Chapitre 10 : La valse du Chevalier Tempête
Plusieurs minutes s’étaient écoulées depuis que Varis avait posé le pied sur le train, sans qu’aucun répit ne soit permis. Plus nombreux, forts, et agiles, les vampires avaient aisément repoussé aisément la première vague. Mais loin de décourager les Jaëgers, de nouvelles unités rejoignaient sans cesse le combat, jusqu’à la sécurisation complète du premier wagon. Pourtant, cette modeste victoire ne fut suivie d’aucune accalmie, puisque des renforts adverses débarquèrent depuis les voitures supérieures, dans un flot ininterrompu. La tempête semblait ne jamais prendre fin, et rapidement le couloir entre les deux wagons fut rempli de cadavres ensanglantés.
Constatant le bourbier dont ils ne parvenaient pas à s’extraire, la demi-elfe prit les choses en main. À l’origine, elle ne souhaitait pas trop s’impliquer dans cette bataille. Cependant, avec la disparition de Goran et Elias, et l’absence de Marcus, elle profitait d’être enfin seule, même si cela signifiait prendre des risques. Rebroussant chemin dans la partie conquise, elle remonta à contre-courant les nombreux Jaëgers qui rejoignaient la ligne de front. Ouvrant une fenêtre à l’arrière, elle se glissa à l’extérieur, et se hissa sans effort sur le toit. Prenant le temps de s’habituer aux bourrasques qui menaçaient de la faire trébucher, elle finit par s’élancer. D’un bon leste, elle franchit l’espace séparant les deux wagons passant au-dessus des violents affrontements.
Parvenant au bout de la seconde voiture, un groupe d’ennemis, ayant une intuition similaire, se dressa sur sa route. Les deux parties se jaugèrent du regard, chacune attendant que l’autre agisse en premier.
Deux hommes et une vampire. Aucun problème.
Finalement, l’un des deux humains la mit en joue avec un fusil, et fit feu à plusieurs reprises. Varis n’hésita pas une seconde, et fonça vers eux, ignorant les balles qui fusaient autour. Armée d’une épée, la suceuse de sang s’interposa, levant son arme pour lui trancher la tête. Mais la demi-elfe était une combattante agile et expérimentée, qui affectionnait ce genre d’espace lui permettant de déployer tout son potentiel martial. Un mètre avant la rencontre fatidique avec l’acier, elle sauta et son pied s’écrasa sur le visage de la vampire stupéfaite. Prenant appui sur son adversaire, elle poursuivit son envol et envoya une de ses dagues sur la main du fusilier. Elle se réceptionna ensuite avec une roulade, et d’un coup de paume, ferma la bouche de son dernier opposant qui était en train de réciter une incantation magique. Puis, pivotant sur elle-même, elle le poussa hors du train d’un coup de pied retourné. Pendant que le malheureux s’écrasait en contrebas, la vampire se rua une nouvelle fois au corps à corps. Mais sa tentative ne rencontra que l’air, Varis s’étant instinctivement baissée, avant de contre-attaque avec sa seconde dague. Tranchant la main qui tenait l’arme, elle s’en saisit avant de la plonger jusqu’à la garde dans le torse du fusilier. Puis, toujours dans une série de gestes parfaitement maîtrisés, elle récupéra du pied le fusil tombé à terre et enfonça le canon dans la bouche de la vampire qui essayait de la prendre par-derrière. Les yeux écarlates réalisèrent trop tard leur destin à venir. La puissante détonation projeta le corps de la femme en arrière, en même temps que sa boîte crânienne explosait. À moitié morte, Varis s’approcha d’elle, et fit feu à plusieurs reprises sur ce qui restait de la tête. Puis, à peine essoufflée par la rixe, elle récupéra ses dagues avant de reprendre sa route.
