Chapitre 6 : La Bibliothèque
La nuit fut courte pour Goran, dont le sommeil avait été troublé par l’irruption de ses vieux démons. Hanté par ces figures familières, il n’avait eu d’autre choix que de procéder comme à son habitude pour réussir à y échapper. Ce n’est qu’après plusieurs verres d’alcool fort qu’il s’était enfoncé dans un monde sans image, sans son, sans vie. Aussi se réveilla-t-il plus fatigué encore que la veille, avec comme unique indice sur son escapade onirique qu’un goût de fer dans la bouche. Péniblement, il s’installa au bord du lit, contemplant avec un regard vitreux le sol à ses pieds.
Que faire pour enfin connaître la paix ?
En réalité, les morts ne le tourmentaient pas réellement. Le seul responsable, c’était lui et sa culpabilité. Malgré le temps, malgré ses efforts, il ne parvenait pas à se défaire de ce sentiment. Il ne se pardonnait pas d’être celui ayant survécu, d’être le dernier en vie. Tout en se massant les tempes, il finit par soulever sa carcasse et se dirigea vers la salle de bain adjacente à sa chambre. Le contact de l’eau fraîche sur son visage lui permit de reprendre définitivement pied avec la réalité.
Du nerf, bordel.
Si tout se déroulait normalement, cette mission devrait être la dernière. Encore un effort, quelques sacrifices, et ensuite la liberté. Il l’avait promis à son mentor et son frère, avant que la mort ne les fauche. Un jour, nulle chaîne ne l’entraverait.
Est-ce que tout ça prendrait vraiment fin un jour ?
Dans le reflet renvoyé par son regard brillait l’incertitude, le doute. Et dans son cœur meurtri, s’étendait l’ombre du désespoir. Il ne faisait aucun doute que son employeur avait le pouvoir de le libérer du joug de l’Association, mais quid des gens ? De la rancœur à son égard ? Tant de vie avait été brisée par ses choix, ses actions.
Idiot ! N’y pense pas, concentre-toi sur ce que tu peux faire, toi.
La gestion des vengeances, les questions sur la vraie liberté, sur sa rédemption, tout ça était futile pour le moment. Il aurait bien le temps d’y réfléchir, une fois la mission terminée. Son visage se contracta pour se figer finalement dans cette imperturbable impassibilité qu’on lui connaissait. Tout en revêtant ce masque, il s’opéra dans son esprit un véritablement bouleversement : les pensées parasites l’abandonnèrent, laissant place aux réflexions rationnelles cantonnées à l’analyse du moment. Maintenant pleinement investi par son personnage, il enfila son long manteau noir et ses gants en cuirs, fixa son chapeau sur le haut de son crâne, et dissimula ses prunelles écarlates derrière ses lunettes.
En sortant de sa chambre, le Traqueur fut à nouveau saisi par l’absurdité de l’endroit dans lequel ils étaient hébergés. Le couloir gigantesque donnant sur sa chambre rappelait la démesure ridicule de cet hôtel particulier, dont les pièces à vivre, salons et autres salles se comptaient par dizaines. Le tout, en plein cœur de la ville. Goran ne put s’empêcher de se questionner sur la pertinence d’entretenir un tel bâtiment, majoritairement vide. Dehors, il y avait tant de nécessiteux, tant de personnes qui ne demandaient qu’un toit. Il ne réalisa pas la colère grondante en lui, cette émotion primaire qui échappait à son contrôle chaque fois qu’il était confronté à l’injustice. Lui-même avait connu le froid de la rue et la souffrance de la faim, aussi ne tenait-il pas les aristocrates et bourgeois en haute estime.
Pourquoi certains détiennent-ils tout à la naissance ? Pourquoi s’arrogent-ils le droit de gouverner et de vivre dans l’opulence ?
Réalisant finalement qu’il n’était pas complètement parvenu à réprimer la voix de son cœur, il secoua la tête pour revenir à l’essentiel. Il déambula lentement pour évacuer les derniers vestiges de ses pensées négatives, avant de s’arrêter en entendant le son d’une voix familière. En se rapprochant d’une porte entrouverte, il réalisa que le rustre s’exprimant bruyamment était l’un des collègues.
— Voilà, c’est exactement ça qui m’agace chez vous ! Cette maudite nonchalance ! s’exaspéra Marcus. Le sujet est pourtant sérieux !
