Soupçons
NdA : Désolée, je vais poster tout le reste d'ici la fin de la semaine, sans m'en tenir à mon rythme d'un segment hebdomadaire. Je veux tenter d'envoyer le manuscrit pour répondre à un AT. Si vous avez des remarques/corrections à suggérer, c'est le moment ! :)
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Finalement, la trolle ne s'était pas montrée. Lev devait m'avoir raconté cette fable pour ajouter du piquant à la nuit que nous venions de passer, comme si ses facéties n'avaient pas suffi. En m'éveillant le lendemain midi, j'aperçus ma robe de mariée trempée, qui finissait de sécher sur un cintre. C'était bien réel, pensais-je en me laissant retomber dans les coussins.
Je portai mon poignet devant mes yeux. Ça aussi, ça l'était, réalisais-je en constatant néanmoins qu'il n'y avait déjà quasiment plus trace de la coupure. Qu'est-ce qui a bien pu passer par la tête de Lev... Je n'étais pas au bout de mes surprises, avec lui !
Il n'était pas à côté de moi. Mais je l'entendis entrer tout en sentant une bonne odeur de café, et jetant un coup d'œil vers le miroir qui faisait face à la porte (comme je l'avais positionné suite à mes cours de feng-shui), j'y aperçus une image, qui, si elle n'avait pas été aussi fugitive, m'aurait fait hurler et dresser les cheveux sur la tête. L'espace d'une seconde, la haute silhouette austère du démoniaque Ulfasso, dont l'immense chevelure grise dérobait à moitié le visage sombre et terrifiant de malice, avait levé son regard ophidien sur moi. Terriblement immobile, il m'avait alors adressé un sourire d'une cruauté inouïe, avant d'être éclipsé par l'image de la porte qui se refermait. Je m'étais subitement tournée vers mon mari, dont le lumineux visage me faisait face.
— Tiens, ton café, me dit-il en me tendant une tasse, alors que je le fixais, le cœur battant la chamade.
Je le pris lentement. Lev sourit, et il me serra contre lui.
— Tu es tellement gentille, Fassa, me dit-il en posant sa main sur mes cheveux d'un air possessif. Et belle, intelligente et amusante. Je n'arrive pas à croire que tu sois à moi pour toujours !
Il s'agissait là d'une drôle de déclaration, comme Lev avait coutume de les faire dans ses pics de bonne humeur. Je trempai mes lèvres dans le café, légèrement inquiète. Quand est-ce que mon mari allait enfin débourrer ?
*
Tous les sombres soupçons que j'avais fugitivement accumulés depuis le début de notre relation atteignirent leur apogée le jour où je tombais, enfin, sur le passeport russe de Lev, qu'il avait fait l'erreur de garder. Je suppose que tous les gens qui changent de nationalité le font, mais vu ce que j'y découvris, ce n'était pas très malin de sa part.
Intriguée, j'ouvris le document, me demandant à quoi pouvait bien ressembler un passeport soviétique. Il était comme les autres, avec une couverture rouge, et marqué « URSS » en cyrillique, puisqu'il datait d'avant la chute du mur. Je l'ouvris, tombant sur une photo en noir et blanc de mon mari, fixant l'objectif d'un regard de tueur, sans sourire. Le haut col de l'uniforme des soldats de l'armée rouge dépassait sur son cou, confirmant ce que je savais déjà.
J'étais également curieuse de voir comment sonnait son nom en russe, alors je commençais à déchiffrer les caractères cyrilliques sur la page. Ce qui me fut le plus facile, c'étaient les informations de base : 1m87, cheveux blonds (pour les Russes, Lev était blond), yeux verts, né le 12 novembre 1969 à Sakhaline, Sibérie Orientale, nom : Ulfasso Levine Chevsky.
Je lâchai le passeport, avant de le reprendre, d'inspirer un grand coup et de le relire. Je devais m'être trompée.
Mais non, c'était bien ça. Lev s'appelait en réalité Ulfasso Levine Chevsky. C'était là son vrai nom.