À la jonction entre la quatrième et cinquième voiture, la demi-elfe fut frappée par le changement : le cinquième wagon était bien plus haut, et surtout blindé. De toute évidence, les vampires transportaient un secret imposant. Une nouvelle donnée intrigante s’offrait à elle, et son instinct lui dictait de ne pas passer à côté. Mais ce faisant, elle prenait le risque de se faire repérer, et donc de compromettre sa mission initiale. Ses réflexions, nées de ce dilemme, furent interrompues par les bruits qui émanaient de la structure métallique. D’inquiétants gongs résonnaient, semblables à une série d’explosion que l’étanchéité sonore du métal ne parvenait pas à résorber totalement. Soudain, la porte donnant sur le quatrième wagon s’ouvrit brutalement, et Varis eut la surprise de constater qu’Elias et Goran en sortaient, celui-ci trimballait notamment une femme inconsciente. La demi-elfe n’eut pas le temps de révéler sa présence à ses deux camarades, puisque ces derniers s’étaient précipités à l’intérieur de la quatrième voiture. La réponse à cette absence de prudence se dévoila dans une glorieuse explosion. La porte blindée et le mur qui l’accueillait furent balayés, et une gigantesque créature, à l’apparence repoussante, s’avança lourdement. Visiblement obnubilée par ses proies, elle poussa un rugissement grotesque avant de s’élancer rapidement d’une démarche pataude, indifférente au fait que le toit en face d’elle était trop petit pour elle. Réagissant au quart de tour, Varis rebroussa chemin à toute vitesse et entendit derrière elle le bruit caractéristique du bois que l’on fracasse. D’un coup d’œil, elle observa le monstre « entrer » à l’intérieur de la voiture, en détruisant tout sur son passage.
Tout en courant, les rouages de son cerveau surentraîné s’activèrent. Ses deux compagnons, disparus plus tôt, sortaient d’un étrange wagon blindé, poursuivi par une horreur décidée à les tuer.
Dans ces conditions, pourquoi Goran s’embarrasse-t-il à transporter une personne qui entrave ses déplacements ?
Sans avoir pu distinguer ses traits, Varis en était certaine : cette personne était leur cible. Aussi, devant cette éclatante conclusion, la demi-elfe décida de faire volte-face, attendant le moment où la destruction mouvante arrivait à son niveau pour sauter par-dessus. Malgré la nature accidentée du sol, enseveli sous un tapis de débris, elle se réceptionna sans difficulté avant de se retourner pour analyser le reste de la scène. Goran et Elias, proche de la porte conduisant au troisième wagon, s’étaient résolus à la confrontation avec le monstre qui fonçait vers eux. Sans réfléchir plus que nécessaire, Varis sprinta en dégainant ses dagues pour bondir sur le dos massif. Les lames pénétrèrent sans problème la chair, et la créature poussa un glaçant cri de souffrance, mi-bestial — mi-enfantin. Nullement troublé, la demi-elfe retira les poignards en retombant, puis une fois à terre, essaya de sectionner les mollets. Mais avec une vivacité surprenante pour son gabarit, le monstre balança un bras étrangement long derrière lui. Surprise par ce mouvement peu orthodoxe, Varis n’eut que le temps de mettre ses bras en opposition et se retrouva projetée contre le mur. Le souffle coupé par la violence du choc, des chandelles virevoltèrent sous son regard hébété,
— Varis !
La panique dans la voix de Goran fut suffisante pour lui permettre d’émerger, et c’est presque par miracle qu’elle parvint à rouler hors d’atteinte du poing qui explosait le sol.
La moindre erreur, et c’est la mort. Je ne pourrais pas supporter un autre coup de ce genre.
Tout en se redressant avec difficulté, elle put observer ses alliés engagés dans une valse mortelle. Le demi-vampire maniait habilement son épée, mais les entailles infligées n’étaient que superficielles. À ses côtés, Goran était désarmé, mais n’en était pas moins une menace sérieuse. Profitant de la moindre ouverture pour effleurer le corps gigantesque, il laissait derrière lui une peau fondue duquel s’échappait du sang bouillonnant.
Expirant longuement, Varis guetta le moment rêvé pour rejoindre le mortel ballet. Soudain, elle se projeta vers l’avant, glissant sur le sol pour éviter le bras-fouet. Sa dague trancha proprement le tendon gauche de la créature, qui perdit instantanément l’équilibre. Conscient qu’une telle opportunité ne se représenterait pas, Goran n’hésita pas. Il empoigna fermement l’un des bras, et de la fumée commença à s’échapper de la zone en contact. Le Traqueur, les veines du front apparentent, donnait tout. Du sang coula de son nez et de ses yeux, mais il tint bon, et finalement le membre finit par se détacher du reste du corps. Dans un hurlement assourdissant de douleur, la perte de cet appui amena la créature à terre. Mais avant que sa tête ne percute le sol, Elias interposa l’acier de sa lame. Pris dans un étau de métal et de gravité, le cou ne tint pas le choc. Alors que roulait la tête grotesque, le reste du corps fut parcouru de spasme jusqu’à son immobilisation totale.
— P-putain… j’en peux plus… souffla Elias.
Tout aussi éreintés, ses deux compagnons ne répondirent pas. Au terme de l’affrontement, les jambes flageolantes de la demi-elfe avaient cédé, la forçant à s’asseoir. Elle sentait qu’un liquide chaud coulait depuis l’arrière de son crâne, signe que son spectaculaire vol n’avait pas été sans conséquence.
