La dernière télé
J’ai jeté ma télévision. Ou plutôt, j’ai laissé ma télévision à une ex que j’ai jetée dehors. J’en avais marre ; trop de bruits blancs, de litanies, de niaiseries, de monologues creux. Je ne la voyais plus, je ne l’écoutais plus. Je décrochais au quotidien, m’abrutissais en sa présence, usé jusqu’à la corde sensible qui menaçait de rompre.
Elle prenait trop de place, dans le petit appartement ; elle surchauffait la pièce, à ne parler pour rien dire. À la place, j’aurais pu avoir un flipper à l’effigie d’Indiana Jones, des enceintes colonnes à trois mille euros, un chien mignon et silencieux.
Au lieu de rester allongé à côté d’elle, les yeux fouettés par les émissions débilitantes, les reportages à la violence inouïe, j’aurais pu faire plusieurs fois le tour du monde à vélo. J’aurais pu apprendre la scie musicale afin de jouer la mélodie de Delicatessen. J’aurais pu donner tout ce temps perdu à des actions humanitaires ou devenir champion de Rubik’s Cube.
Après réflexion, c’est peut-être elle qui est partie. C’est un peu flou dans ma mémoire. Je me revois en train de descendre les escaliers de l’immeuble, chargé de quelques cartons. Je me souviens d’elle, la télé à bout de bras, comme on porte le panier de transport d’un vieux matou en partance pour le vétérinaire. Je me souviens de la camionnette, garée en double file, et de son père, un homme aux joues pleines, qui refuse de couper le moteur.
Ce premier soir, tout seul dans l’appartement, je me suis senti renaître. Des perspectives s’ouvraient. Des désirs fous surgissaient d’un long tunnel. J’écoutais le silence, la mélopée du vide, le cantabile de l’absence, lorsque j’ai aperçu la télécommande sur la table basse.
J’ai ouvert la fenêtre du salon, avec un grand sourire.
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