Tout ce qu'il n'entend pas l'ignorant le condamne
Le temps s'est écoulé étonnement vite. Nous entrons dans le mois de Mai et cela fait donc un mois que les cours ont commencé. Même si je pensais que l'effervescence du début allait s'atténuer avec le temps, il n'en est rien. Le brouhaha permanent lors des pauses, les entraînements des clubs sportifs en pleine journée, et les quelques spectacles donnés de temps en temps par les clubs de Théâtre et de Cinéma font que la vie est assez agitée et bruyante dans ce lieu qui, en premier lieu, devrait servir à étudier et parfaire sa culture.
Ma classe est un concentré de tout ce qui se passe au lycée. Entre Nakashima qui ne cesse de parler avec ses camarades, Arima qui est, comme je l'avais prévu, le centre de la classe, et tous les élèves qui semblent profiter de leur vie étudiante et mener une existence teintée de rose, seuls Fuyuno et moi-même ne sommes pas contaminés par cette folie collective. Il y a néanmoins une différence entre cette fille et moi. Elle semble en effet s'être faite apprécier des autres élèves, grâce à la sortie d'intégration où j'ai fait d'elle celle qui a résolu l'équation. Certains n'hésitent désormais plus à lui parler, bien qu'ils reçoivent ensuite une réponse froide comme l'hiver... Kagami Sachiko, la gentille amie de Nakashima, est quant à elle devenue déléguée et a rejoint le Conseil des Étudiants en tant que secrétaire, comme je l'avais pressenti. C'est avec beaucoup de sérieux qu'elle occupe ces deux postes et nombreux sont les professeurs qui font l'éloge de son travail. En ce qui me concerne, je me contente, comme à mon habitude, d'éviter de parler à qui que ce soit et de rester dans mon coin. Il n'y a que lorsqu'un professeur m'interroge que je daigne faire entendre ma voix.
Toute cette agitation au sein de la classe a brusquement été arrêtée lorsque nous avons eu notre premier examen. Il est bien connu que nombreux sont les élèves qui redoutent ces moments et la frénésie générale s'est donc muée en concentration et en pression. Aujourd'hui est le jour où les résultats sont sensés être affichés. La tension est donc à son comble.
Après une journée comme n'importe quelle autre, c'est enfin le tour du cours de Biologie, assuré par Akatsuki-sensei. Cette dernière n'a pas changé depuis la rentrée. Elle est toujours aussi désintéressée et son regard est toujours aussi vide que le mien. Quoi qu'il en soit, elle affiche comme prévu les résultats au tableau. Tout en haut de la liste se trouve le nom de Fuyuno qui a obtenu la note de 100 sur 100. Elle est, comme je l'avais prévu, major de la promotion. Tous la regardent avec admiration et la félicitent. Elle ne répond pas. La deuxième est Nakashima qui a obtenu 89 sur 100. Je ne la pensais pas si savante. Enfin, le troisième n'est autre qu'Arima avec 82 sur 100. Je parcours la liste dans l'espoir de trouver mon nom. Arrivé vers le milieu, je l'aperçois enfin : « Yamatori Kei : 50 sur 100 ». Bien, comme je le pensais, j'ai eu la moyenne, ce qui me suffit amplement. Nakashima se tourne vers moi en me regardant d'un air moqueur.
- Alors t'as eu 50, hein ? Je te pensais plus intelligent que ça ! dit-elle avec sarcasme.
- C'est plutôt moi qui suis surpris de ta note. Tu es sûre de ne pas avoir triché ?
- Pour qui tu me prends ?! me répond-elle offusquée.
Elle porte un pendentif d'argent. Je ne l'avais jamais remarqué auparavant mais il semblerait qu'elle l'avait depuis le début. Akatsuki-sensei coupe la conversation. Elle demande le silence puis enlève les résultats du tableau.
- Bien, vous avez bien travaillé pour la plupart, la moyenne de la classe est de 68,46 sur 100. Bravo à Fuyuno qui a eu la note maximale.
L'enseignante s'arrête un moment puis me regarde.
- Yamatori, tu viens me voir en salle des professeurs après les cours. J'ai à te parler.
Voilà qui est inattendu. Aurais-je perpétré un quelconque crime ? Quoi qu'il en soit, le cours a continué et est passé assez lentement. Durant tout ce temps, Kagami me jetait quelques regards de temps à autre. Son comportement était inhabituel.
À la fin du cours, je range mes affaires et me prépare à partir. Nakashima est partie en se précipitant et Fuyuno a fait de même. Il est rare que quelqu'un sorte de la salle avant moi. Au moment où je commence à me lever, Kagami m'interpelle et me dit qu'elle souhaite me parler. Elle vient donc s'asseoir à la place de Nakashima.
