Chapitre 12 : Le témoin
Contrairement aux autres, qui s’abandonnèrent rapidement au sommeil une fois la réunion achevée, Elias resta éveillé. Ce n’était pourtant pas l’envie qui manquait, mais, pour raison personnelle, il ne pouvait s’endormir pour le moment. L’heure d’y aller approchait, et il guetta en silence le moment opportun. Finalement, avec d’infinies précautions, il sortit de sa chambre en prenant soin de ne pas attirer l’attention d’une patrouille. Cette attitude suspecte pouvait donner l’impression que ses intentions étaient mauvaises. Dans les faits, le sujet était plus complexe.
En sortant de l’hôtel, il fut accueilli par le froid glacial de la nuit hivernal, et c’est tout tremblant qu’il rejoignit sa cachette. Recroquevillé sur lui-même, il chercha vainement un peu de chaleur dans les plis épais de son manteau. Bien que courte, l’attente était insupportable dans un tel cadre, et c’est avec joie qu’il aperçut une silhouette encapuchonnée sortir de l’hôtel avec prudence. Après quelques gestes précautionneux supplémentaires, celle-ci s’élança précipitamment dans le dédale des rues parisiennes. Tout en se frottant les mains pour se donner du courage, le demi-vampire entama sa filature.
D’ordinaire, Paris dormait à ces heures, et seuls les nécessiteux peuplaient ses artères. Mais au-delà de la relative tranquillité du 3e arrondissement, la ville s’enflammait chaque nuit. Après seulement quelques mètres au-delà de l’enceinte magique, Elias manqua de perdre sa cible de vue quand elle s’enfonça dans la foule agitée. Des milliers d’habitants dressaient des barricades, les défendant corps et âme face aux soldats de la monarchie. Le peuple avait pour lui la colère et le nombre, les troupes royales l’équipement et la discipline. Jouant des coudes pour se frayer un chemin, le demi-vampire se retrouva sans le vouloir face à un mur de fusils. Il se jeta à terre par réflexe, entendant d’abord le bruit des détonations, puis celui des corps s’effondrant. Très vite, il se releva alors que la foule, profitant du rechargement des fusils, chargeait l’armée en brandissant des armes de fortune.
Diantre, j’espère que tout ça en vaut en la peine, pensa-t-il en se précipitant dans une ruelle.
Presque par hasard, son regard se porta sur les toits, et ses lèvres s’étirèrent en un sourire mauvais en apercevant une ombre se mouvant rapidement.
Rusé la bête.
Sa cible avait pris de la hauteur pour éviter les affrontements. Elle sautait de bâtiment en bâtiment, sans craindre le vide, en fonçant vers sa destination. Sans la moindre hésitation, Elias l’imita en veillant à conserver une certaine distance. Il devait malgré tout rester pleinement concentré pour parvenir à suivre l’allure folle de la silhouette, qui progressait avec une remarquable agilité. Finalement, celle-ci descendit en quelques bonds dans une ruelle poussant une porte, qui s’ouvrit malgré l’heure avancée. Alors que sa cible disparaissait à l’intérieur, Elias ne se précipita pas et consulta sa montre, laissant filer une minute avant de s’y engager. La douce chaleur d’un établissement de nuit l’enveloppa, repoussant avec vigueur le climat gelé de l’extérieur. Le café, composé d’une unique salle de consommation, était complètement vide à l’exception d’un barman plongé dans sa vaisselle. En redressant sa tête, l’homme reconnut son client, et lui indiqua d’un geste de la tête une porte presque cachée dans le fond. Elias le gratifia d’un franc sourire de remerciement, avant de se diriger tranquillement vers l’endroit désigné. Il toqua à cinq reprises, pour marquer son appartenance au monde magique et son droit d’entrée. La poignée se baissa, et, depuis une maigre ouverture, un petit homme le fixa avec suspicion.
— Quelle vérité est la plus légitime ? Celle du Roi, de l’Église ou du Peuple ? demanda-t-il.
– Aucune. La seule qui prévaut est celle de la science, qui nous guide sur le chemin de la Racine.
La porte se referma, et le demi-vampire perçut le bruit caractéristique d’un loquet que l’on retire. À nouveau, on lui ouvrit, en grand cette fois-ci, et l’homme qui avait posé l’énigme l’invita à entrer. Il descendit une courte volée de marche, avant de pénétrer dans le véritable établissement.
