Un prince pas si charmant (partie 6)

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L'Audi sportive filait prudemment sur l'autoroute. La météo annonçait des températures estivales et les touristes du week-end étaient nombreux sur la route. Le nez collé à la fenêtre, Lola regardait le paysage défiler. À la radio, Bruce Springsteen chantait Born in the USA. De la main, Lola battait la mesure sur ses genoux puis tourna la tête en direction de Kévin. Concentré sur le flot de la circulation, celui-ci posa sa main sur la sienne. Derrière ses lunettes de soleil, ses yeux cherchèrent subrepticement ceux de Lola. Ils se sourirent un bref instant puis Kévin reporta son attention sur l'asphalte.

Ankylosée, Lola descendit de la voiture et étira soigneusement ses longues jambes. Ils étaient habitués aux embouteillages mais ils mirent quand même une heure de plus pour arriver à leur hôtel dans la charmante ville de Trouville-sur-Mer. La réceptionniste, une femme rondelette, leur remit la clé de leur chambre située au 2ème étage. Ici, pas le luxe des grands hôtels de Deauville situé à quelques kilomètres où une foule de clientèle fortunée se précipitait, même si Trouville possédait également de luxueux hôtels. Mais le leur, situé dans le centre-ville, à quelques pas de la plage ne manquait pas de charme et était de prix abordable. Son architecture traditionnelle en brique, sa décoration raffinée étaient une adresse de choix pour un week-end en amoureux. De leur chambre spacieuse se dégageait une atmosphère très reposante avec les boutis aux couleurs naturelles, les rideaux en lin et les fauteuils en osier. Les meubles en bois et les tissus aux couleurs chaudes en faisaient un lieu cosy mais leur chambre avait surtout l'avantage de disposer d'une petite terrasse ensoleillée.

Lola ouvrit la porte fenêtre en grand. Offrant son visage au soleil, elle respira à pleins poumons l'air iodé qui lui parvenait. Kévin la rejoignit, il lui prit la main et la porta à ses lèvres. Le contact de ce chaste baiser fit frissonner la jeune femme. Elle avait oublié à quel point sa bouche était chaude et douce. Après avoir défait leurs maigres bagages, ils dévalèrent les deux étages d'un pas joyeux, souriant comme deux collégiens insouciants et amoureux.

Main dans la main, ils parcoururent les rues ensoleillées de cet ancien village de pêcheurs devenu au fil des ans une station balnéaire. Naguère, il était prisé par les plus grands artistes et auteurs avant d'attirer bon nombre de touristes toutes classes sociales confondues. La ville, également riche en monuments historiques, regorgeait de bâtiments protégés, ils purent ainsi admirer l’ancien Hôtel des Roches Noires construit en 1866 où tout le gotha s’était succédé ; la bâtisse, grandiose, avait notamment accueilli Marcel Proust et Marguerite Duras en avait fait son décor pour de nombreux films.

Au loin l’église Notre-Dame-Des-Victoires sonna les douze coups de midi, ils décidèrent de déjeuner dans un petit restaurant, à l'écart de l'effervescence du centre ville. Avec ce soleil généreux, la ville touristique et ses plages étaient prises d'assaut par les vacanciers du week-end en quête de dépaysement, et notamment des parisiens pour sa proximité.

Durant leur repas, Lola avoua à Kévin qu'elle n'avait jamais vu les Falaises d'Étretat, situées non loin d'ici. Ils décidèrent donc de s'y rendre dès cet après-midi.

— Il faut combler cette lacune sans attendre, la taquina-t-il. Et il faisait un temps idéal pour admirer ces merveilles de la nature.

Une fois le dessert avalé, le café bu et la note réglée, ils retournèrent au parking de l'hôtel. Ils montèrent dans l'Audi, direction Étretat, station balnéaire située entre Le Havre et Fécamp.

*****

Kévin se gara sur un immense parking à l'écart du village où déjà, bon nombre de véhicules stationnaient.

