Le silence est un ami qui ne trahit jamais
Dans la soirée, l'air s'est brutalement alourdi, un orage va sûrement éclater. La nuit est difficile... Avec une telle chaleur, s'endormir relève de l'impossible. Je décide donc de sortir faire un tour. Il est une heure du matin et aucune trace de vie n'est à l'horizon. L'air est toujours aussi lourd mais une brise souffle de temps en temps. Le calme de cet endroit est vraiment agréable.
Le silence est la plus mélodieuse des musiques. À la fois calme et reposant, il peut être affûté et tranchant. Dans ce monde répétitif et ennuyeux, les différents conflits pourraient tous être réglés par ce silence, car c'est la puissance la plus redoutable pour qui sait le manier.
Quoi qu'il en soit, l'air commence peu à peu à s'alléger. Une brise maintenant plus forte souffle. Il est temps pour moi de rentrer dans ma chambre.
En passant devant la porte du dortoir des filles, j'aperçois Nakashima, assise à l'escalier, l'air pensive et affichant une triste mine.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demandé-je posément.
Elle ne m'avait visiblement pas remarqué puisqu'elle sursaute légèrement avant de me viser avec son regard dédaigneux habituel mais qu'elle ne fait qu'à mon égard.
- Ben ça se voit pas ? Je prends l'air parce que j'arrivais pas à dormir...
- Non, je ne pense pas que tu aurais mis ton uniforme scolaire juste pour faire un tour à une heure du mat'. Tu es ici depuis longtemps c'est ça ?
Elle change brusquement d'attitude. Elle regarde le sol et parle moins fort.
- Tu sais toujours comment toucher les points sensibles hein ?
Elle fait une légère pause avant de lever le regard vers moi. Ses yeux sont emplis de tristesse. Elle reprend donc.
- Comme tu l'as dit, je suis là depuis le début et je commence à avoir froid...
- Pourquoi tu ne rentres pas ?
- Si je pouvais je l'aurais fait !
Sa voix est de plus en plus faible, elle est à deux doigts de fondre en larmes.
- Je n'ai nulle part où aller cette nuit...
- Et Kagami ? Elle peut t'héberger pour une nuit, non ?
- Sacchan a déjà une colocataire, et je ne veux pas l'embêter...
- Et il n'y a personne d'autre ?
- Non.
Elle commence à trembler. La brise s'est faite de plus en plus forte. Soudain, le bruit tonitruant du tonnerre retentit. L'orage a finalement éclaté.
La pluie asperge tout. Des ruisseaux s'écoulent vers les égouts et le vent se fait de plus en plus fort. Nakashima est recroquevillée sur l'escalier et se serre les bras pour tenter désespérément de se réchauffer. Cette vue ne me laisse pas le choix.
- Ah là là... J'ai pas le choix on dirait... dis-je.
- Quoi ? demande Nakashima.
- Je vais t'héberger pour cette nuit... lui réponds-je sans motivation
- Mais... C'est le dortoir des garçons !
- Et alors, il te suffit de partir plus tôt et personne te verra.
- Mais je croyais que...
- C'est pas le moment de discuter, je vais pas te laisser sous l'orage, j'aurais mauvaise conscience, suis-moi et ferme-la.
Elle s'exécute et me suit sans broncher. Arrivés dans ma chambre je m'assois sur le lit et lui propose de prendre une douche.
- J'ai pas confiance en toi, dit-elle, c'est malsain de dormir dans la même pièce que toi...
- Si t'as pas envie va dormir sous la pluie...
- (Elle fait un léger soupir) Bon, d'accord, j'accepte mais t'as pas intérêt à faire le pervers, hein ?
- Ouais, ouais...
Je lui donne une serviette propre et elle entre dans la salle de bain. Pendant ce temps, je me dirige vers la cuisine pour y préparer quelque chose. Une fois sa douche terminée, elle s'assoit sur mon lit et sèche ses cheveux.
- T'as pas de coloc' ? me demande-t-elle
Sa voix a changé, elle ressemble plus à celle qu'elle avait au tout début de l'année. Je lui réponds depuis la cuisine.
- J'ai écrit une lettre au directeur pour demander d'être seul.
- Je vois... Toujours aussi asocial...
Un silence a alors pris place. La seule chose que l'on entend est le bruit de la cuisine. Au bout de quelques minutes, Nakashima brise ce silence avec une voix hésitante.
- Dis...
- Quoi ?
- Pourquoi tu m'héberges ? Je croyais que tu me détestais...
- C'est vrai que t'es insupportable parfois... dis-je en sortant de la cuisine une assiette à la main, mais je ne te déteste pas. Je ne t'aime pas non plus, en fait t'es juste une humaine parmi tant d'autres.
- Je vois... dit-elle en fixant le sol.
La météo ne s'est pas améliorée. Il pleut toujours à flots et le tonnerre gronde fortement. Quoi qu'il en soit, je tends l'assiette à Nakashima qui a l'air surprise.
- Pourquoi ?