— Du calme, mon vieux, du calme ! J’ai bien saisi l’importance de la chose, je vous taquinais seulement, répliqua Elias.
Le demi-vampire, à bout de souffle, luttait pour ne pas rire à nouveau. Son comportement accentuait d’autant plus l’agacement de son interlocuteur, qui à nouveau entretenait l’hilarité du jeune homme. Fulminant, Marcus remarqua qu’il était observé, et son regard indigné se posa sur l’impudent qui osait les interrompre. Il se détendit quelque peu en découvrant Goran, et toussota en se rassoyant calmement. Hésitant, le Traqueur réalisa que ses pas l’avaient conduit inconsciemment jusqu’à l’endroit où étaient servis les repas. À l’origine, son intention avait été de se saisir de son plateau discrètement et de s’éclipser dans un endroit plus calme. Mais maintenant que les autres l’avaient vu, il se résigna. À défaut donc de profiter d’une tranquillité absolue, il s’isola silencieusement dans un coin, priant pour qu’on l’ignore. Mais ce n’était visiblement pas dans les plans d’Elias, qui s’installa au côté du Traqueur.
— Et bien, vous faites bande à part ? s’amusa le jeune homme. C’est dommage, après votre intervention d’hier, je pensais vous voir plus ouvert avec nous !
— Je partageais votre point de vue sur ce sujet, ni plus ni moins, répliqua placidement Goran.
Sans s’émouvoir de la volonté évidente de son interlocuteur de s’emmurer dans le silence, Elias poursuivit sur sa lancée :
— Certes, mais cela nous fait un point commun : l’honneur. Et c’est plus que suffisant pour poser les bases d’une saine amitié !
Goran observa, à travers le verre fumé de ses lunettes, le regard malicieux de son collègue qui n’attendait qu’une réponse, positive ou négative.
— Ce n’est pas de l’honneur, admit-il. Mais de la culpabilité. Je n’aime pas faire faux bond à des gens dans une situation aussi périlleuse. Cela pourrait perturber mon sommeil.
Déjà qu’il est mauvais, ironisa-t-il.
Cette charmante conversation fut interrompue par l’arrivée du valet portant la nourriture. Le plateau de Goran brillait par sa sobriété : une simple tasse de café corsé, accompagné d’un pain azyme nature. Sans attendre, le Traqueur s’en saisit pour le tremper dans le liquide sombre, avant de commencer à mâcher doucement. Il faisait de son mieux pour ignorer Elias, qui bien qu’ayant cessé de parler, le fixait désormais avec des pupilles brillantes de curiosité.
— Bon contrairement à l’autre andouille, je vois bien que vous n’êtes pas porté sur la conversation, surgit Marcus. Mais puisque vous êtes ici, autant en profiter : nous discutions de la nécessité de préparer un plan pour la capture de notre cible.
Goran ne répondit pas de suite : il prit deux nouvelles bouchées de son pain sans saveur avant de donner son avis.
— Ça fait sens en effet.
— Y a rien de concret pour le moment, puisque cet énergumène ne semble pas prendre la question au sérieux, soupira Marcus en désignant Elias, qui se fendit d’un sourire accompagné d’un salut de la main.
— Fort bien.
Face à tant d’enthousiasme, Marcus haussa les épaules avant d’interpeler à nouveau Elias. Pendant que les deux discutaient bruyamment, indifférent au boucan provoqué, Goran accéléra, pressé de s’en aller. Aspirant à retrouver une relative quiétude, il avala le reste de pain, et bu cul sec son café. Puis, il repoussa sa chaise et s’éloigna sans adresser la moindre salutation aux autres.
— Réunion une heure avant-midi, l’interpela Marcus, nous devons impérativement tomber tous d’accord sur une marche à suivre.
Acquiesçant sans se retourner, il s’extirpa de la salle à manger, et se mit en quête d’un endroit calme pour y réfléchir. Malgré son aversion pour les interactions humaines, il partageait l’opinion du moustachu.
Raison de plus pour rassembler des données. Plus j’en saurais, plus vite pourra-t-on tomber d’accord.