Le couple accéda à pied à la longue plage de galets encerclée par les pittoresques falaises. Un magnifique et gigantesque décor de carte postale émerveilla Lola en proie à une émotion vraie. Des étoiles dans les yeux, elle fit un tour sur 90 degrés afin d’admirer la beauté sauvage et monumentale de ces falaises de craie presque immaculées, une beauté sauvage à lui couper le souffle. Kévin l'observait le regard amusé, l'expression émerveillée qu'elle affichait, à l'image d'un enfant qui déballe ses cadeaux un soir de Noël, le comblait de joie.

Par un sentier abrupt, ils décidèrent de gravir au sommet de ces mastodontes naturels. Le chemin balisé était caillouteux et glissant pour des promeneurs mal chaussés. Lola se réjouit d'avoir mis ses baskets tandis qu'elle grimpait. Et leurs efforts furent récompensés une fois arrivés ; la vue au sommet de ces majestés de calcaire la saisit en plein cœur… Splendeur d'un paysage unique au monde. Ce haut lieu laissait sur sa peau une sensation de domination. Est-ce cela que l'on appelle « être le maître du monde » se demanda-t-elle intérieurement. Elle écarta les bras, renversa la tête en arrière, ferma les yeux et se mit à tourner sur elle-même. Lilliputienne face à cette nature, elle se sentit aussi légère et libre qu’un oiseau dans cette immensité.

Kévin était si heureux de la voir heureuse.

Ils se promenèrent de longues heures le long de la crête de ces falaises tournées sur la Manche. De ce panorama sauvage, un peu austère mais tellement magnifique, se dégageait une sérénité apaisante. La jeune femme savoura ce moment de grâce avec délectation.

Doucement, les amoureux redescendirent vers la plage, l'après-midi touchait à sa fin. Lola supplia Kévin de rester dans les parages, elle voulait à tout prix voir le soleil se coucher depuis ce lieu dont elle était tombée amoureuse au premier regard. Amusé, il ne se fit pas prier longtemps. Il aurait fait n'importe quoi pour cette femme du moment qu'elle soit près de lui. La voir ainsi, si joyeuse, si naturelle, lui gonflait le cœur.

Ils dînèrent donc non loin de là, d'un plateau de fruits de mer savoureux dans un charmant petit restaurant au cadre chaleureux fait de boiseries. Lola était extraordinairement sereine et mangea de bon appétit. Souriante, enjouée, elle passait un excellent moment en compagnie de Kévin… Elle retrouvait enfin celui qu'elle aimait… Elle retrouvait son prince charmant… Elle était heureuse… tout simplement.

Après avoir dîné, ils prirent un plaid dans le coffre de l'Audi et redescendirent sur la plage de galets. La clarté du jour déclinait et une légère brise marine embaumait l'air de ses effluves iodés. Dans la pénombre, Lola prit place sur la couverture étendue au sol, les yeux rivés sur l'étendue d'eau salée.

L'astre brillait de mille feux sur une mer devenue noire puis au fur et à mesure qu'il entamait sa descente sur l'horizon, il se teinta d’un rouge orange. La lumière flamboyante de ses rayons ensanglantés lécha la surface de l'eau puis incendia le ciel. La jeune femme n’imaginait pas qu'il puisse exister spectacle aussi beau. Toutes ces couleurs donnaient un aspect féérique à ce paysage sauvage.

Lola suivit des yeux le disque éclatant jusqu'à ce qu'il effleure la surface de la mer. Juste avant qu'il ne disparaisse, il s'auréola d'un halo orangé et traça son dernier rayon d'une rare beauté sur la ligne d'eau jusqu'à la plage formant un chemin d'une lumière apaisante. Puis, doucement, il plongea ensuite dans les eaux profondes jusqu'au moment où les couleurs du couchant ne formèrent plus qu'une bande aplatie avant qu’il ne disparaisse à l’autre bout de la terre ; laissant Lola émue et émerveillée par le ballet amoureux de cet astre divin.

Moment unique… Moment magique. Les amoureux restèrent de longues minutes silencieux à contempler l'horizon. Le vent salin et le bruit régulier du ressac les berçaient. Kévin encerclait de son bras les épaules de la jeune femme sur lesquelles il avait déposé sa veste. Les yeux de Lola lui piquaient, mille émotions la submergeaient.

Kévin l'extirpa de ses songes.