- Tu n'as pas dîné, je me trompe ? Alors mange, c'est pas empoisonné.
- D'accord...
Elle attaque donc son plat. Après la première bouchée, elle fait de grands yeux et enchaîne ensuite rapidement sans s'arrêter jusqu'à finir son repas préparé en vitesse. Une fois repue, elle me regarde d'un air satisfait.
- C'est super bon, tu cuisines super bien !
- Merci.
Elle change d'expression et reprend son regard dédaigneux.
- Si t'étais pas asocial, t'aurais pas mal d'amis...
- Dis-moi, Nakashima, j'ai une question.
- Quoi ? dit-elle ennuyée.
- C'est laquelle ta vraie personnalité ? Celle que t'as avec moi, où celle que t'as avec tous les autres ?
- Hein ? Euh.. N-Non m-ais qu'est ce que tu crois ? J-J'ai pas cette expression qu'avec toi, hein... ! Te sens pas privilégié ! répond-elle en parlant vite et en rougissant quelque peu.
- Je vois, ça me rassure.
Elle regarde ensuite le sol durant de longues secondes puis esquisse un léger sourire. Sans détourner le regard de mon parquet, elle entame à nouveau une discussion.
- T'es bizarre, tu sais ? Tu m'héberges et tu me demandes même pas pourquoi je peux pas dormir dans ma chambre...
- Qui me dit que tu veux en parler ? Et de toute façon je pense le savoir.
- C'est vrai ? dit-elle en s'approchant un peu trop près de moi, alors vas-y dis-moi !
- C'est à cause de ta colocataire, n'est-ce pas ?
- Comment tu le sais ? dit-elle étonnée.
- Je vous ai vues vous disputer.
- Je vois... C'est pour ça... Eh bien tu as raison. En fait on ne s'entend jamais. Iroiro-senpai ne me respecte pas et me crie dessus tout le temps. C'est une troisième année et elle passe son temps à me prendre de haut. Elle invite souvent ses amis dans notre chambre et me demande de partir... Aujourd'hui elle m'a demandé de ne pas revenir jusqu'au matin car elle allait s'amuser avec ses amies toute la nuit...
- Pourquoi t'as pas changé de chambre ?
- Parce que c'est trop compliqué administrativement et que ça reste supportable. Et puis on change à la fin du semestre alors j'ai juste à attendre.
- Je vois, dis-je calmement et sans motivation, bref, il est l'heure de dormir, je te laisse le lit.
- Hein ? T'es sûr ?
- Oui, j'ai l'habitude des nuits blanches.
- Tu vas pas en profiter pour faire des choses bizarres ?
- Pour qui tu me prends ? C'est pas comme si tu m'attirais, quand tu partiras je vais m'empresser de laver mes draps trois ou quatre fois...
- Ah d'accord, alors bonne nuit imbécile, dit-elle avec mépris.
Nakashima passe un certain temps à bouger. J'imagine qu'elle ne trouve pas le sommeil. Mais peu à peu ses membres s’engourdissent, et sa pensée s'assoupit. La nuit est vite passée. L'orage a continué jusqu'à l'aube et l'air s'est complètement allégé. La nuit apporte son calme habituel. Le vent souffle légèrement et fait se frotter les feuilles d'arbre entre elles. Parfois, on entend le hibou chanter. Cette mélodie est celle qui accompagne le mieux le silence. Elle est aussi reposante qu'une nuit de sommeil. J'aime très peu de choses. Mais si je devais citer une chose que j'aime, alors c'est bien le silence. C'est pourquoi je me délecte de chaque moment de calme qui s'offre à moi. Ce sont les seuls instants plaisants et non ennuyeux qu'offre ce monde. Fort heureusement, Nakashima ne ronfle pas, je peux donc rester tranquille.
Aux alentours de six heures du matin, mon invitée se lève et se prépare à retourner dans sa chambre. Elle porte encore le même pendentif. Alors qu'elle s’apprête à sortir, elle esquisse alors un sourire narquois.
- Merci de m'avoir hébergée mais ne t'attends pas à ce que je sois plus gentille, hein ?
- J'ai pas besoin de ta gentillesse, réponds-je froidement.
Elle tourne la tête d'un geste brusque pour me faire comprendre qu'elle est vexée. Ensuite, elle fixe le mur quelques secondes avant de me regarder timidement.
- Au fait, à partir de maintenant, évite de venir me parler pendant cette semaine, s'il te plaît.
- Juste cette semaine ?
- Oui, tu comprendras sûrement bientôt.
- Bah.. De toute façon je comptais pas te parler tout court...
- Hmph, sale asocial... dit-elle en quittant ma chambre.
Il reste deux heures avant le début des cours. Le calme règne dans les couloirs, tout le monde dort encore. Le soleil tape déjà fort. L'été est bientôt là et le temps ne se prive pas de le montrer. Sans aucune motivation, je mets mes draps à laver puis je me prépare. Une autre journée ennuyante est à prévoir.
Annotations