Partie 02 : Visite au campement

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Seule dans la tranquillité de la chambre qu'elle aoccupe maintenant chez les Diallo, Dilane se plante devant son psyché et, tremblante, soulève sa robe pour en découvrir entièrement ses jambes. Quelques jours aupravant, elle s'est vue offrir la possibilité d'acquérir une prothèse tibiale plus adpatée à sa taille actuelle. Les recherches dans ce domaine ayant fait beaucoup de progrès en une bonne dizaine d'années, la jeune femme a été très étonnée de constater la multitude de questions que l'othoprothésiste lui avait posées. Pratiquez-vous un sport ? Quelle taille faites-vous ? Pour quel poids ? Souhaitez-vous un recouvrement esthétique qui s'adapte à votre carnation ? Devez-vous gravir des escaliers de façon régulière ? Le silence du praticien avait été assourdissant en apprenant comment et pour quelles raisons Dilane n'avait pas été suivie pour son handicap... Fanta l'avait accompagnée lors de ce rendez-vous et avait insisté pour que Dilane puisse bénéficier du meilleur service qui soit. Babette avait pris le relais le jour où la jeune femme avait découvert sa nouvelle prothèse. Et elle en reste encore interdite. Face à son reflet, Dilane contemple l'aspect très réel de sa prothèse. Les orteils sont même parfaitement fabriqués et il est même possible de leur appliquer un vernis... La séparation entre son genou et l'emboiture de la prothèse est maintenant beaucoup plus discrète. Je ne boite plus... enfin, presque plus...

Puis fanta apparaît dans l'embrasure de la porte et Dilane relâche prestement sa robe, vieux réflexe désormais difficile à retenir.

- Tu ne devrais plus trop tarder sinon tu rateras ton train, ma chérie.

- Oui, je me dépêche.

Dilane récupère rapidement son petit sac, dépose un baiser sur la joue de Fanta, sourit timidement dans un gest de la main à un Mo occupé à bricoler dans son garage, et s'empresse de rejoindre la gare en direction du campement établi par la communauté. Au vu de la période de l'année, il lui a été facile d'en déduire l'emplacement géographique puisque les voyages sont devenus des roulement réguliers dans le même département depuis de nombreuses années. Encore pudique et sans trop en réaliser la cause, elle avait insisté pour tenir Fanta et Babette à l'écart de ce voyage. Ce n'est qu'une formalité... Une marque de courtoisie très fortement encouragée par les femmes qui l'entourent désormais. Presque à contrecœur, elle avait accepté, espérant secrètement qu'elles la laisseraient tranquille après cet effort. Mais en réalité, la peur la tient. De toutes ses forces. Avec fébrilité, elle s'avance au-devant de la gare, un édifice massif et très classique, pénètre à l'intérieur, ressent cet air lourd et poussiéreux tomber sur ses épaules, composte son billet et rejoins le quai.

À sa droite, un jeune couple s'embrasse avec fougue et avidité, comme s'ils tentaient de faire en sorte que personne ne puisse jamais les séparer. Le monde extérieur ne semble plus exister pour eux. Ils sont seuls, ensemble et, entre deux baisers adolescents, se regardent tendrement, avec cette pointe de malice qui rappellerait à un observateur attentif qu'ils résistent à la tempête de leur jeunesse.

Un homme pressé passe devant Dilane, les yeux rivés sur son téléphone portable dernier cri, traînant une grosse valise à roulettes dans le rythme saccadé de sa course.

Un petit groupe de jeunes hommes, à la chevelure ebourriffée, bavarde en rassemblant leurs affaires et ce qui ressemble à des instruments de musique dans leurs étuis imposants.

L'arrivée imminente du train se fait entendre par une annonce, Dilane se redresse par réflexe, recule d'un pas pour éviter de subir la bourrasque provoquée par la vitesse des wagons et se prend à penser qu'il serait mieux de ne pas rendre visite à sa famille tzigane. Ne te défausse pas, Dilane. Tu montes dans ce train et tu prouves à la communauté que tu es plus qu'une pauvre petite handicapée... Alors, patiemment, la jeune femme trouve un siège seul, et reprend son observation de la foule qui se masse jusqu'à ce que le véhicule se remette en route.

..............................

En descendant sur le quai de sa destination, Dilane s'encourage par la pensée. Plus moyen de s'enfuir. En chemin, elle se rappelle son errance précipitée et les souvenirs qu'elle avait refoulés au plus profond d'elle-même jaillissent avec une force qu'elle ne leur soupçonnait pas. Elle se laisse tellement absorber par ses réflexions qu'elle est presque surprise d'arriver aussi vite aux abords du campement. Une rapide vérification visuelle lui permet de reconnaître au loin la roulotte de sa grand-mère et de sa cousine. Un instant figée derrière le grillage qui autrefois lui donnait la sensation de barrer toutes ses espérances, elle aperçoit Cezar, toujours perché sur son tricycle adapté. Une vague d'amour envahit soudain son cœur tout entier et Dilane se retient de le héler pour ne pas trop attirer l'attention. Mais c'est sans compter sur le lien invisible et irrationnel qui unit ces deux êtres puisque Cezar arrête brusquement sa course et tourne ses grands yeux noirs vers elle. En l'espace de quelques secondes, il se précipite vers le grillage, tout sourire et criant de joie. 

Interloquée par cette agitation, Cosmina surgit de sa roulotte, son bébé dans les bras, et s'aperçoit de la présence de sa cousine. Soudain nerveuse quant à l'accueil que cette dernière lui réserve puisqu'elle était absente lors de son départ, Dilane se raidit.

- Bonjour, Dilane... ma cousine.

- Salut...

Un ange passe sans que Cezar ne cesse de s'agiter vers Dilane, puis un immense et sublime sourire s'affiche sur le visage de Cosmina.

- Ne reste pas derrière ce grillage ! Entre ! Tu vois bien que mon frère t'attend de pied ferme !

- Merci...

Les yeux embués d'émotion, Dilane s'avance, ouvre les bras vers Cezar qui s'y précipite sans demander son reste. La jeune femme serre contre elle ce petit garçon si innocent. Elle respire l'odeur de ses cheveux bouclés comme si elle la découvrait pour la première fois. Elle le berce et sent son petit cœur battre presque à l'unisson avec le sien. 

Assise sur une chaise un peu en retrait de la roulotte de Cosmina, Dilane joue avec son protégé qui s'anime inlassablement de grands éclats de rire qui explosent dans l'air comme tout rire d'enfant heureux. Puis, la jeune maman vient lui présenter son premier né. Un garçon.

- Je te présente mon fils, Iulian.

- Félicitations... Tu es radieuse...

Dans un sourire que d'aucun pourrait croire désabusé, Cosmina accepte le compliment et reste silencieuse. La complicité qui lie les deux jeunes femmes depuis toujours s'installe à nouveau, le plus naturellement du monde, comme si Dilane n'était jamais partie. Elles se comprennent sans aucun mot, sans rond de jambe surfait. Elles sont connectées, égales et tellement différentes l'une de l'autre. Dilane s'aperçoit alors que la vie continue ici aussi, mais que l'intensité des liens familiaux perdure. Émue à cette idée, la jeune femme n'a pas le temps de demander des nouvelles d'Ilinka puisque cette dernière sort de sa roulotte et se fige de surprise en voyant sa petite-fille qu'elle croyait avoir perdue pour toujours...

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