rocheuse. Elle n’était pas profonde et elles s’arrêtèrent rapidement.

Sophie jeta un regard à Céline. Elle souriait toujours. Elles avaient trouvé leur quartier général, leur refuge. Ce serait dans cette grotte qu’elles scelleraient leur amitié ; qu’elles se raconteraient leurs secrets, leurs doutes et leurs joies. Comme toutes les meilleures amies faisaient.

Leur rencontre avait eu lieu un mois auparavant. Elles n’étaient pas dans la même classe, avaient des caractères complètement opposés, et pourtant un lien invisible les avait rapprochées. Toutes les deux, c’était l’évidence même. Elles purent compter l’une sur l’autre dès l’instant où elles s’étaient parlées pour la toute première fois.

Plus tôt dans la semaine, Céline avait partagé avec Sophie l’idée qu’elles devaient trouver un endroit pour elles, pour se dire tous leurs secrets, un repère où elles pourraient se réfugier dès que le besoin s’en ferait sentir. C’était la raison pour laquelle elles avaient quitté leurs maisons respectives afin de se rendre dans la forêt à la sortie de la ville. Céline connaissait l’existence de cette grotte, car elle s’y était rendue, une fois, avec des amis de sa mère. L’endroit était parfait. Pas seulement pour en faire leur cachette, mais aussi pour sceller leur amitié à jamais.

— Cette grotte est superbe, commenta Sophie. Je pensais qu’elle serait effrayante, mais pas du tout.

— Si elle était effrayante, je ne t’aurais pas emmenée là. Asseyons-nous !

Installées sur le sol, elles se déchargèrent. Céline ouvrit son sac pour en sortir un bol en terre cuite, un couteau, un ciseau et une feuille de papier avec un stylo.

— Tu es sûre que ce truc va marcher ? demanda Sophie, avec un brin de scepticisme dans la voix.

— Mais oui ! Je te l’ai déjà dit. Sur Internet il y avait des témoignages à propos de ce rituel. Deux femmes sont restées amies pendant plus de cinquante ans, jusqu’à ce que la mort les sépare. Pourtant, l’une avait couché avec le mari de l’autre. C’est ce que tu veux pour nous, non ? Enfin, mis à part la tromperie, bien sûr.

Sophie hocha la tête et Céline enchaîna :

— Alors on va commencer.

La première action de Céline fut de couper la feuille de papier en deux. Elle utilisa ensuite le stylo pour marquer ses prénom et nom sur une demi-feuille : Céline Rolande. Elle répéta l’opération sur l’autre partie, mais en indiquant cette fois-ci l’identité de sa meilleure amie : Sophie Desmoulins. Pour terminer cette étape, Céline déposa les deux morceaux dans le bol en terre cuite.

— Maintenant, il faut qu’on découpe une mèche de nos cheveux, annonça Céline.

Joignant le geste à la parole, Céline reprit les ciseaux et coupa un bout de sa frange, sous le regard attentif de Sophie. Cette dernière fit de même. Chacune leur tour, elles mirent leurs mèches dans le récipient.

Désormais, il ne restait plus qu’une étape à franchir avant de réciter la formule magique : faire couler leur sang afin qu’ils se mélangent et s’unissent à jamais. Sans aucune hésitation, Céline prit le couteau qu’elle avait rapporté, et se fit une petite entaille à l’index. Elle mit ensuite son doigt au-dessus du bol. Elle fit verser trois gouttes. Pas une seule fois, elle ne montra l’expression d’une quelconque douleur. Ce qui n’était pas le cas de Sophie qui, elle, ressentait déjà une réelle souffrance à son index. Elle n’était plus si sûre de vouloir continuer le rituel. Céline remarqua sa réticence :

— Ne me dis pas que tu vas te dégonfler ! (Elle luit tendit brusquement le canif). Ce n’est rien. Et je te rappelle que c’est notre amitié qui est en jeu.

Devant l’autorité naturelle de Céline, Sophie se reprit et attrapa l’instrument de torture. Au moment où elle se coupa le doigt, elle ne put s’empêcher de grimacer, mais Céline ne fit aucun commentaire. À la place, elle observa le sang de son amie rejoindre le sien.

Il était temps de passer à la dernière étape. Céline prit les mains de Sophie :

— Tu t’en rappelles ? lui demanda-t-elle.

Pour toute réponse, Sophie hocha la tête. Bien sûr qu’elle s’en souvenait. Depuis plusieurs jours, Céline lui faisait répéter plusieurs fois la formule, telle une mère apprenant un poème à son enfant.

— Allons-y !

D’une seule voix, elles déclamèrent :

— Que nos cheveux et notre sang soient le signe de notre amitié ! Que la magie entende notre prière et qu’elle scelle notre amitié jusqu’à ce que la mort nous sépare ! Qu’un lien indestructible se crée entre nous et qu’aucune force négative ne vienne se mettre en travers de notre route ! Que nos cheveux et notre sang soient le signe de notre amitié !

Elles le dirent une deuxième puis une troisième fois.

— Tu as ressenti quelque chose ? voulut savoir Sophie, après un bref instant de silence.

— Non. Et toi ?

— Non plus. Je pensais… je pensais qu’on aurait senti une sorte de force cosmique autour de nous.

— Moi aussi. Mais ce n’est pas grave. Le rituel a fonctionné, j’en suis certaine. Nous serons amies pour la vie. Rien ne nous séparera.

Les deux filles sourirent. Oui, pour rien au monde, elles ne souhaitaient se retrouver loin l’une de l’autre. Elles étaient des âmes sœurs. Elles le savaient. C’était l’évidence même. À partir de maintenant, elles ne craindraient rien ni personne. Parce qu’à présent, elles n’étaient plus seules, mais deux. Deux forces que rien ne pourrait abattre.

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