Transformation

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Un jour, en passant chez lui, je m'aperçus d'un changement chez Lev. Il avait les cheveux courts... Cela me fit un tel choc que j’en restais muette un instant.

— Eh bien ? me fit-il en levant un sourcil. Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu as coupé tes cheveux ? demandai-je en m'approchant.

— Oui, répondit-il en se plantant devant moi, les mains dans les poches. J'en avais marre de cette masse lourde. En plus, ça faisait négligé.

Je tendis la main pour toucher les dix centimètres qui lui restaient sur le crâne, incrédule.

— Ça te donne un air complètement différent, murmurai-je.

— J'espère bien ! fit-il en passant à son tour la main dans ses cheveux.

Toujours aussi raides et épais, ces derniers se dressaient désormais sur sa tête en pointes effilées, et ils semblaient désormais entièrement blancs. Maintenant qu'il avait perdu sa longueur de seigneur elfique, Lev semblait avoir un visage beaucoup plus triangulaire et délicat, et toute l'aura sombre chez lui avait disparu. En fait, il avait l'air beaucoup plus gentil, car sa nouvelle coupe lui dégageait complètement les traits. Ce n’est pas que j'aimais pas, c'est juste que j'avais l'impression de me trouver devant un autre homme, n'ayant plus rien à voir avec le prince Tchevsky.

— Mais moi, j'aimais bien comme tu étais avant. Là, on dirait… que c'est pas toi.

Lev se mit à rire.

— Et c'est quoi, moi ? Dis plutôt que tu me préférais avec les cheveux longs car c'était plus proche de l'image que tu te faisais de ton mec idéal, un hard-rocker chevelu.

— C'est toi mon mec idéal, personne d'autre, protestai-je. C'est juste que je t'ai toujours connu comme ça, alors ça fait bizarre, c'est tout.

— Ça fait six mois qu'on se connait Fassa, soupira Lev, alors ne dis pas que tu m'as toujours connu comme ça.

— Vu la longueur qu'avaient tes cheveux, ça devait faire un paquet d'années qu'ils n'avaient pas connu le ciseau, lui fis-je remarquer.

— Oui, parce que j'étais un jeune nerd tout droit débarqué d'ex-URSS, fit Lev en souriant. Et que les cheveux longs, là-bas, ça fait novaritchi.

— N'importe quoi, pouffais-je. En tout cas, le jour où tu veux te teindre les cheveux, préviens-moi avant.

— Promis, dit-il en m'embrassant sur le front.

Je l'observai alors qu'il s'activait à chercher quelque chose dans ses affaires. Sa nouvelle coiffure lui allait bien, mais j'avais toujours trouvé ses longs cheveux gris-argent terriblement sexy. Pour moi, cela faisait partie intégrante du sex-appeal de Lev, et il avait tout coupé. Même s'il les avait toujours attachés pendant la journée, j'adorais voir cette masse brillante et argentée tomber dans son dos lorsqu'il sortait de la douche. Et quand j'étais au lit avec lui, je m'amusais avec. Cette longue chevelure participait au caractère irréel du physique de Lev, ça lui donnait un air de prince charmant. Maintenant, il ressemblait presque à n'importe quel russo-finnois.

— Tiens, me dit-il soudain en me lançant un objet dans les mains. Puisque tu faisais une telle fixation sur mes cheveux, j'ai pensé que tu voudrais garder ça comme fétiche.

C'était une queue de cheval de quarante centimètres de cheveux d'un blanc lunaire, retenue au bout par un nœud serré. Les cheveux de Lev. Je les caressai amoureusement, comme si c'était tout ce qui me restait de lui.

— Merci d'y avoir pensé, murmurai-je en les passant contre ma joue.

— T'es vraiment une dingue, Fassa, fit Lev en riant. Finalement, je ne sais pas si c'est une très bonne idée de t'encourager dans cette voie-là. Parfois, tu me fais peur !

— C'est hallucinant, tes cheveux, dis-je en les regardant avec fascination. On ne dirait pas des cheveux humains.

— C'est exactement ce qu'a dit le coiffeur, et ça m'a encore plus encouragé à les couper, répondit Lev. Ensuite, je lui ai demandé de me donner la queue de cheveux qu'il avait coupé en premier pour ne pas qu'il les vende.

— Oui, c'est ce que font les coiffeurs. Si tu ne l'avais pas fait, tu aurais pu croiser une minette avec des extensions cyber-punk, faites avec tes cheveux. Ou quelqu'un les aurait ramassés pour faire de la sorcellerie avec !

Lev me jeta un regard coupant, un demi-sourire sur les lèvres.

— Toi, t'as pas intérêt à faire ça. Sinon, je coupe les tiens pendant ton sommeil pour faire la même chose.

