Partie 02 : Croisements
Quelques semaines plus tard, Dilane profite d'un moment de calme pour faire le point sur les réservations effectuées quand Babette surgit telle une tempête, tout sourire et endimanchée comme jamais.
- Coucou, ma petite chériiiiie !
- Bonjour Bet' ! Comme tu es élégante !
- Merci ! Bon, il faut que je me sauve, j'ai une après-midi très... chargée chez Olympe, tu sais, une des amies que je t'ai présentée et avec qui j'ai l'habitude d'aller au bal et faire des soirées en tous genres, tu te souviens ?
- Oui, bien sûr !
- Je vais probablement rentrer tard, j'ai snappé Lucien et je pense passer ensuite la soirée avec lui ! Je vais le faire swinguer, le p'tit père, j'aime autant te le dire ! Ahahahaha !
- ... Ok, je t'en prie, Babette, ne m'en dis pas plus...
- D'accord, d'accord ! Ah au fait, j'avais rendez-vous avec Théo Sacchetti. Je l'ai prévenu de mon absence et comme il faut absolument faire un premier bilan sur l'avancée des travaux, je lui ai indiqué que tu serais disponible pour répondre à ses questions et convenir de la suite.
- Comment ?! Mais...
- Ne t'inquiète pas, tu as assisté à toutes les entrevues jusqu'à maintenant, tu sauras très bien te débrouiller sans moi aujourd'hui !
- Oui, mais...
- Oui mais quoi ? Tu vas pouvoir profiter de son regard de velooouuuuurs ! RRRrrrrrr ! Allez, je me sauve !
Après un clin d'œil malicieux au possible, Babette quitte une Dilane soudain fébrile. Les mois qui se sont écoulés depuis le début du chantier ont certes été animés par les passages de Théo, toujours très remarqués, voire même marquants. En l'espace d'un instant, la jeune femme se surprend à revoir son sourire, ses yeux posés sur elle avec bienveillance et respect. Oui, c'est bien ça. Du respect. Rien à comparer à l'attitude souvent dédaigneuse ou au moins réductrice des hommes de la communauté envers elle. Théo, lui, l'a considérée jusqu'à maintenant comme la petite protégée évidente de sa cliente, celle qui prendrait sa suite, et surtout comme une égale. À cette constatation, elle sourit et continue distraitement ce sur quoi elle ne parvient plus à se concentrer.
Anthony la surprend dans cet état un moment plus tard.
- Dis-moi donc ce qui te fait sourire de cette façon, mon amie.
Comme une enfant prise sur le fait, Dilane sursaute et tente tant bien que mal de sauver les apparences. Mais les yeux rieurs de son collègue ont raison de cet effort.
- Babette m'a demandé de prendre ton relais à l'accueil au besoin quand tu auras rendez-vous avec ton beau gosse.
Dilane se redresse, soupire et pose sa tête sur ses bras, désespérée. Le rire tendre d'Anthony l'amuse toutefois et elle le regarde enfin en souriant sincèrement. Sur le ton de la confidence, il se penche vers elle, une lueur brillant au fond de ses yeux.
- Allez, tu peux me l'avouer. Je veux bien être ton confident, tu sais. Et puis, tu peux me soutenir que tu n'as pas besoin d'un homme dans ta vie mais... c'est vrai qu'il est séduisant ton chef d'entreprise...
- Anthony, je ne serai pas crédible un seul instant sans l'aide de Babette...
- Ah, si tu te laisses troubler par son sourire enjôleur, non. Mais si tu lui montres que tu as du répondant, assurément...
- Je ne me reconnais pas...
- Tu vis ta vie. Celle que tu as choisie. Ta jambe de bois ne résume pas qui tu es !
- ...
- Oh, je connais ce regard noir ! Je plaisantais sur ta jambe ! Ahahaha ! Mais pas sur l'idée... Alors, respire, un peu ! Et...
Anthony n'a pas le temps de terminer sa phrase que Théo Sacchetti, droit et fier, passe la porte du hall d'accueil, retire se lunettes de soleil et tend la main vers Dilane pour la saluer du plus délicieux des bonjour. Dilane se redresse et répond prestement à la politesse. Amusé par la situation, Anthony salue Théo et prend la place de sa collègue. Cette dernière, encore surprise, décide de prendre les choses en main et l'invite à s'installer dans la grand bibliothèque de Babette.