Cette fois, c’était pas loin… songea-t-elle en contemplant la paume de sa main qu’elle referma avant de se redresser, déterminée.
— On ne peut pas rester éternellement là, déclara-t-elle. Vous me raconterez plus tard comment vous êtes arrivé ici. Je suppose que c’est notre cible, ajouta-t-elle en désignant du menton la femme inconsciente.
Trop occupé à récupérer, Goran se contenta d’acquiescer sans un mot.
— Bien, se réjouit-elle. Alors il nous fait trouver une solution pour quitter ce train de malheur avant que d’autres ennemis ne rappliquent. Pour l’heure, réfugions-nous sur le toit…
Remarquant que ses compagnons ne semblaient pas l’écouter, elle s’interrompit. Quelque chose derrière captait toute leur attention, suffisamment préoccupant pour qu’ils deviennent aussi livides que des cadavres. La demi-elfe se retourna lentement, et son cœur manqua un battement. Émergeant du wagon-prison, une seconde monstruosité s’avançait vers eux.
Marcus progressait rapidement sur les toits, ne rencontrant aucune opposition concrète. Dans cette course contre la mort, une vie était prise à chaque seconde, aussi se pressait-il. Il lui fallut moins d’une minute pour remonter tout le train jusqu’au dernier wagon avant la locomotive. C’était d’ici qu’était parti l’éclair funeste qui avait neutralisé le premier commando. Pour éviter un sort similaire à Sylvain et les autres, le moustachu se devait de neutraliser le responsable.
Tout en reprenant son souffle, il se positionna au centre, lâchant subitement sa mallette. Elle s’ouvrit en percutant le sol, dévoilant un court bâton argenté. Glissant son pied à l’intérieur, le moustachu le projeta dans les airs pour s’en saisir au vol. D’un simple mouvement de poignet, l’outil se déplia, triplant sa longueur, et une lame argentée émergea de l’une des extrémités. Ce qui ressemblait précédemment à une banale canne se révélait être une lance-épée de haute facture, à l’apparence épurée. Cette arme était le second et dernier artefact de son passé perdu, sa plus vieille compagne, la seule chose en laquelle il avait pleinement confiance. À peine la faisait-il tournoyer, que ses lèvres ne purent retenir ces quelques mots.
— Vif comme l’éclair, indomptable comme le vent, je suis la tempête.
L’argent virevolta, sectionnant le toit sur lequel reposait Marcus, qui fut entraîné dans les entrailles du wagon. Durant sa chute, le temps parut s’étirer pour le moustachu, qui eut tout le loisir de découvrir les visages surpris des occupants de la voiture. Trois humains et quatre vampires, dont un noble.
0/8. C’est parti.
À peine posait-il le pied au sol que trois têtes s’envolèrent. Les survivants n’eurent pas le temps de comprendre ce qui venait de se produire, que la foudre rugit à nouveau.
6/8
Marcus dirigea son regard vers le noble, dont la lame n’était pas encore complètement sortie du fourreau. Il lut, dans l’iris écarlate, la profonde confusion qui habitait ce puissant aristocrate. Pour un être de son espèce, la peur était d’ordinaire un sentiment étranger. Mais dépassé par l’absurdité de la situation, naquit en lui une émotion nouvelle : l’impuissance. À peine y goûtait-il que la valse se poursuivait et que son corps s’effondrait telle une poupée désarticulée.
7/8.
La lance de Marcus siffla dans l’air, prête à faucher son dernier obstacle. Mais au moment fatidique, des étincelles jaillirent lorsqu’elle se heurta à une barrière invisible. En rencontrant le regard placide de son opposant, Marcus décida immédiatement de reculer. Malgré le carnage qui venait de se dérouler devant ses yeux, le visage froid de son adversaire ne laissait pas transparaître la moindre émotion. Instinctivement, Marcus identifia ce formidable opposant comme la plus grande menace qu’il n’eut jamais rencontrés.
Oliver Manson.
En écho à ce nom remontèrent les enseignements d’Elias au sujet de l’Architecte de la Thaumaturgie. Au cours des deux mille ans d’existence de l’Association, seule une poignée d’élus avait été récompensée par le titre d’Archimage. Pour l’homme ayant perfectionné le système établi par le Magicien Aldebaran Einzbern, ce titre était une évidence. Oliver Manson était le père de la Thaumaturgie, littéralement le fondateur du système magique actuel.