Face à lui s’étendait un authentique bar clandestin, empli d’une activité remarquable pour l’heure. Ce n’était pas le seul de la ville, qui en comptait dans chaque arrondissement. Ces endroits étaient de minuscules enclaves réservées au monde magique, agissant comme lieu de loisir, hôtel ou encore salle de travail. Celui-ci était spécialisé dans le divertissement, comme en témoignaient l’alcool qui coulait à flots et les corps qui se trémoussaient. Mais sa véritable fonction secondaire était beaucoup plus sérieuse. Bien que l’envie de faire la fête était grande, c’était précisément pour cette raison qu’Elias avait bravé le froid et les rixes nocturnes. Repoussant avec regret les avances de demoiselles charmées par sa beauté surnaturelle, il se dirigea vers un comptoir avec la prestance d’un habitué. À peine s’y accoudait-il qu’un employé se présenta immédiatement.
— Bonsoir, monsieur, vous désirez ?
— Salle n° 13. Je suis attendu là-bas.
— Bien, monsieur, j’ai besoin de connaître votre nom pour vérifier cela.
— Saint-Germain.
L’employé exhuma un imposant registre, et, après en avoir rapidement parcouru quelques lignes du doigt, il se redressa avec une façade polie.
— En effet, monsieur est attendu, dit-il en tendant une pièce en bronze. J’appelle immédiatement quelqu’un pour vous ouvrir.
L’attente fut de courte. Dans un fracas métallique, éclipsant les bruits ambiants, un nabot bardé de la tête au pied d’une centaine de lourdes clés s’approcha en lui faisant signe de le suivre. Le demi-vampire s’exécuta, longeant le mur jusqu’à une nouvelle porte. Derrière s’étirait un long couloir, où un imposant vigile les stoppa. Le contraste entre les deux gabarits manqua de déclencher un fou rire chez Elias, qui présenta la pièce de bronze remise auparavant. Le colosse s’écarta pour les laisser passer, indifférent aux gloussements du demi-vampire. Passant devant de nombreuses portes numérotées, ils s’arrêtèrent devant la treizième. Fouillant dans ses trousseaux, le nain dégaina l’une de ses clés, et l’enfonça avec précision dans la serrure. Quand elle fut déverrouillée, il attendit que son client entre avant de la refermer à double tour. Elias se trouvait dans le petit vestibule d’une des nombreuses salles réservées aux conversations privées, quand la voix énervée de Marcus parvint jusqu’à ses oreilles.
— Ça suffit maintenant ! C’est simple, tant que vous ne m’aurez pas parlé de mon passé, je n’écouterais plus un traître mot de votre demande.
— Vous ne me faites vraiment pas confiance. Soit, commençons par là.
— Oui, ça me paraît tout à fait pertinent ! déclara Elias.
Son entrée fracassante ne passa pas inaperçue, Marcus manquant de tomber de sa chaise. En revanche, nulle émotion ne vint perturber l’impassibilité d’Oliver Manson. Ce dernier ignora le nouveau venu pour s’adresser au moustachu.
— Auriez-vous la décence de m’expliquer ce que signifie cette intrusion ?
Troublé, l’intéressé ne savait plus où donner de la tête, son regard alternant entre les deux hommes.
— Elias, mais… pourquoi ? Non, je veux dire, comment êtes-vous ici ?
— Je vous ai suivi, mon bon Marcus, tout simplement, affirma le demi-vampire avec aplomb. Mais vu la situation, vous n’êtes pas vraiment en droit de poser les questions. Expliquez-vous maintenant ! Que signifie cette rencontre secrète ? ajouta-t-il avec sévérité.
Marcus était trop perturbé pour remarquer l’exagération théâtrale de son collègue. Il commença à bafouiller une réponse incompréhensible, avant de finalement abdiquer. Quand il releva la tête, las, ce fut d’abord pour s’adresser au mage.
— Je vous présente Elias. C’est l’un des mercenaires engagés par Godwinson, et par extension… un compagnon d’infortune (il se tourna ensuite vers le demi-vampire, l’air grave). Elias, par pitié, restez calme : voici Oliver Manson.