En errant dans les couloirs, il trouva un domestique qui le renseigna sur l’emplacement de la bibliothèque. Il venait d’en obtenir l’accès, et n’allait pas se priver de cette précieuse source d’information. Après un rapide détour par sa chambre, pour récupérer l’ouvrage sur le 9e arrondissement, ses pas l’arrêtèrent face à une imposante porte finement décorée. À peine fut-elle ouverte que la splendeur de la pièce envoûta le Traqueur. Outre la hauteur sous plafond, qui dépassait les cinq mètres et devait donc empiéter sur l’étage supérieur, de larges vitres laissaient filtrer les rayons matinaux du soleil, qui baignaient de leur lumière d’immenses étagères remplies de livres. Leur agencement hasardeux offrait une impression labyrinthique, dont les nombreux chemins se rejoignaient parfois en de petites alcôves où se trouvaient tables et chaises. Tout ici évoquait encore la démesure et rappelait avec force l’injustice de ce monde. C’était un coffre au trésor, qui ne recelait pas de richesse matérielle, mais d’une chose infiniment plus précieuse : la culture et la connaissance. Et pourtant, il était évident que peu de personnes y avaient posé les pieds, puisque Thomas Godwinson, le propriétaire, venait rarement en France. Un tel gâchis donnait de véritables nausées de rage à Goran, qui secoua la tête à nouveau pour évacuer ce genre de pensée.
Bon sang, que t’arrive-t-il aujourd’hui ? soupira-t-il. Un peu de nerf !
Il n’eut pas à trop se forcer pour reprendre le contrôle. Goran avait un certain affecte pour les bibliothèques. Outre le calme, il appréciait l’odeur du papier, la douce mélancolie du bois. Maintenant qu’il évoluait au milieu des rayons, il réalisa que celle-ci n’avait rien à envier à celle des grandes universités.
Il eut d’abord du mal à s’y retrouver, à cause notamment d’une organisation de prime abord archaïque. Mais à mesure de ses errances, il se familiarisa avec le lieu, parvenant à identifier les ouvrages susceptibles de l’aider. Il jeta finalement son dévolu sur un manuel cartographiant Paris. Connaître son environnement était fondamental dans le métier, en particulier dans une cité aussi riche que la Ville Lumière. C’était une évidence qui se prouva avec l’arrivée de Varis. Cette dernière déboucha dans l’alcôve où Goran travaillait, les bras lourdement chargés de documents divers et variés. Tous deux se regardèrent avec étonnement, avant que la demi-elfe ne finisse par prendre l’initiative.
— Il semblerait que je ne sois pas la seule dotée de bon sens. Vous remontez légèrement dans mon estime, après votre caprice de la veille.
— Vous m’en voyez ravi, répliqua Goran sans joie.
Ils se fixèrent quelques instants, avant que le Traqueur ne se fasse violence pour informer son interlocutrice.
— J’ai croisé les autres au petit déjeuner. Ils veulent que l’on se réunisse pour parler de la marche à suivre concernant demain.
— Je sais, Elias est venu me le dire.
— Oh… Bien à tout à l’heure alors.
— Oui à tout à l’heure.
Ce douloureux échange de politesse scella le destin de la courte discussion. Varis s’enfonça dans le dédale, vraisemblablement en quête d’un espace isolé où elle pourrait s’atteler à ses propres recherches. Goran ne perdit lui-même pas plus de temps et se replongea dans ses études. Après plusieurs heures, il posa sa plume, satisfait de son travail. En consultant l’imposante horloge fixée au-dessus de la porte, il constata qu’il était en avance par rapport à ses estimations. Son regard glissa lentement du cadran au livre qu’il avait ramené avec lui. Sobrement intitulé « L’incident du 9e arrondissement », l’ouvrage trouvait grâce à ses yeux à propos d’une particularité architecturale parisienne. Depuis sa chambre, par delà la cyme des immeubles, on pouvait admirer d’immenses remparts, au cœur même de la ville. S’il en croyait la préface, ceux-ci entouraient l’ancien territoire du 9e arrondissement. Après plusieurs secondes à caresser la couverture nonchalamment, il céda à sa curiosité en entamant la lecture.
Les premières pages, un sommaire résumé de l’histoire du quartier, faillirent le faire abdiquer. Mais en persévérant, il pénétra rapidement dans le vif du sujet. Dix-huit ans en arrière, durant une année 1830 marquée par un bouleversement politique majeur, Paris fut victime d’une catastrophe sans précédent, qui manqua de compromettre le secret de la magie au monde entier. Les autorités de l’Association organisèrent dans la hâte le scellement de tout l’arrondissement concerné, tout en manipulant l’opinion Miernor pour justifier d’une telle mesure. Depuis lors, outre une garnison de Justes en poste devant l’unique porte, le quartier tout entier est désert.
