La sale journée
Je suis réveillé en sursaut par les hoquets du chat prêt à vomir sur le dessus-de-lit. J’ai tout juste le temps de le saisir avant qu’il ne rende sur le parquet sa bile et une grosse boule de poils. Sopalin, désinfectant, ma femme n’a pas bougé un cil. Je prends une douche à peine tiède et me souviens devoir appeler un plombier ; le chauffe-eau est à l’agonie. La boîte à café est vide, je me rabats sur un thé russe éventé. Dans la précipitation, car je suis en retard, je casse un lacet.
Sur le quai de la gare, le panneau d’information indique : train supprimé. Le suivant est rassasié de voyageurs mécontents. Trop loin d’un barreau ou de la moindre poignée, je lutte contre les accélérations. Juste à côté de moi, un type a le nez qui goutte.
Arrivé en bas de l’immeuble où je travaille, je suis stoppé net par le tourniquet qui refuse mon laissez-passer magnétique. Le vigile habituel n’est pas là aujourd’hui, remplacé par un nouveau si zélé que j’ai vite le désir de lui casser les dents. Vu qu’il est deux fois plus large que moi, je réfrène mon envie et lui demande poliment de prévenir un responsable.
Mon PC effectue une mise à jour qui dure trois plombes et finit par planter. J’appelle l’informatique à plusieurs reprises, mais chaque fois ça sonne occupé. De guerre lasse, je vais me prendre un café au distributeur qui avale ma pièce et ne recrache que de l’eau chaude. Quand je peux enfin me mettre au travail, il est presque dix heures. Ça va être tendu pour la présentation en début d’après-midi.
Le boui-boui où je déjeune d’habitude est exceptionnellement fermé. Je décide d’acheter un sandwich et de manger au bureau. Avant moi, dans la boulangerie, une femme hésite longuement devant la vitrine des gâteaux, puis décide finalement de prendre des chouquettes. Elle fait trancher son pain et recompter la monnaie.
La réunion se passe mal, nos clients ne comprennent pas mon projet ; trop comme ceci, pas assez comme cela, et surtout trop cher à réaliser. Moi je comprends que l’on m’a embauché pour être créatif, mais que rien ne prime sur le classicisme et le profit. De retour à mon bureau, je consulte mes mails. En ouvrant celui de mon supérieur hiérarchique, j’apprends que je suis viré.
Le train du retour s’immobilise au milieu de nulle part pendant plus d'une heure. Le conducteur annonce un suicide sur les voies. Enfin arrivé à la maison, je trouve ma femme qui fait la gueule. Ma résilience déjà branlante atteint ses limites, je l’agonis vertement. Elle me jette un œil torve et pour seule réponse marmonne que ma mère a appelé. Mon père a succombé d’une crise cardiaque en milieu d’après-midi.
La soupe a un goût de flotte et j’ai le cerveau en purée. Est-il possible de faire un break, que je puisse un peu respirer ? J’allume la télévision, à la recherche d’un programme idiot et tombe sur un flash spécial. L’escalade de violence qui touche la planète depuis des mois vient d’aboutir à la guerre. Dépité et horrifié, j’appuie sur la veille de la télécommande, lorsque se met à hurler la sirène du réseau national d’alerte. Décidément, c’est vraiment une journée de merde.
Annotations