La Terre est une cachotière
La terre est une cachotière. Que cela ne déplaise aux explorateurs des époques perdues, aux amateurs des trésors archaïques qui pensent qu'elle n'a plus de secret pour eux. Mais elle dissimule toujours dans les tréfonds de ses entrailles une infinité d'empreintes d'une ère immémorée. Enfouie dans l'entrelac de sa chair, elle en préserve ardemment des artefacts, amulettes, gardiennes de ses plus précieux souvenirs.
Elle est la sage protectrice de ces instants de grâce oubliés que les hommes ne seraient plus capables d'appréhender.
Un temps où elle respirait, vibrée à la cadence des pas, d'une fantasque et redoutable myriade de peuples qui foulaient son sol. Un assemblage de stupéfiantes créatures qui avaient édifié de curieuses et étourdissantes constructions sublimant ses paysages naturels.
La beauté fragile de cette civilisation florissante résidait dans cette surprenante diversité d'êtres qui avait, avec ingéniosité, fait vivre à l'unisson une multitude d'individus aux dissemblables richesses.
L'être humain, créature terrestre, avait tissé des liens fébriles avec ses âmes étrangères. Une harmonie éphémère, vacillante, sous le poids des ambitions, ne perdura qu'un moment. L'équilibre s'était fissuré, insidieusement d'abord, comme du verre à la limite de se briser sous des ondes sonores. Le terrien, désireux de se soustraire aux sentiments d'infériorité animés par la présence de ces êtres aux capacités extraordinaires, convoitant inlassablement plus de terre, toujours aussi avide de pouvoir, porta odieusement le premier coup. Les hostilités émergèrent, des alliances se créèrent et une guerre éclata. Tel un cataclysme, les conflits balayèrent toutes les merveilles de ce monde à l'aube de son apogée.
Lorsque l’accalmie s'installa enfin, il ne subsistait rien que des terres vides, arides et des paysages désolés. Et ce rien fut le butin du peu d'humains ayant survécu.
Les autres, les créatures venues d'ailleurs, avaient disparu. Certaines avaient franchi des frontières que guerre ne perçoive et que peu ne peuvent traverser. D'autres s'étaient retirées, comme recueillies par la terre, seule témoin de cette fièvre destructrice, dans des lieux où l'homme ne pouvait s'aventurer sans péril. Mais une poignée demeurait, camouflée, et observait l'homme faire de la terre son tombeau.
La créature terrestre, comme pour annihiler ses erreurs commises, scella son esprit. Et durant des millénaires, aveuglée par son orgueil, tourmentée par ses limites, rejeta tout ce qui dépassait son entendement. Les récits des temps anciens, à peine murmurés, finirent par devenir des mythes. Les vérités sur cette époque exceptionnelle furent enterrées dans des légendes et des folklores.
Pourtant, il n'était pas aussi seul qui voulait bien le croire. La terre abritait encore en son sein des ombres qui se faufilaient dans la douceur des nuits, des formes étranges qui se reflétaient dans les lacs lointains, des murmures qui se mêlaient au bruit des profondes forêts.
Mais l'homme détournait le regard, n'écoutait pas, et fermait son cœur. Tout ce qui n'était pas englobé par sa vérité était relégué à l'irréel. Et ceux dont l'âme percevait une infime part de cette réalité inconnue ne méritaient pas d'être crus. Ils étaient des parias, des dérangés, des fous.
Pardois, les illuminés sont les seuls à pressentir que malgré son silence apparent, le monde ne reste jamais figé. Certains commencent à bouger, à sortir des coins où ils étaient terrés. D'autres, lassés et fatigués de vivre dans l'anonymat, sont moins vigilants, moins prudents. Et une poignée dont la rancœur n'a fait que croître avec le temps, s'immisce discrètement dans la vie des humains.
Une nouvelle ère se dessine.
Annotations
Versions