Surprenant… L’affaire semble avoir également été étouffée au sein du monde de la magie.
Quelques pages plus tard, Goran trouva des détails sur la tragédie. Durant une journée tout à fait ordinaire, une étrange brume aurait subitement envahi les rues, duquel sortirent d’horribles créatures. Le carnage qui en découla s’accompagna d’une maladie dont les effets et symptômes n’étaient pas expliqués. Tout juste fut-elle évoquée pour justifier la décision de l’Association, vraisemblablement dépassée par la situation.
On sent bien que l’auteur veut en dire plus, mais que ce soit par censure, ou manque d’information, le récit reste très lacunaire, déplora Goran en découvrant que la plupart des pages n’abritaient que les états d’âme d’un chercheur désemparé.
Alors qu’il tournait laconiquement les pages, le chapitre sur le présumé responsable de la catastrophe retint quelque peu son attention. Très vite, l’Association considéra l’incident du 9e arrondissement comme un attentat, et organisa par conséquent une enquête. Mais au vu de l’ampleur de l’affaire, celle-ci s’étira en longueur, et il fallut attendre dix ans pour qu’un coupable soit identifié. L’homme, prénommé Édouard de la Serre, était le patriarche d’une des plus anciennes et remarquables familles de la noblesse magique française. Il aurait, au cours d’un rituel, perdu le contrôle de la créature invoquée, et dont l’identité reste à ce jour encore un mystère. Le procès, surprenamment expéditif, provoqua l’anéantissement complet des de la Serre, dont les principaux membres furent capturés et exécutés.
Une fois encore, le livre ne développait pas vraiment ce qui était pourtant un moment essentiel de l’événement, préférant mettre l’emphase sur le héros ayant résolu l’affaire. Le nom qui y était associé n’était pas inconnu de Goran. Philippe Montmorency était une sommité dans le monde de la magie. Membre des Immortels, il fut le plus jeune d’entre eux à accéder à ce Graal, et était unanimement reconnu comme l’un des plus grands mage de son temps.
Pas un mot pour les équipes l’entourant, hein ? Décidément, l’aristocratie adore s’accapare toute la gloire.
En se laissant choir sur le dossier de sa chaise, il constata que l’heure du rendez-vous approchait. Soupirant, il s’étira avant de se diriger vers l’entrée de la bibliothèque. Sur le palier, il tomba sur Varis, et sans un mot, ils se rendirent ensemble à la réunion. Elias et Marcus ne les avaient pas attendus pour commencer à débattre. Ils se turent momentanément lorsque leurs deux collègues firent irruption, avant de reprendre, dans un cadre plus calme.
Après de houleuses et agaçantes tractations, les mercenaires parvinrent à un consensus sur la marche à suivre. Goran s’était satisfait de la prise en main de la conversation par Varis, qui était parvenu à canaliser les échanges. Le Traqueur n’eut pas s’exprimer longuement, se contentant de confier ses précédentes observations.
Néanmoins, la journée était loin d’être terminée. Après une courte pause repas, les mercenaires quittèrent l’hôtel particulier, direction le quartier industriel. Plus tôt dans la matinée, ils avaient reçu une missive de Willard qui se réjouissait de leur participation pour l’affrontement à venir. Visiblement, Dowle avait pris les devants.
Contrairement à la fois précédente, où les ouvriers rentraient exténués par leur journée de travail, la ville grouillait d’activité. Tantôt croisèrent-ils des groupes de bourgeois, richissimes propriétaires, dont les discussions étaient entrecoupées d’éclat de rire hypocrite. Tantôt, au travers des portes entrouvertes d’usines, apercevait-on des ouvriers las, le dos voûté et le regard vide. Les rues étaient le théâtre d’un mouvement ininterrompu, entre approvisionnement de matériaux et expéditions de produits terminés. C’était les débuts de l’industrialisation de masse, les premiers rouages du système de production capitaliste, dont les rares gagnants se pavanaient dans leurs redingotes trop étroites pour eux, exploitant les âmes damnées qui dépérissaient sur les chaînes de montage. Ce pitoyable tableau s’estompa quand ils s’engagèrent dans l’impasse abandonnée. En pénétrant dans la base des Jaëgers, ils purent cette fois-ci en distinguer l’intérieur, qui débordait d’énergie. Des hommes et femmes, aux tenues variées, s’affairaient activement en transportant armes et provisions dans des carrosses. Par leur discipline et leur efficacité, ils renvoyaient l’image de soldats se préparant à la guerre. Willard, en chef d’orchestre, organisait avec des ordres clairs tous ces préparatifs. À ses côtés, Aizen, les bras croisés sur son torse, observait tranquillement toute cette agitation avec la sérénité d’une idole de pierre. En remarquant les mercenaires, Willard délégua momentanément son rôle à un sous-fifre, pour se précipiter vers ses nouveaux alliés.