— Qu'est-ce que tu me jetterais comme sort ? fis-je en passant mes bras autour de son cou.

— Je sais pas, un truc horrible.

— Tu ne pourrais pas, lui murmurai-je avec un sourire.

Les coins de la bouche de Lev remontèrent.

— Oui, c'est vrai, dit-il avant de m’embrasser.

Gudrun, Martii et Helmut rencontrèrent Lev quelque temps après, lorsque je lui avais demandé de venir me chercher à une soirée à laquelle j'avais eu l'intention, au départ, qu'il m'y accompagne. Mais Lev semblait quelque peu réticent à frayer avec mon entourage et il avait toujours de bonnes excuses pour ne pas venir, quand je lui demandais de m'accompagner à un endroit où il savait qu'on y verrait ma bande. Cette fois-ci, il accepta de venir me chercher à l'issue d'un concert improvisé que je faisais avec un autre groupe local, Erik étant parti faire skier une semaine avec un pote à lui.

Lev arriva un quart plus tôt que la fin du concert, et de ce fait, je ne le vis pas arriver. Mais lorsque je descendis de scène, Gudrun, qui avait l'œil partout, se précipita sur moi.

—C'est lui, Lev ? me murmura-t-elle à l'oreille en désignant du menton un coin sur le bord de la salle, très pleine. Le prince russe… Ou plutôt l’ours russe, si ce que tu m’as raconté sur son pénis est vrai.

Je jetai un rapide regard. C'était lui, en effet, portant encore son manteau et son écharpe, occupé à pianoter, debout, sur son portable.

— Oui, répondis-je. Mais comment tu le sais ? T'as l'œil, toi.

— C'est pas difficile. C'est le seul type d'un mètre quatre-vingt-sept, avec des cheveux blancs, de toute l'assistance. En plus, c'est le mieux habillé. Ça se voit tout de suite que ce n'est pas un habitué, répliqua-t-elle en faisant un large geste sur l'assemblée, composée de metalleux chevelus en t-shirt.

Je le regardai. Il releva les yeux de son écran deux minutes, balayant rapidement la salle du regard, avant de se remettre à taper son message.

— Tu ne vas pas le voir ? me demanda Gudrun. C'est une bonne occasion de me le présenter.

— Pourquoi, tu veux travailler chez Novka ? fis-je, soudain très stressée à l'idée de faire se rencontrer ces deux sphères très différentes de mon existence.

— Mais non, s'exclama Gudrun en me tapant du coude. Mais depuis le temps que tu me parle de lui, j'aimerais bien voir la bête en chair et en os ! C'est normal, non ? Tu ne vas pas rester dans ton petit monde, seule avec lui, toute ta vie quand même ! Allez viens, on va le voir.

Gudrun avait sans doute raison, mais je n'appréciais pas qu'elle affuble mon copain du surnom de « l’ours russe ». Je n'eus pas le temps de lui dire. Elle alla se planter devant lui avant même que je puisse faire quoi que ce soit, et j'arrivais au moment où Lev posait sur elle un regard froid et neutre, se demandant probablement qui était cette folle qui venait l'accoster.

— Salut, fit simplement celle-ci avec assurance, pas démontée pour deux sous.

— Gudrun, ma meilleure amie, colocataire et ingénieure du son, expliquai-je à Lev en les rejoignant.

Le visage de ce dernier se transforma à ma vue. Un large sourire, resplendissant de gentillesse, apparut sur ses lèvres. Depuis le temps que je le fréquentais, j'avais eu tout le loisir de constater la maîtrise que Lev avait de son image, notamment en société. Du reste, il était très expressif : ses émotions se lisaient tout de suite sur son visage.

— Ah, enchanté de vous rencontrer enfin, Gudrun, dit-il chaleureusement en lui tendant sa main gantée. Depuis le temps que Fassa me parle de vous !

Quel comédien, celui-là, pensai-je en lui jetant un rapide regard qu'il ignora superbement, alors que Gudrun ouvrait de grands yeux étonnés qui se muèrent en un sourire ravi.

— Et moi donc, dit-elle en serrant énergiquement sa main. Je brûlais d'envie de savoir à quoi ressemblait le Lev avec qui Fassa disparaissait ces derniers temps. Mais tu peux me tutoyer.

Je savais Lev très à cheval sur les principes et la politesse, mais à ma grande surprise, il acquiesça tout de suite. Il est à l'aise partout, constatais-je avec un certain effarement.

Gudrun et lui échangèrent des banalités comme s'ils étaient de vieux amis, puis Martii et Helmut débarquèrent.

Gudrun les présenta, et ils se serrèrent la main amicalement, avant de se mettre à parler tous les quatre. J'assistai à la scène, médusée. Lev avait déjà conquis mes amis, qui ne faisaient plus du tout attention à moi. Toute leur attention était tournée sur lui, à qui ils racontaient des trucs n'ayant rien à voir avec nous deux en le dévorant des yeux, tous joyeux.