Face à une telle légende, le moustachu adopta une posture plus défensive, prêt à réagir au moindre mouvement de sa part. Mais à sa grande surprise, son opposant ne contre-attaqua pas immédiatement. Au contraire, la curiosité illumina brièvement l’iris gris de son regard.
— Fascinant… déclara-t-il. L’élégance de ces mouvements, la perfection de cette technique. Ainsi donc êtes-vous encore vivant, Chevalier Tempête.
Pendant un instant, la concentration de Marcus fléchit. Un florilège de question troubla la plénitude de son esprit, manquant de rompre son lien avec la Mélodie.
Chevalier Tempête ? Est-ce ainsi qu’il m’a appelé ? Cet homme me connaît-il ?
Secouant la tête, le moustachu reprit le contrôle sur ses pensées et se focalisa sur un unique objectif.
Tuer.
Usant de sa formidable vélocité, il s’élança, mais son adversaire avait déjà anticipé l’assaut, convoquant des projectiles enflammés. Habilement, le moustachu les dévia et esquiva, mais la distraction fut suffisante pour qu’Oliver se saisisse d’un imposant grimoire. Les pages s’animèrent et bougèrent seules avant de se stabiliser. D’une main, l’Archimage sembla extraire un sort qui crépita en se matérialisant. La température dans le wagon chuta brutalement, et des pics de glace se formèrent avant de fuser vers Marcus. Avec la fluidité de l’eau, l’argent de la lance repoussa et détruisit l’ensemble des projectiles.
D’un point de vue extérieur, la bataille qui se déroulait là était tout à fait impressionnante, et les deux combattants paraissaient se tenir mutuellement en respect. Mais cette égalité apparente masquait en réalité la situation défavorable du moustachu. Incapable de riposter, il ne pouvait abandonner sa position défensive sous peine d’être irrémédiablement dépassé. Un déluge de sort s’abattait sur lui, l’empêchant de danser comme il l’entendait.
En temps normal, dans une configuration comme celle-ci, l’endurance était la clé de l’affrontement : qui du mage ou du lancier sera épuisé en premier ? Mais cette question tout à fait légitime était rendue caduque pour une seule raison : Oliver Manson. Marcus n’était pas dupe quant à la nature du grimoire utilisé. C’était un catalyseur de sort préenregistré, ce qui signifiait que son adversaire ne consommait pas de mana pour déchaîner toutes ces attaques sur lui. Fidèle à sa légende, l’Archimage avait conçu un artefact terrifiant qui annulait sa principale faiblesse, et supprimait de fait toute option de victoire.
La défaite est inévitable.
Ou pas. En effet, si la supériorité d’Oliver était incontestable, son opposant n’avait pas encore dévoilé toutes ses cartes. Malgré son amnésie, le moustachu était un formidable combattant, qui au cours de ses huit années de mercenariat n’avait jamais connu l’échec. Oui, n’importe qui aurait perdu ce duel injuste. Mais pas Marcus.
Alors que des balles de mercures solides fonçaient vers lui, il s’arrêta de bouger et fit tournoyer son arme pour écarter la menace. Puis, il se positionna de manière perpendiculaire à sa cible et écarta ses jambes en penchant son corps vers l’avant. Tenant la lance dans ses deux mains, il dirigea la pointe légèrement vers le bas. Devant cette pose, le masque d’indifférence d’Oliver se fissura.
— Cette posture… C’est…
Il n’eut pas le temps d’achever sa remarque. Marcus avait atteint un état de concentration absolu, percevant avec une acuité nouvelle la Mélodie. Dans cette ambiance électrique, alors que les millisecondes se changeaient en heures, que toute couleur s’effaçait, qu’il pénétrait enfin dans les terres de l’éternité, il trouva enfin le chemin. Bien que cela fasse plus de huit ans, et qu’il n’en est pas de souvenir direct, il sentit qu’il était familier avec ce fil immatériel flottant dans les airs, et qui s’étirait jusqu’à toucher son adversaire. Il identifia l’instant parfait pour relâcher son ultime atout. Sa plus puissante attaque.
À l’instant où il agit, des éclairs noirs parcoururent la pointe de la lame. Sa main gauche lâcha l’avant de la lance, et en un bond foudroyant, il combla la distance qui les séparait. D’un ample mouvement d’épaule, il visa le torse, suivant la ligne tracée par la Mélodie.
Alors, le choc eut lieu.