— Viens… Rentrons. Tu grelottes.

La jeune femme acquiesça douloureusement d'un signe de tête. Elle aurait tant aimé rester plus longtemps mais la fraîcheur était tombée et elle frissonnait.

Le retour à l'hôtel se fit dans un silence pudique que Kévin ne voulut pas rompre, préférant laisser Lola à sa rêverie, désireuse de garder encore pour quelques heures ce souvenir… Elle brûlait d’envie de graver dans son cœur et dans son esprit, pour l’éternité, ces merveilleuses images romantiques auxquelles elle venait d'assister. Les couchers de soleil lui faisaient toujours cet effet mais celui là, au pied de ces monumentales falaises, était le plus féérique qu'elle n'ait jamais vécu.

Une fois de retour dans leur chambre, Kévin s'excusa auprès de Lola, il voulait consulter ses mails.

— Vas-y ! le rassura-t-elle. Je vais prendre une douche.

Il l'embrassa, reconnaissant de sa compréhension, puis s'installa devant le petit bureau et ouvrit son ordinateur portable tandis que Lola se dirigeait vers la salle de bain.

Mais lorsque, sortant de la salle d'eau en nuisette, la jeune femme passa devant lui, plus belle que jamais, il délaissa l’écran et posa sur elle un œil gourmand avant de revenir à contrecœur à son moniteur.

Lola prit un magazine et s'allongea sur le large lit en attendant que Kévin ait terminé. Mais exténuée par l'air marin et leur escapade dans les falaises, elle ne vit pas le sommeil arriver et piqua du nez sur les nouvelles « people ».

Lorsque Kévin vint enfin se coucher, il la trouva profondément endormie. Il la contempla un instant puis sourit en ramassant la revue tombée dans le lit. Il éteignit la lampe de chevet et s'étendit auprès d'elle. Lola grommela légèrement dans son sommeil tout en se calant au creux de son épaule. Il resserra son étreinte avant de sombrer à son tour.

*****

Allongée sur le côté, coude replié, tête appuyée dans la paume de sa main, Lola regardait Kévin dormir. Elle suivait des yeux la courbe de son visage… Il était parfait. Une respiration lente soulevait son torse puissant. Elle fit glisser la pointe de son index le long de son nez aquilin, dessina le contour de ses lèvres, parcourut l’arête de son menton, caressa la courbe de sa paume d'Adam et termina son exploration sur ses pectoraux. Kévin papillonna des yeux, ébloui par la clarté du jour qui, au travers des persiennes, striait leur chambre. Tournant la tête, il croisa son regard.

— Bonjour mon cœur, lui dit-il en étirant les bras au dessus de sa tête dans un bâillement.

— Bonjour, répondit-elle, sans cesser de le détailler.

Sa silhouette se dessinait à contre-jour. La courbe voluptueuse de ses hanches sonnait en lui comme un appel au désir. Kévin se redressa sur un coude. Leurs visages se frôlaient presque. Il caressa sa joue, de son pouce il dessina le pourtour de sa bouche et posa sa main sur sa nuque. Le bout de sa langue lécha le lobe de son oreille ; Lola frissonna. Ses lèvres grignotèrent sa gorge, elle tendit son cou. Puis sa bouche remonta jusqu’à la sienne. Avec une infinie tendresse, il l'embrassa. Lola ferma les yeux et répondit à son baiser. S'abandonnant dans ses bras, elle accueillit sa langue avec gourmandise. Kévin, conscient de son emprise, redoubla d'attentions. Il y avait si longtemps qu'ils n'avaient pas fait l'amour. Il chiffonna son corps avec des gestes doux et aériens, prit mille précautions pour emmener la jeune femme à s'offrir à lui. Et, sans se parler, avec des mouvements lents, comme endormis, ils jouirent l’un de l’autre.

Alors qu'elle prenait sa douche, Lola, la tête à l'envers, ne sut pas vraiment s'ils l'avaient fait ou pas, tant ce moment lui avait semblé hors du temps. Elle, qui avait tellement craint cet instant, se sentit stupide tout à coup. Comment et pourquoi se priverait-elle de son amour ?