- Euh... écoute, Yamatori, j'aimerais te demander quelque chose...
- Je t'écoute.
- Eh bien... euh... Pourquoi tu as eu une note aussi basse ? Je pensais que tu majorerais la promotion avec Fuyuno...
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demandé-je calmement.
- Eh bien... Pendant le week-end d'intégration tu as résolu cette équation incompréhensible, et...
- Stop. Je t'arrête tout de suite, j'ai juste eu de la chance pour cette équation et j'aimerais que tu ne le dises pas aussi fort. Si j'ai eu 50 aujourd'hui c'est parce que c'est mon niveau c'est tout, réponds-je tout en me levant.
- Ah d'accord... je vois... désolée...
- Bon, bref Akatsuki-sensei m'attend, salut.
- Oui, à demain.
Je sors de la classe. Je n'ai qu'une envie : en finir rapidement avec la professeure puis rentrer dans ma chambre. Malheureusement, mes plans sont perturbés par Fuyuno qui m'attendait dans le couloir.
- Qu'est ce que tu veux ? demandé-je sèchement.
- Cesse de me parler sur ce ton veux-tu ? Je vais aller droit au but : qu'est-ce qui t'a pris ?
- De quoi tu parles ?
- Ta note. Je parle de ta note. Pourquoi tu as eu 50 ? demande-t-elle agacée.
- La question est plutôt : « Pourquoi je n'aurais pas 50 ? », réponds-je.
- Ne joue pas à ça. Pourquoi tu caches tes compétences ?
- Et pourquoi je te le dirais ? Qui te dit que ce n'est pas mon réel niveau, hein ?
- Je n'en crois pas un mot. Tu as résolu une équation de niveau universitaire avec tant d'aisance, c'est impossible que des cours de lycée soient trop difficiles pour toi.
- Tu n'as qu'à pas me croire je m'en fiche, en tout cas la prof m'attend alors laisse moi tranquille.
À ces mots, je pars et la laisse derrière. Il est temps d'aller voir l'enseignante.
Me voilà devant la salle des professeurs. Il n'y a personne dans ce couloir. Le silence de cet endroit est on ne peut plus reposant. La brise printanière caresse les feuilles des arbres et franchit la fenêtre pour venir à moi et me procurer ce petit frisson agréable caractéristique à cette saison... Mince, j'ai failli oublier la raison de ma présence ici. Revenu à moi, je toque puis entre dans la salle. Akatsuki-sensei m'attendait assise à un bureau, ma copie d'examen à la main. Visiblement je vais encore devoir subir ces questions...
- Yamatori, tu en as mis du temps...
- Kagami et Fuyuno m'ont retenu pour la même raison que vous...
- Je vois que tu connais déjà la raison de ta présence ici... Alors, tu peux m'expliquer ?
- Vous expliquer quoi ? J'ai eu 50 et alors ? J'ai la moyenne c'est...
- Non, ce n'est pas bon, me coupe-t-elle fermement, pas venant de toi. Et puis si ta copie était normale ça irait, mais ce n'est pas le cas.
Elle me montre ma copie. Elle la tient fermement et a l'air agacé par la situation.
- Regarde, tu peux m'expliquer ça ? Tu as répondu à une question sur deux, tu vas me dire que c'est normal ?
- Tiens ? C'est vrai, le hasard fait bien les choses...
Akatsuki-sensei se retourne vers son bureau, elle se tient la tête comme pour se calmer puis reste silencieuse quelques secondes. Elle reprend ensuite sans se tourner vers moi.
- Bon, tu ne me le diras jamais, j'ai bien compris, et comme ça m'agace je laisse passer, mais sache que tu gâches vraiment tes habiletés. Un jour tu t'en rendras bien compte.
- Si c'est tout ce que vous vouliez, je peux partir ?
- Oui, vas-y, bonne soirée... acquiesce-t-elle d'un air fatigué après un bruyant soupir.
J'en ai enfin fini. Je me dirige donc vers ma chambre pour finir la soirée. Le soleil commence tranquilement à se coucher, laissant petit à petit place au bel astre blanc. Les couloirs ne sont pas vraiment remplis, chacun vaque à ses occupations. Club scolaire, sortie entre amis, repas en famille... pour les gens sociables, les divertissements ne manquent pas. Mais pour moi, la meilleure des occupations est de ne rien faire.
Sur le chemin menant à ma chambre, j'aperçois Nakashima par la fenêtre. Elle a l'air de se disputer avec quelqu'un, une troisième année. Cela ne me concerne pas alors je continue ma route.
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