L'entrevue se déroule de façon tout à fait cordiale, et les deux jeunes gens se laissent peu à peu aller à une conversation plus informelle. Théo se lève et parcourt lentement les rangées de livres avant de planter ses yeux azur sur Dilane.
- Je constate que la littérature n'a aucun secret pour vous.
- Oh, cette pièce n'est pas le fruit de ma vie. Mais Babette m'a permis de m'y plonger aussi souvent que possible, et je le vois comme un cadeau inestimable.
- Vous avez parfaitement raison ! Une histoire nous permet de vivre une expérience au-delà du voyage ou de l'évasion. Une vraie introspection, une découverte de nous-mêmes, en somme !
- ... Je vous avoue être troublée par vos idées qui correspondent aux miennes en tous points... et vous êtes bien la première personne à les formuler de la même façon !
- Ah ? Alors, je vais de ce pas créer pour nous la carte platine des amoureux des livres ! Nous serons deux, c'est déjà bien, non ?
Le rire de Théo, spontané et franc, résonne alors dans la pièce comme une pluie éclatante de couleurs. Dilane l'accompagne de bon cœur, celui qu'elle voudrait protéger mais qu'elle ne parvient pas à empêcher de bondir à la vue de cet homme. Cet homme qui, peu à peu, lui parle de philosophie, lui apprend qu'il s'intéresse à la théologie, lui fait part de sa vision des relations hommes-femmes, entre autres sujets passionnants. Cet homme qui prend soin de la regarder dans les yeux sans se focaliser sur cette prothèse tibiale encore trop voyante pour elle. Cet homme qu'elle craint pourtant inaccessible puisqu'ils sont censés entretenir des relations professionnelles et parce qu'un charme comme le sien ne laisse assurément pas indifférente la moindre demoiselle qui croise sa route au quotidien.
- Pourrai-je vous contacter par téléphone également, Dilane ?
- Oui, bien sûr... J'imagine que vous devez être très sollicité. Si cela peut vous arranger...
- Parfait !
- D'ailleurs, j'en profite pour vous informer que Babette a tenté en vain de joindre Monsieur Lipos.
- Ah ! Oui, c'est tout à fait normal. Monsieur Lipos ne travaille plus pour moi. Divergence de points te vue irréconciliables. Autant ne pas s'étendre à son sujet. Les gens, Dilane. Les gens...
Sur l'instant, Dilane sourit en coin, puis tente de se contenir, mais Théo remarque ce changement.
- Je vois que cette idée vous amuse... ahaha...
- Oh, à vrai dire, pour être vraiment honnête avec vous, j'ai la capacité de ressentir les personnes qui me font face grâce à ce que certains appellent l'intuition... Je sentais depuis longtemps que votre duo n'allait pas tenir la longueur... et j'avoue être plutôt soulagée de ne plus avoir à parlementer avec lui !
- Ahahahaha ! Je comprends tout à fait votre soulagement !
Théo s'avance alors vers Dilane, lui serre la main en posant l'autre dessus, et reprend.
- Soyez assurée que je serai votre seul et unique interlocuteur.
La chemise ouverte sur sa chaîne en or et un début de pilosité étrangement déroutante laisse la jeune femme muette. Une chevalière orne la main de Théo. L'odeur de son parfum la saisit et l'entoure d'une légèreté aussi inattendue qu'irrésistible. C'est à peine si elle a la contenance nécessaire pour l'accompagner vers la sortie en évitant d'énoncer des niaiseries.
Théo parti, Dilane referme la porte sur elle et se laisse aller à un fou rire en compagnie d'Anthony.
- Alors, ma belle, raconte !
Dilane se calme et reste pensive.
- Théo Sacchetti est une énigme. Inaccesible. Terriblement beau. Probablement admirateur de ce que je considère comme les pires canons de beauté de notre époque. Mais cultivé. Ouvert. Cérébral.
- Et ?
- ... et... jamais il ne me verra autrement parce que je ne correspond surement pas à ce qu'il recherche... si tant est qu'il soit dans une recherche...
La nuit venue, Dilane se couche le cœur lourd et les pensées les plus douces pourtant tournées vers celui qui la perturbe autant...
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