Enveloppée dans son peignoir, elle sortit de la salle de bain. Le petit-déjeuner venait de leur être servi sur la terrasse, le soleil brillait dans un ciel sans nuage. Affamée, la jeune femme dévora deux tartines grillées et un croissant chaud avant d'avaler son café du matin. Levant les yeux, elle croisa le regard appuyé de Kévin.

— Quoi ? lui demanda-t-elle, incrédule.

— Rien, la rassura-t-il, la voix douce. Je t'aime c'est tout ! Tu m'as tellement manqué…

Lola rosit légèrement.

— Je t'aime aussi, réussit-elle à dire tandis que le feu lui montait aux oreilles.

Mais pourquoi ce comportement de jouvencelle ? se sermonna-telle, consciente de son ridicule. Je l’aime… alors pourquoi cette crainte de prononcer ces simples mots ?

Elle termina sa tasse de café en silence. Kévin, lui, poursuivit sa lecture des nouvelles dans le journal du matin. Elle se surprit à le détailler avec insistance. En caleçon, peignoir entrouvert sur son torse, il émanait de lui un charisme, un pouvoir de séduction qui feraient pâlir d'envie plus d'une femme.

Mais il est à moi ! s'enorgueillit la jeune femme. J'ai beaucoup de chance…

Kévin détourna les yeux de sa feuille de chou et lui sourit. Elle lui rendit son sourire avant de se lever et d'aller s'habiller.

Ils passèrent la journée dans la ville. Leurs doigts emmêlés, ils flânèrent au gré de leurs pas dans les rues et ruelles de Trouville, repoussant au maximum le moment du départ. Lola aurait voulu que le temps s'arrête… Que ce week-end n'en finisse pas, elle se sentait si bien.

Aux douze coups de midi, les terrasses des brasseries ne désemplirent pas. Les parasols fleurissaient sous un soleil généreux. Lola et Kévin choisirent un petit restaurant sur la jetée, à l'écart de la cohue des touristes. Après un repas léger et rapide, ils prolongèrent l'instant en se promenant main dans la main le long de la plage. Ils retroussèrent le bas de leur pantalon. Des petites vagues d’écume s’échouaient sur le sable. La mer léchait leurs pieds pour aussitôt effacer l'empreinte de leurs pas dès leur passage… À l'image de cette journée qui touchait à sa fin.

Le cœur serré, les amoureux repartirent vers seize heures en direction de la capitale, espérant ainsi éviter les embouteillages.

*****

Le week-end fut merveilleux, d'un romantisme fou. Lola et Kévin s'étaient retrouvés et mieux encore, la jeune femme avait réussi à surmonter son traumatisme, ils s'étaient aimés pour la première fois depuis « l'accident ».

Le cours normal de leur vie de couple reprit doucement comme si de rien n'était. Une normalité qui seyait aux amoureux. Kévin faisait des efforts et Lola lui en était gré.

Même si certains soirs, elle le soupçonnait d'avoir bu quelques verres, elle passait sous silence cette entorse à sa promesse faite. Jeter de l'huile sur le feu ne lui aurait valu qu'une incitation à la dispute. Elle prenait sur elle, se disant que tout s'arrangerait lorsque son projet serait abouti. Elle devait juste être patiente.

*****

— Comment vont vos yeux, Lola ? l'interrogea Paul lorsqu'elle prit son poste à la boutique, le mardi matin.

Ne sachant pas où il voulait en venir, Lola le questionna du regard.

— Vous aviez bien rendez-vous chez l'ophtalmo ? insista-t-il devant son incompréhension.

— Ah… Oui ! Heu… Rien de bien méchant, juste de la fatigue oculaire. Tout devrait rentrer dans l'ordre après quelques gouttes de collyre pendant quinze jours.

Lola parlait d'une voix sûre, du moins elle espérait avoir été crédible dans son explication. D'un sourire naturel, elle le remercia de prendre de ses nouvelles et se dépêcha de rejoindre ses collègues de travail. Un sentiment de honte l'assaillait.

Et un mensonge de plus, laissa-t-elle tomber en murmurant en son for intérieur, je deviens une vraie pro.

Sceptique, les sourcils froncés, Paul la regarda s'éloigner.

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