Ulfasso, qui est un prénom ancien et très rare, en vigueur en Finlande et chez les Slaves de l'ouest jusqu'au cinquième siècle apr. J.-C., est composé de la racine « wulf », ou « ulf » en finno-ougrien, et de « fasso », suffixe pour les hommes (tout comme « fassa », mon nom, déniché par des parents romantiques, était l'équivalent féminin). En norrois ancien, « Wulfasso » signifiait « le loup », c'était un type de nom qu'on donnait aux rois ou aux héros dans les eddas et les sagas, à l'instar du célèbre « Beowulf ». Quant à Levine, cela signifiait « fils de Lev », ou « Leif » en norrois, prénom que je pensais être celui de mon mari il y a cinq minutes à peine.
Lorsqu'il avait pris la nationalité finnoise, Lev avait également changé de prénom. Qu'il prenne un patronyme finnois était normal, mais pourquoi aller jusqu'à changer ce qui faisait son identité même ? Si j'en croyais l'histoire d'Erik, ça allait de soi, bien sûr...
La tête vide, je m'assis dans le canapé, la preuve ultime dans les mains, en attendant le retour de mon dissimulateur de mari. Ce dernier finit par revenir, après un rapide saut dans la cuisine d'où il sortit avec une tasse de thé brûlant.
— Tu as passé une bonne journée, Ulfasso ? lui demandai-je d'une voix très claire, parvenant avec peine à contenir ma colère.
Il se tourna vers moi, tout sourire.
— Très bonne. Et toi, ma chérie ?
Je le dévisageai en silence.
— Ça ne t'étonne pas que je ne t'appelle pas par ton prénom ?
— Comment ça ? s’enquit Lev, étonné.
— Je t'ai appelé Ulfasso. Tu trouves ça normal ?
Lev devint blanc comme neige.
— Si, murmura-t-il, c'est pas normal, en effet.
Il cherchait à gagner du temps, pour pouvoir se rattraper aux branches comme il pouvait.
— Donc, tu nies t'appeler Ulfasso ? Plus précisément, Ulfasso Levine Chevsky ?
Il releva un regard dur sur moi. Cette fois, il était prêt à m'affronter, au lieu de se dérober comme il faisait toujours.
— Oui, c'était mon nom, en effet, déclara-t-il en me fixant droit dans les yeux. Mais depuis que j'ai abandonné la nationalité russe, plus personne ne l'utilise. Comment tu l'as su, au juste ?
Je brandis le passeport sous son nez.
— Tu n'as pas abandonné la nationalité russe, puisque tu as encore ton passeport. Envie de retourner en Russie, Ulfasso Levine ? Et maintenant, tu vas peut-être enfin me dire comment ça se fait qu'Erik connaisse lui aussi ton vrai nom, sans avoir vu ton passeport, et la raison pour laquelle il te déteste autant ?
Lev soupira.
— D'accord, tu as gagné Fassa, déclara-t-il d'une voix lasse, résigné. Je vais tout te dire.
Mon rythme cardiaque s'accéléra. J’eus soudain très peur qu’il me raconte la même histoire qu’Erik. Qu'est-ce que j’allais faire, si c’était le cas ?
— Ce sera peut-être long, m'annonça-t-il en se calant dans le canapé, alors fais-toi un thé, Fassa.
Je me levai et fis ce qu'il me conseillait, avant de revenir m'asseoir. J'avais hâte qu'il m'apprenne enfin la vérité. Lev attendit que je sois installée pour se lancer.
— En fait, je ne m'appelle pas Lev Haakonen, mais Ulfasso Levine Chevsky, comme tu l'as deviné. Et j'ai bien connu Erik Stormqvist, qui n'est pas Suédois, mais Russe, et qui a servi sous mes ordres en Tchétchénie. Je te préviens Fassa, ce n'est pas vraiment une belle histoire, et certains éléments étant classés secret-défense en Russie, je te conseille de ne pas en parler. Erik et moi sommes désormais considérés comme des traitres passés à l'Ouest, alors tu pourrais nous mettre en danger tous les deux en dévoilant ce qui va suivre.
— Vas-y, le pressai-je, la gorge sèche, comme je l'avais fait quelques semaines auparavant, avec Erik. Je suis prête à tout entendre, et je saurais tenir ma langue.
Lev me jeta un regard rapide.
— Très bien, commença-t-il. Alors, écoute bien...
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