Un crapaud presque charmant (partie 2)
Lola se sentait confiante pour l'avenir. Kévin était un homme bien, cela ne faisait aucun doute dans son esprit. Maintenant elle connaissait l'objet de ses colères incontrôlables dont elle faisait les frais, mais elle savait également qu'il souffrait de son comportement honteux. Son passé l'assaillait, le possédait comme un démon et lui faisait perdre la tête. Le souvenir de Clara, la manière dont elle s'était comportée envers lui, le dévorait de l'intérieur.
« Mais voilà… je ne suis pas Clara, se disait-elle. Désormais, je vais m'employer à combler ses désirs, je vais lui montrer avec encore plus de ferveur, à quel point je l’aime. Il peut avoir totalement confiance en moi. Que jamais, Ô grand jamais, je ne le quitterai mais si d'aventure cela devait se produire - cette perspective lui était insupportable - ce ne serait certainement pas pour aller batifoler avec d'autres hommes. Je ne suis pas une dévergondée nymphomane… »
Lors de ses accès de furie, Kévin avait du mal à contrôler son caractère emporté dû en partie à son passé affectif. Cette irascibilité exacerbée était la première cause aux violentes disputes dans leur couple et aux conséquences qui s'ensuivaient. Lorsqu'il redevenait calme et lucide, il s'excusait toujours avec sincérité de son comportement, regrettant de s'être laissé emporter.
Pourtant Lola exécrait cette facette de sa personnalité. Cet autre visage le métamorphosait radicalement en un personnage odieux qui lui faisait peur mais maintenant qu’elle connaissait la part d’ombre de sa vie amoureuse, elle préférait se focaliser sur ce qui faisait de lui un homme d'une gentillesse extrême et doux comme un agneau.
Lola murmura ces mots qui semblèrent être la conclusion d'un soliloque intérieur :
— Je l'aime tellement que ça me fait peur.
*****
Le mois de juin touchait à sa fin. Les premiers juilletistes s'apprêtaient à prendre la route, direction les vacances. À la cohue des plages bondées de bords de mer pour certains, d'autres préféraient se ressourcer à la montagne avec son calme et ses randonnées au cœur de la nature.
À la boutique, c'était tout autre. Lola n'entendait parler par ces Dames que d'îles paradisiaques aux eaux turquoise, de plages de sable blanc et de yachts flamboyants. « Ces femmes ne sont certainement pas du genre à poser leurs fesses sur une serviette d'une plage quelconque, aux côtés d'un gamin faisant des pâtés de sable qui, insouciant, pourrait malencontreusement envoyer quelques grains sur leur voisine tartinée de crème solaire, songea la jeune femme, amusée. »
Cette pensée la ramena à Beth. C'était exactement le genre de chose qu'elle aurait dite.
La semaine dernière, les deux amies avaient pépié comme des pies au téléphone et Lola avait sauté de joie lorsque Beth lui avait annoncé qu'elle revenait pour le quatorze juillet. Il lui tardait tellement de revoir son amie… Qui plus est, elle devait lui présenter Thomas, son « boy friend ».
Pour l'heure, pas de vacances pour Lola. Avec la période des soldes, c'était l'effervescence. Tout le personnel était sur le pied de guerre pour contenter les clientes, même Paul était aux petits soins, se transformant, quand il le fallait, en garçon de café pour servir des rafraîchissements dans le salon privé d'essayage. Cath aussi, vint prêter main forte aux employées, comme elle le faisait à chaque période de rush. La clientèle appréciait ses conseils toujours de bon goût et son côté distingué et raffiné était un plus pour la boutique !
Lorsqu'elle se trouvait avec les filles, Cath n'était plus la femme du patron. Elle se mettait sur le même pied d'égalité que Lola ou ses collègues. Elle faisait l'unanimité parmi le personnel. Toutes s'accordaient à dire qu'elle était d'une simplicité et d'une gentillesse hors du commun.
Sachant qu'elle serait surveillée de près par Paul, après sa conversation privée avec sa femme, Lola s’appliqua à donner d'elle une apparence naturelle et enjouée. Et elle ne s'était pas trompée. À plusieurs reprises, elle surprit son regard inquisiteur posé sur elle. Lorsque leurs yeux se croisaient, Paul lui souriait comme le ferait un père désolé de ne pouvoir aider son enfant. Troublée, elle lui rendait alors son sourire puis détournait la tête, honteuse d'elle.
Quant à Cath, elle ne lui reparla pas de leur discussion. Elle se comportait, tout ce qu'il y avait de plus normal. Pourtant, les occasions où elles se retrouvèrent seules toutes les deux ne manquèrent pas mais elle eut la délicatesse de ne pas l'importuner ou la mettre mal à l'aise. Et Lola l'en apprécia d'autant plus.