— Je vais chercher à boire, dis-je en ne suscitant qu'une brève attention, et me dirigeais vers le bar, aussitôt rejointe par Gudrun.

— Qu'est-ce qu'il est sympa, ton copain ! s'écria celle-ci avant de faire signe au barman.

Ce dernier arriva, prit sa commande, et elle se tourna vers moi.

— En plus, il est vraiment, vraiment canon, déclara-t-elle en me regardant dans les yeux.

Je me mordis la lèvre, alarmée. Gudrun était une vraie croqueuse d'hommes, elle draguait cash et se faisait tout ce qui se bouge.

— Et classe, et riche, ajouta-t-elle. Franchement Fassa, t'as tiré le gros lot. Moi, je me le serais tapé dès la première soirée !

Je faillis lui dire de garder ses distances, mais jugeais finalement que c'était à la fois méchant et inutile. Gudrun était mon amie, je savais que jamais elle ne me trahirait pas pour un mec. En plus, elle savait que c'était le mien.

Nous revînmes avec de la bière pour tout le monde. Je restais là un quart d'heure en laissant mes amis et mon copain discuter, coincée sous le bras de ce dernier, avant de décider de le soustraire à Gudrun, Helmut et Martii.

— Si on y allait, chéri ? lui murmurais-je à l'oreille. Il se fait tard, et on a encore de la route à faire.

— Tu ne rentres pas à la maison ? me demanda alors Helmut. Lev peut venir boire un pot chez nous.

— Oui, ajouta Gudrun avec malice. Il peut même rester dormir, ça ne nous dérange pas.

Chassant vite de ma tête cette mauvaise idée de ma tête, je répliquais :

— Non, on va rentrer. Lev se lève tôt demain, il doit partir pour Hong Kong à neuf heures.

— Ah, génial ! Tu n'emmènes pas Fassa avec toi, Lev ?

Lev se mit à rire, un peu embarrassé.

— Je crois que Fassa est très occupée, dit-il de sa voix rassurante et chaleureuse. Et puis, je ne reste que trois jours, au cours desquels je vais enchainer les rendez-vous et les conventions. Fassa s'ennuierait si elle venait.

— Exactement, fis-je, volant à son secours. J'ai plein de choses à faire cette semaine, et puis je n'ai aucune envie de me taper quinze heures d'avion aller-retour à deux jours d'intervalle.

— Bah, quoi, fit Gudrun, décidément très lourde. T'as pas un jet privé ?

Lev tourna le visage vers moi, riant légèrement.

— Non, répondit-il. Je voyage comme tout le monde, sur des vols réguliers.

— C'est mieux, observa Helmut. Affréter un avion pour une seule personne, c'est vraiment polluer pour rien. Je reconnais bien là le PDG de Novka, qui a ratifié le contrat d’Hystävät sans hésiter !

Lev sourit avec une certaine gêne, puis il m'embrassa sur le front.

— On y va, me dit-il avant de se tourner vers les autres. Ravi de vous avoir rencontrés, je suis heureux de voir que Fassa est bien entourée.

— Et nous, qu'elle sorte avec un mec bien, ajouta Gudrun.

Je lui jetais un regard noir. Tout le monde se dit au revoir, et je me retrouvai dehors avec Lev.

— Tes amis sont très sympathiques, dit-il une fois dans la voiture. Et toi, tu as une voix merveilleuse.

C'est vrai que c'était la première fois que Lev m'entendait chanter. Je rougis, fière du compliment.

— Je vais me repoudrer le nez.

— Je t’attends là.

Je fis un dernier bisou à Lev avant de me diriger vers les toilettes. Devant le miroir, ajustant mon fond de teint et rectifiant mon rouge à lèvres, je repensais à ces dernières semaines. Je me sentais vraiment privilégiée de vivre une histoire d’amour comme celle là. Dans quelques jours, Lev et moi allions partir en Islande, tous les deux. J’étais sûre et certaine qu’il allait me proposer chose là-bas : j’avais trouvé un sac de chez Tiffany & Co caché sous le lit. Qu’est-ce que j’avais fait à Dieu pour qu’il me gratifie d’un tel bonheur ?

Je ressortis des toilettes sur un petit nuage. Un immense sourire me vint naturellement aux lèvres en voyant la silhouette élégante de Lev, qui m’attendait sagement, accoudé au bar. Puis je suivis la direction de son regard. Dans la rue enneigée, emmitouflé dans un caban bleu marine, un jeune homme à l’aspect familier s’éloignait du bar à grandes enjambées. Je le reconnus tout de suite. C’était Artyom, le serveur russe du Kalinka.

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