La panne
Cela fait une heure que je regarde le plafond, perçant l’obscurité relative des logements enchâssés dans la ville, une main posée sur mon entrejambe. Ce soir je n’ai pas assuré et je ne trouve pas le sommeil. C’est ma première panne avec une fille. Une jolie fille, en plus, sérieuse, mais fantaisiste, indépendante, mais solidaire, douce, mais farouche, perspicace, mais un peu myope (je kiffe ses petites lunettes rondes), le genre de nana dont on tombe facilement amoureux. Elle dort en silence, élégamment repliée sur elle-même.
J’ai surtout les boules d’avoir anéanti tous ses efforts pour que cette soirée — notre première rencontre — soit inoubliable, devienne le genre de première fois qui scelle toute une existence à deux. Quand j’y pense, je n’avais que ça à assurer, car elle s’était occupée de tout le reste. J’ai réussi à tout faire foirer. Pour ma défense, comment pouvais-je anticiper un minable problème mécanique ?
Elle est très certainement déçue, et je ne peux pas lui en vouloir. Après tout, moi aussi je suis déçu. Elle m’a dit : ce n’est pas grave, ce sont des choses qui arrivent, avec un sourire renversant de sincérité. On peut regarder un film, ou bien jouer au Monopoly ! a-t-elle ajouté d’une voix indulgente, à peine moqueuse ; j’en avais presque les larmes aux yeux.
Nous en avions très envie, tous les deux. C’était la conclusion idéale de presque un mois de drague par claviers interposés. Plus que tout, je voulais aller à ce concert de Nick Cave avec elle, mais ma moto est tombée en rade au moment de partir. Putain, quelle guigne ! Plutôt que de regarder un film, nous avons fait l’amour en écoutant Lovely Creatures. Pour ça au moins, je pense avoir assuré. Mais en vrai, acceptera-t-elle de me revoir ?
Je me pose la question, au point d’en faire une insomnie.
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