Que ma joie demeure
Une rencontre : la sérénité. Si elle l’avait déjà connue, elle ne s’en souvenait plus. Et comme un nouvel amour, son bonheur lui semblait incomparable. Un sourire irréprimable habillait ses lèvres et dans la rue les gens la regardaient avec interrogation, la prenant un peu pour une con et emportant un peu de sa joie contagieuse. Parce que c’est bon, la connerie.
Elle se murmura qu’elle devait se souvenir de ce moment-là.
« Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse » -Barabara, Paroles, Prévert.
Elle ne voulait pas oublier la sensation. Elle est impossible à se remémorer lorsque que la confiance en l’avenir qui la caractérise la quitte. Des mois auparavant, elle avait écrit une ligne mystérieuse dans son journal :
« Je suis heureuse. Je ne dois pas oublier ce salaire de bonne journée. »
Et lorsqu’elle la relisait, elle ne se souvenait plus. Elle ne se souvenait plus pourquoi, comment, à quel point. Elle n’avait plus aucun indice pour revenir à cet état.
Elle se fit alors la réflexion que, de ce jour, elle se souviendrait au moins d’une image : de ce type qui jouait de la trompette avec entrain au milieu de la rue sous la pluie, comme s’il dansait ; et d’elle, qui marchait et se disait en secret qu’elle allait dans la bonne direction.
Une rencontre : la cohérence. Gandhi avait dit que le bonheur était le fruit qui naissait de la cohérence entre nos pensées et nos actions. Et elle se sentait alors particulièrement cohérente. Elle agissait pour faire bouger les choses. Et elle les faisait bouger. Elle commençait en sauvant les poules dans une toute jeune startup des plus originales et pleine d’espoir en la prise de conscience de l’Humanité.
Elle avait passé la journée avec son amie-bio à vendre des boites d’œufs militants à 6 euros dans un magasin bio plein de personnes qui réfléchissent. Et agissent.
Une rencontre : l’inspiration. Rencontrer tant de personnes qui sont touchées par le même type de préoccupations, sentir qu’il y a bien une façon de vivre viable permettant de lutter contre ce qui est susceptible de nous faire perdre foi en le monde… C’était ça. Elle trouvait l’écho aux cris de son cœur.
Une rencontre : la bienveillance. Elle se sentait aimée, et admirée pour sa cohérence. Elle commençait à percevoir qu’on la trouverait belle dans un avenir proche. Enfin, non pas pour ses attributs physiques, mais pour la philosophie qui vivrait en elle. Elle se sentait mature, et se forçait à penser à tout en profondeur. Elle eut peur d’être en train de tomber amoureuse de son amie Lara qui avait des poils sous les bras, une crinière brune de lion et une bienveillance à son égard assez grande pour déborder de partout dans toute la planète. Cet amour inconditionnel, elle espérait que ce soit l’étrier qui l’amène à vraiment s’aimer aussi.
Une rencontre : la gratitude. Elle leva les yeux au ciel -non pas qu’elle fut habitée par une croyance en quelque forme de divinité, mais, comme un instinct, elle s’adressa à l’immensité. Des profondeurs de son cœur s’échappa un « merci ». Elle marcha trois heures, attisant à chacun de ses pas la ferveur de son enthousiasme, la reconnaissance inépuisable qu’elle éprouvait envers la vie pour l’avoir conduit jusqu’ici, à ce niveau de certitude qui lui donnait envie de crier sur tous les toits, à tous, qu’il fallait garder espoir, croire en ses rêves et les suivre parce que eux seuls connaissent le chemin. Elle voulut partager ; non, plus, donner sa découverte à tous : on peut être heureux.
Une rencontre : l’irrationalité. C’était violent.
Elle venait de rentrer de la fatigue plein les pattes et un sourire denté s’étirant jusqu’à Jupiter. Elle savait que cela ferait plaisir à sa mère qu’elle lui revienne heureuse. Ou du moins elle le pensait.
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