De nombreuses fois, les deux femmes déjeunèrent ensemble et Cath se révéla une hôte de table très agréable, tout comme Paul qui se joignit à elles, de temps à autre. Le couple devint au fil du temps, peut-être pas des amis à proprement parler mais des personnes que Lola affectionnait particulièrement.
*****
L'anniversaire de Lola approchait à grands pas. La jeune femme voulait organiser une petite soirée pour fêter l'évènement et profiter de l'occasion que Beth soit là. Seulement, comment le dire à Kévin ? Tous les soirs, il rentrait complètement lessiver de sa journée de travail et elle ne savait pas s'il accepterait une sortie tardive avec des amis. Et la plupart des week-ends, il préférait garder Lola pour lui seul. Un restaurant et une soirée en discothèque, ce n'était pourtant pas trop lui demander…. Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas allée danser ! Elle en mourait d'envie !
Un soir de week-end, elle emmena tout en douceur, le sujet dans la conversation.
— Chéri ? Tu sais que bientôt c'est mon anniversaire…
— Hum…
Il lisait un magazine de sport.
— Que dirais-tu d'une petite soirée entre amis ? Profiter que Beth soit là avec son nouveau copain… Oh, rien d'extravagant… mais un resto et une discothèque… Ça peut s’envisager… Surtout que l'on s'est connu en boîte de nuit, ce serait comme un retour aux sources, argumenta-t-elle d'une voix suave.
— Excellente idée ! s'exclama-t-il en posant sa revue sportive sur la table basse. Comment n'y ai-je pas pensé moi-même ? Je vais me charger de réserver le restaurant. Qui veux-tu inviter ?
Lola fut estomaquée… Jamais elle n'aurait pensé qu'il serait si enthousiaste.
— Euh… Voyons. Elle réfléchit un instant. Inutile d'être nombreux, juste mes amis intimes… Que dirais-tu de Beth et Thomas, son copain bien évidemment ? Et avec Lucas et la bande, cela nous fait donc huit personnes avec nous deux… Qu'en penses-tu ? À moins que tu ne vois quelqu'un d'autre ?
— Et pourquoi n'inviterais-tu pas ton responsable et sa femme ? Tu sembles beaucoup les apprécier et ce serait pour moi, une occasion de mieux les connaître.
— Paul et Cath ?
Lola ouvrait des billes de merlan frit en lui demandant confirmation.
— Oui, eux-mêmes ! Pourquoi ? Ça pose un problème ? Puis, j'aimerais bien savoir quel genre d'employée tu es, rajouta-t-il d'un ton badin.
— Non… Pas du tout, il n’y a aucun problème, bredouilla-t-elle, prise au dépourvu, ne comprenant pas où il voulait en venir. Je leur ferai part de l'invitation.
— Bien ! Et si tu me le permets, j'aimerais inviter mon directeur et sa femme, quémanda-t-il. Je voudrais que tu le connaisses. Je suis certain que tu lui plairais et ainsi je marquerais quelques points dans l'entreprise… Il attache beaucoup d'importance à la famille.
Cela ressemblait plus à un ordre qu'à un souhait de sa part. Bien qu'elle ne connaisse pas ces personnes et qu'à son humble avis, elles n'avaient rien à faire au milieu de sa fête d'anniversaire, Lola céda à sa requête par peur de représailles.
— Génial ! Je vais donc retenir une table pour douze personnes, le seize juillet.
*****
Bien que surpris par l'invitation de Lola, Paul et Cath acceptèrent avec un plaisir non dissimulé. La jeune femme leur expliqua que Kévin désirait mieux les connaître et qu’elle-même serait ravie de les avoir à ses côtés. Dans un deuxième temps, la jeune femme s’était dit en son for intérieur qu'ainsi ils verraient de leurs propres yeux que Kévin prenait le plus grand soin d'elle, qu'il n'était pas celui qu'ils pensaient et qu'elle était heureuse avec lui. Par conséquent, ils cesseraient peut-être de se faire du souci et de la surveiller.
— Tu ne trouves pas ça bizarre ? demanda Paul à sa femme.
— Quoi donc ?
— La suggestion de Kévin de nous inviter à la fête d'anniversaire de Lola. C'est curieux quand même. Je ne l'ai entrevu que de rares fois mais je peux t'affirmer qu'il ne m'apprécie guère. J'ai bien ressenti son hostilité à mon égard. Je suis prêt à parier qu'il veut nous en mettre plein les yeux mais je me demande bien pourquoi…
Paul avait l'esprit tracassé en disant cela. Intrigué par ce changement radical de comportement, il trouvait Kévin trop poli pour être honnête. Ça cachait quelque chose !
