LXVIII. Quelque chose s'achève...

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Lorsque le vacarme assourdissant de la tempête se tut, Maya fit voler en mille morceaux leur cocon de glace. Le ciel était à nouveau illuminé par les lueurs matinales des brumes alentours, envahi de fumées et de braises rougeoyantes. Éblouis par cette clarté soudaine, les quatre amis peinèrent à reprendre leurs esprits.

Immédiatement à l'affût, Arse balaya  du regard la plaine jonchée de cadavres. Juste en face de lui, debout malgré le Vent encore puissant, se tenait la silhouette enrobée de blanc de Maëross. Immobile. Sans hésitation, le Calciné s'élança vers lui, suivi de ses trois amis, moins confiants. L'Immaculé ne bougea pas d'un cil. Puis, soudain, il tendit le bras vers le lézard et un fin ver violet en jaillit, fusant à toute vitesse vers sa poitrine. Stupéfait, Arse eut à peine le temps de l'esquiver. Le ver finissait sa trajectoire dans la poussière que, déjà, un autre projectile fonçait sur lui. Suivi d'un autre, puis d'un suivant, à un rythme effréné...

Agile, le Calciné les esquivait sans la moindre difficulté tant leurs mouvements étaient prévisibles mais ils le forçaient à s'épuiser avant leur ultime affrontement. Plus il se rapprochait, plus il discernait le sourire jubilant de son adversaire. D'un, regard, entre deux tirs, il s'assura que ses compagnons le suivaient toujours. Juste à sa gauche, Maya flottait dans les brumes qu'elle manipulait. Derrière elle, Feorl, sous forme de loup, bondissait avec habileté par dessus les coulées de lave, les roches et autres obstacles. Seule Saylin, à sa droite, courait sans user de ses pouvoirs. 

La vision d'un tir violacé vers lui le sortit de ses contemplations. In extremis, il roula sur le côté, se releva d'un saut puis reprit sa course. Maëross n'était plus qu'à une centaine de mètre, toujours planté dans la poussière. Avec un sourire carnassier et l'envie d'en découdre, Arse amena les flammes à ses poings. Tandis qu'un autre tir fonçait sur lui, il l'écarta d'un de ses avant-bras léchés par le feu et l'envoya s’écraser dans la cendre, sans une douleur. Alors qu'il s'attendait à une moue déçue ou de hargne, le Calciné fut surpris de ne distinguer qu'une expression de pur plaisir sur le visage de l'Immaculé. 

" Ton protégé, Silassia, me semble un peu trop coriace... souffla-t-il, assez fort pour que les quatre compagnons l'entendent. Et si... je changeais de cible ?"

Aussitôt, Maëross pointa sa main vers Saylin. Un ver s'en extirpa et fila, comme une flèche, inexorable, vers la tête de la jeune fille. Celle-ci le remarqua d'un coup d’œil, étonnée mais pas inquiétée, alors qu'Arse assistait avec horreur à la scène, impuissant. Au moment où le serviteur du Chaos allait transpercer Saylin, un mur de glace, solide comme le métal, s'éleva entre les deux. La Siffleuse se tourna brusquement vers Maya, dont la marque luisait avec ardeur. 

Arse s'autorisa enfin à respirer. Mais, tandis qu'il détournait enfin ses yeux de son amie, il distingua un autre rayon violet, en plein dans sa direction. Inévitable. Dans moins de quelques secondes, il l'atteindrait. Pas le temps de réagir. Juste d'attendre la mort. Si près du but, et pourtant si loin... N'y avait-il aucune chance pour le bien de triompher ? Cette lutte h'avait-elle été qu'une cause perdue d'avance ? Aurait-il dû écouter les conseils qu'on lui avait donné et ne pas se mettre en danger ? Cela aurait peut-être empêché la fin du monde...

Tandis qu'il fermait les paupières, prêt pour le choc, un hurlement résonna à ses oreilles. Un hurlement féminin. Maya. Alarmé, il rouvrit les yeux. La Reflétée fonçait devant lui, pile dans la trajectoire du tir, à une vitesse prodigieuse, surnaturelle. L'aura bleutée qui s'émanait de son front avait inondé l’entièreté de son corps. Elle n'était plus qu'une silhouette bleue dans une brume scintillante. 