Une fois encore, l’attaque se retrouva bloquée par la barrière. Mais cette fois-ci, des craquelures se dessinèrent sur toute sa surface, alors même que la puissance de l’impact avait fait voler en éclat les murs et le toit du wagon. Marcus, les dents serrées, mettait tout son poids pour détruire le sort défensif, pendant que son adversaire, la mine tendue, concentrait ses efforts sur son maintien. L’énergie dégagée par cette confrontation était monstrueuse, évoquant la fureur d’une tempête. Pourtant, en cet instant précis, le moustachu semblait échec et mat, incapable de franchir l’ultime obstacle. Refusant de se résoudre à cette conclusion, il hurla de toute son âme. Il devait plonger plus loin, plus profondément. Jamais n’avait-il aussi bien perçu la Mélodie que maintenant. Contre toute attente, l’impossible eut lieu.
La lance perfora la dernière défense d’Oliver, provoquant une explosion dantesque. Projeté en arrière, Marcus roula jusqu’au bout du wagon. Exténué, mais vivant, il se redressa péniblement, son attention dirigée vers l’épicentre du cataclysme, caché sous une lourde chape de fumée. Pendant quelques instants, le doute persista, jusqu’à ce qu’une bourrasque dévoile le dénouement du combat.
La voiture était comme coupée en deux, séparée par un gigantesque trou. Miraculeusement, des barres de fer en piteux état assuraient encore la connexion avec la locomotive, mais il était évident qu’elle ne tarderait pas à céder. De l’autre côté, sans la moindre éraflure, Oliver Manson toisait son adversaire avec une expression indéchiffrable. Une couronne de lumière flottait au-dessus de sa tête, et un cercle tout aussi immatériel, traversé de quatre lames, était suspendu à son dos. Marcus, désabusé, faillit ne pas entendre le puissant bruit de cloches qui secouèrent le ciel. Quatre coups, fort, qui résonnèrent probablement jusqu’à des kilomètres à la ronde et accompagnèrent les paroles sans émotion de l’Archimage.
– Remarquable. C’était tout à fait remarquable. Peu de héros peuvent se targuer de m’avoir contraint à ça, admit-il.
Passé la déception et la lassitude, l’esprit combatif du moustachu se raviva, et, ignorant la douleur, il s’aida de sa lance tombée à côté de lui pour se remettre debout. Ses jambes tremblaient, et il se savait incapable de faire le moindre mouvement, et pourtant, il refusait de s’abandonner au désespoir. Aussi, fut-il d’autant plus stupéfait quand les attributs lumineux de son adversaire s’estompèrent et que sa main se leva en signe d’apaisement.
— Inutile de prolonger ce combat, ce serait contre-productif. De toute manière, je n’avais pas l’intention de vous tuer. Supprimer un Porteur serait regrettable.
Pas vraiment convaincu, Marcus resta en position. Ses pensées étaient consacrées aux Jaëgers qui risquaient d’arriver d’un instant à l’autre. Mais l’Archimage sembla lire dans son esprit, puisqu’il ajouta :
— Rassurez-vous, je ne compte plus me battre et ôter la vie. Mon rôle dans cette histoire s’achève ici.
Hésitant, Marcus oscillait entre soulagement et méfiance. Cependant, la fatigue prit le pas sur la raison, et il se laissa choir sur le sol. Alors qu’il contempla le vide devant lui, l’air absent, la curiosité raviva les braises brûlantes de son âme.
— Attendez, cria-t-il en constatant qu’Oliver lui tournait le dos. Qu’entendez-vous par Chevalier Tempête ?
Sans cacher son étonnement, celui-ci l’observa avec attention, avant d’énoncer une triste vérité.
— Vous ignorez qui vous êtes. La mémoire vous fait défaut.
— Je… C’est possible, admit le moustachu, qui trouva la force pour se redresser. Mais vous semblez me connaître, aussi je vous en conjure : dites-moi ce que vous savez.
Sans se presser pour répondre, Oliver jaugea son interlocuteur. Ce n’est qu’au terme d’une douloureuse éternité qu’il daigna apporter une étrange réponse.
— Vous pourriez m’être utile pour une affaire préoccupante. J’y consentirais, seulement en échange d’un service. Après tout, rien ne s’obtient sans contrepartie. Cela vous convient-il ?
Marcus hésita. Après tout, ils venaient tout juste de s’affronter.
Puis-je vraiment lui faire confiance ? Non, en vérité, ai-je seulement le choix ?
— Je… C’est d’accord. J’accepte votre proposition.
– Très bien. Mais cette discussion mérite que l’on ne nous interrompe pas.
Des runes se tracèrent dans les airs, formant une adresse.
— Retrouvez-moi là-bas. J’y serais à toute heure.
Les pages du grimoire bougèrent à nouveau, et un vortex apparut à côté du mage. Sans attendre une réaction du moustachu, Oliver disparu dans le portail.
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