— Je me range à ton avis, lui répondit Cath en posant sa tasse de café. Cette invitation est tout sauf anodine, j'en suis aussi certaine que toi. Mais c'est une occasion que je ne voudrais pas rater pour tout l'or du monde… Je vais pouvoir observer ce bonhomme et en tirer mes propres conclusions. Il faut que j'en aie le cœur net… S'il est vraiment celui que je pense qu’il est, il ne pourra pas feindre sa vraie nature. Mon jugement en la matière est infaillible… Ses supercheries pour nous tromper ne prendront pas ! Je suis passée par là et je sais de quoi je parle, conclut-elle d'un air déterminé.
Paul embrassa sa femme dans le creux de la main et acquiesça d'un mouvement de tête.
*****
Beth était aux anges, demain elle allait enfin serrer Lola dans ses bras. Cela faisait si longtemps, une éternité à ses yeux. Et elle avait une foule de choses à lui raconter. Arrivée la veille au soir en compagnie de Thomas, elle avait tout juste eu le temps de lui téléphoner. Elles avaient quand même papoté une bonne heure avant de raccrocher à contrecœur. Sa journée d'aujourd'hui était consacrée à ses parents et à son frère. Elle devait leur présenter son amoureux avant que celui-ci ne fasse connaissance avec sa meilleure amie.
— Tu m'as tellement parlé de Lola qu'il me semble déjà la connaître, aimait-il la taquiner à chaque fois qu’elle prononçait le nom de son amie.
En fait, Beth était impatiente de savoir quel était le ressenti de Lola à propos de Thomas. Son avis était primordial à ses yeux ! Ne partageaient-elles pas tout ?ici[A1]
*****
Seize juillet : Jour J !
Lola était excitée comme une puce, elle ne tenait plus en place à l'idée de passer la soirée avec ses amis, Beth en particulier et sa curiosité la titillait sur Thomas. Il devait être un garçon exceptionnel pour que son amie en soit raide dingue. Elle avait délibérément gardé une part de mystère sur cet apollon afin de ne pas influencer son amie sur son jugement. Jamais elle ne l'avait vue en pincer autant pour un homme. Mais bien plus que l’euphorie de son anniversaire, cette soirée était pour Lola l’occasion de renouer, depuis bien longtemps, avec l’amitié qu’elle portait haut et fort dans son cœur.
Il était dix-neuf heures et Kévin n'était toujours pas arrivé. Il était convenu qu'ils devaient retrouver leurs invités au restaurant pour vingt heures trente. Le temps de se préparer et en tenant compte de la circulation, il fallait bien ça.
Pour l’occasion, Lola, maquillée et coiffée avec soin, choisit de porter un chemisier en mousseline de soie blanc et une jupe droite assortie gris perle. Une large ceinture asymétrique noire à la taille complétait l'élégance de sa tenue. Elle finissait de s'habiller quand elle entendit la porte d'entrée claquer.
La mine renfrognée, Kévin entra dans la chambre.
— Bonsoir chéri ! Dépêche-toi de te préparer sinon nos invités seront arrivés avant nous, lui dit-elle avec gentillesse mais elle remarqua son expression maussade.
— On sera à l'heure ! furent les seuls mots qu'il prononçât, apparemment agacé, avant de se diriger vers la salle de bain.
— Il est de mauvaise humeur… Ça promet pour la soirée, se chagrina Lola à voix basse.
Une fois la douche prise, Kévin sembla plus détendu. Lorsqu'il sortit de la chambre, il était vêtu d'un chino gris, d'une chemise bleue et d'un blazer bleu marine… Un look simple, décontracté, mais très chic.
— Tu es très élégant, le complimenta Lola.
— Merci.
— Et moi ? Comment me trouves-tu ? lui demanda-t-elle en tournant sur elle-même à la manière d'un mannequin.
— Tu es très bien ! répondit-il du bout des dents.
— Tu n'aimes pas ? s'alarma-t-elle aussitôt devant sa réaction passive.
— Tu es très belle mais tu aurais pu choisir une jupe moins courte… a fortiori lorsque mon patron est là… Je ne voudrais pas qu'il ait une mauvaise opinion, se justifia-t-il.
Sa jupe n'était pas mini, elle tombait juste au dessus du genou. Elle n'allait quand même pas s'habiller en nonne pour plaire à son boss. Lola était vexée mais cependant…
— Tu veux que je me change ? proposa-t-elle, conciliante malgré elle.
— On n'a pas le temps, maugréa-t-il. Il faut qu'on y aille.
Le trajet jusqu'au restaurant se passa dans un silence total. Kévin se concentrait sur la route. Lola lui jetait, par instant, des regards obliques. Son visage affichait une expression morose. La jeune femme se mordillait la lèvre, elle était vraiment anxieuse pour la soirée.
« Pourvu que tout se passe bien ! pria-t-elle pour elle-même. S'il pète un câble en présence de Paul et Cath… Ce sera la cata ! »
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