— Heureux de vous revoir, les salua-t-il une fois à hauteur.
— Pareillement, répondit Varis qui se saisit de la main tendue.
— Comme vous le voyez, nous sommes en pleine préparation pour demain. Aussi vais-je être bref : nous sommes débordés et avons besoin de main-d’œuvre supplémentaire.
— Pas de soucis, intervint Elias. Votre missive mentionner les rails, si je ne m’abuse ?
— Effectivement, nous souhaitons saboter le chemin de fer à l’entrée de la ville, histoire de couper toute retraite à l’ennemi. Si parmi vous, quelqu’un était coutumier dans ce genre de travaux, cela m’arrangerait grandement.
— Moi.
Les regards des mercenaires convergèrent, surpris, vers Goran.
— Parfait, je vous remercie, se réjouit Willard. Attendez juste un instant.
Le vieux Jaëger se retourna vers l’essaim, interpelant en anglais l’un de ses jeunes subordonnés, un blondinet qui quittait à peine l’adolescence. Répondant au nom de Joshua, celui-ci se précipita vers son supérieur.
— Yes, sir ?
Son accent allemand trahissait ses origines, donnant à son anglais une sonorité gutturale.
— Tu vas guider notre ami jusqu’au point prévu pour le sabotage, reprit Willard en français.
— Oui, chef !
Son français, sans être parfait, était de meilleurs facture, et bien plus compréhensif.
Comment diable ce bougre s’est-il retrouvé ici ? songea Goran en dévisageant cette brindille pas bien grande.
Ces réflexions furent interrompues par Willard qui se retourna vers lui.
— Joshua a participé à de nombreuses missions de reconnaissance et connaît par conséquent très bien les lieux. Il saura vous guider sans faillir.
Goran se contenta d’acquiescer en silence, échangeant une brève poignée de main avec le garçon. Celui-ci, malgré la différence de gabarit, soutint sans sourciller son regard. Le Traqueur lui reconnut un certain cran malgré son physique, rares étant ceux qui osait le fixer ainsi.
— Ne perdons pas de temps, déclara Goran.
Lui et son nouvel associé prirent la direction de la sortie quand Elias les interrompit.
— Hop, pop, pop, un instant malheureux !
Un brin surpris, Goran s’arrêta brusquement, questionnant silencieusement son collègue sur la raison de cette interruption. Le demi-vampire, avec la jovialité qui le caractérisait, demanda :
— Je comprends la nécessité d’être en nombre restreint pour maximiser la discrétion, mais puis-je vous accompagner ?
Goran se contenta de hausser les épaules pendant que Joshua interrogeait du regard son supérieur. Après une courte réflexion, celui-ci cligna positivement des yeux., un signal qui n’échappa pas à Elias, qui ébouriffa la tignasse du jeune Jaëger.
— Voilà qui est acté ! Certes nous perdons en discrétion, même si je me défends dans ce domaine, mais vous gagnez en sécurité ! glissa-t-il malicieusement en désignant le fourreau accroché à sa taille.
Indifférent à l’enthousiasme de son collègue, Goran reprit sa marche en avant. Au fond de lui brûlait le désir de régler cette insupportable situation. Pas vraiment pour progresser dans l’enquête confiée par Dowle ou échapper à un tête à tête avec Elias. Mais plutôt pour faire payer les salopards ayant fauché tant d’innocentes vies. Il ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement entre ces pauvres enfants, sur lesquels on avait expérimenté, et ceux de son orphelinat. À cette pensée, un florilège d’émotion tourbillonnante remonta en lui, bien que son visage conserva son impassibilité. Il se souvenait enfin de la réponse aux questions qu’il se posait sur la liberté, sur sa quête à propos de ses souffrances personnelles. Pour les gamins sans défense qui l’attendaient, il devait revenir en vie.
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