Arse n'eut pas le temps de hurler. De lui dire "non". De lui expliquer qu'elle n'avait pas besoin de faire ça. Qu'il refusait de se savoir en vie grâce à son sacrifice. Que ses battements de cœur seraient dérisoires si les siens ne les accompagnaient pas. Sa vie ne valait pas la mort de la jeune fille. Un tourbillon d'émotions, floues, tumultueuses, fulgurantes, se succédaient à une vitesse hallucinantes dans son esprit. Sans pour autant qu'il ait le temps d’esquisser le moindre geste. Le temps semblait avoir ralenti. Chaque millième de seconde durait une éternité. Une éternité d'impuissance et de frustration. Mais plus que cela, de chagrin. Durant son existence, tout ce qu'il avait espéré conserver pour toujours s'était envolé. Sa famille, sa sœur, son foyer, ses certitudes... Et maintenant son amour. Il ne craignait pas de la nommer ainsi, car c'était ce que son cœur lui criait. Il ne lui avait jamais dit, elle ne lui avait jamais dit. Et pourtant, ils le savaient tous deux. Bientôt, l'éclat de ses cheveux blancs comme neige ne serait qu'un vague souvenir. Un souvenir douloureux, plein de regrets, de manque, d'oublis. Il aurait aimé faire tant de choses à ses côtés. Lui partager tant de sentiments... Et voilà qu'elle se préparait à le quitter. Cette pensée, bien qu'elle ne durât que quelques millièmes de seconde, lui était insupportable. Comment pourrait-il continuer de vivre tout ne sachant qu'il l'avait laissée sur le bord du chemin ? 

Soudain, le temps sembla reprendre son cours habituel. La silhouette nimbée de lumière de Maya, dont le cri touchait à sa fin, passa juste devant Arse alors que le ver devait l'atteindre. Rien. Aucune douleur. Pourtant, le corps de la jeune fille perdit instantanément de son éclat et s'écrasa lourdement au sol, roula dans la poussière puis s'immobilisa, la poitrine transpercée d'une blessure béante, noirâtre aux reflets violacés. Le Calciné, sans réfléchir, aveuglé par son cœur, bondit auprès du corps. Avec une délicatesse insoupçonnée, il attrapa la tête encadrée d'une belle chevelure immaculée, dont l'éclat semblait s'être terni. Au coin de ses grands yeux noisette luisait une fine larme, perle d'adieu. Un rythme quasi imperceptible animait son cœur tandis qu'un gémissement rauque franchissait ses lèvres à chaque respiration. Alors qu'elle ouvrait doucement la bouche, Arse lui chuchota, la gorge nouée :

" Ne parle pas. Garde tes forces, tu vas sortir de là... Feorl ?"

La jeune fille remua avec fébrilité la tête en signe de dénégation. 

" Je... Je suis née pour... Je suis née pour ça... articula-t-elle péniblement, tandis qu'une larme roulait sur sa joue livide. 

— Non, non, non... Reste avec moi... je t'en prie... Reste avec moi...

— Je pars heureuse Arse... Je pars avec toi comme dernière image... Ne pleure pas, ne souille pas ce jour de tes larmes... Si les Calcinés pleurent, qui gardera courage ? Sauve cette terre où nous avions tant à faire... Donne de l'espoir... Sois leur guide, la lanterne que j'ai voulu être...

— Tu l'es... Et tu la resteras... souffla le Calciné en la berçant dans ses bras.Tu ne peux pas partir, tu ne peux pas...

— Si... Je le dois... C'est mon devoir... Auprès de toi, auprès de ma déesse... Je suis née pour te rencontrer... Pour t'accompagner et pour, le moment venu... Te permettre de vivre...

— Mais je ne veux pas, je ne peux pas... Pas sans toi.

— Vis pour moi Arse. Garde espoir pour moi. Sois heureux, et quand le temps viendra, rejoins-moi, fier d'une belle et longue vie... Heureux... S'il te plaît... Laisse-moi partir, je veux mourir heureuse... Et je le suis... "

La respiration de la Reflétée se faisait de plus en plus difficile, entrecoupée de gémissements. Sa seule et unique larme s'écrasa au sol alors qu'Arse lui murmura au creux de l'oreille, le visage enfoui dans ses cheveux :

" D'accord... je te le promets... Sois heureuse, je te rejoindrai tôt ou tard, quand tout sera fini.. Va Maya... Va en paix..."

Aussitôt, le cœur de la jeune fille arrêta son tambourinement irrégulier. Son souffle cessa de la même manière alors que le voile vitreux de la mort recouvrait ses beaux yeux noisette. Un mince sourire s'était esquissé sur ses lèvres, sourire qu'elle emportait dans son éternel repos.

Son regard de braise inondé de larmes, le Calciné reposa doucement la tête au sol, en ferma les paupières, se releva et balaya du regard ses deux amis. Saylin fixait le vague, les joues rougies par les larmes. Ses mains trituraient avec détresse son bâton tandis qu'elle laissait libre cours à ses sentiments. Feorl, lui, s'était interposé entre eux et Maëross, les crocs découverts, la queue battante, le poil hérissé. Arse savait combien il chérissait la Reflétée et son esprit vif, gai, innocent...

Envahi par les images de la rayonnante jeune fille qu'il venait de quitter, une vague de rage déferla en l'esprit du Calciné. Incontrôlable, inéluctable, irraisonnable. Il refusait de celles de Maëross, toujours jubilant. D'une rage pourtant glaciale, Arse libéra le brasier qu'il sentait tempêter en lui, emportant tout sur son passage. 

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