— Co-Comment ? Oliver Manson ?! L’Architecte de la Thaumaturgie moderne ? Celui qui fut l’un des plus éminents Immortels de l’Association ? Le mentor de…
— Oui, oui, tout ça, l’interrompit le concerné.
Véritable exploit de Elias, un agacement perceptible bouleversait le flegme habituel d’Oliver. Cette interaction perturba également Marcus, qui remarquait enfin l’exagération du demi-vampire.
— Elias ? demanda-t-il.
Conscient d’en avoir peut-être trop fait (Quand bien même c’était amusant de le voir réagir ainsi), Elias toussota avant de reprendre son sérieux. Avec un peu trop de sérieux.
— Pardon, pardon ! Il se trouve que je suis un profond admirateur de Monsieur, dit-il en désignant Oliver. Mille excuses si je vous ai offensé !
— Ce n’est rien, éluda l’Archimage. Venons au fait, je crois que Marcus et moi vous devons des explications.
Ce faisant, il prit une courte inspiration avant de tout raconter, de sa rencontre avec Marcus, à la raison de leur présence ici. Tout le long du récit, Elias arbora une superbe expression pleine de gravité.
Bon c’est bientôt fini ? Oui, oui, j’ai compris, super le duel, le respect mutuel, l’amitié virile, tout ça, pas la peine d’insister. Rah, mais cette chaise est si inconfortable ! Oula, mon vieux, ne bâille pas, ne bâille pas… Voilà, comme ça ! Oh, mais j’y pense, il reste le trajet de retour ! Dans ce froid ! Fichtre, pour la peine, je passerais par les cuisines en rentrant.
-.... Puis vous avez fait irruption au moment où j’exposais ma demande. Demande qui s’est avérée similaire à votre mission actuelle : prévention du rituel du Séraphin et capture des coupables.
— Tout est plus clair, admit le demi-vampire. Mais, avant d’en venir à cette dernière part qui nous concerne tous, Marcus, pouvez-vous m’expliquer votre discrétion à mon égard et celle des autres ?
Cherchant ses mots, le mercenaire s’efforça de se justifier.
— Et bien… Avant de venir ici, j’ignorais encore tout de la demande d’Oliver, se défendit le moustachu. Si jamais elle s’était révélée en totale opposition avec celle de Godwinson, alors j’aurais dû faire un choix, peut-être néfaste au bon déroulement de l’enquête. J’ai donc préféré, sur l’instant, faire cavalier seul.
Elias acquiesça avec sérieux, les traits du visage étiré en une expression faussement satisfaite.
— Maintenant que le malentendu est dissipé, nous pouvons reprendre là où nous nous sommes arrêtés, déclara l’Archimage. Naturellement nous vous invitons à rester jusqu’au bout, proposa-t-il au demi-vampire.
— Oui, mais n’oubliez pas : avant de parler de vous ou du Séraphin, c’est mon passé que je veux connaître, insista Marcus.
— N’ayez crainte, j’y venais. Pour commencer, sachez que notre rencontre dans le train était la première. Je vous ai reconnus grâce à votre style de combat atypique.
— Vous m’avez appelé le Chevalier Tempête.
— C’était votre surnom dans le temps. Marcus Géricault, alias le Chevalier Tempête, gardien de la famille de la Serre. Vous étiez célèbre pour être l’un des derniers élèves de l’école Alrai, l’une des deux branches de l’Épée Divine.
— Famille de la Serre ? Épée Divine ?
— J’y viens. La famille de la Serre jouait un rôle politique de premier plan dans la société magique parisienne, jusqu’à leur disgrâce il y a huit ans. Reconnu coupable du tragique incident du 9e arrondissement, le chef de famille fut exécuté et les autres membres furent impitoyablement traqués, aboutissant à leur destruction totale. La version officielle stipule d’ailleurs que vous êtes censé être mort à ce moment-là, chose que je pensais également.
Quant à l’Épée Divine, c’est une école au pinacle du maniement des larmes tranchantes, dont l’origine remonte à l’âge des Magiciens. Elle fut fondée par deux épéistes, Miqshar Astrea et Aaron Alrai, réputés pour s’être tenus sur un pied d’égalité avec les Magiciens. Néanmoins, la complexité de ses techniques l’a progressivement fait disparaître. Avec le temps, apprendre, ne serait-ce que l’ébauche d’un mouvement, était l’œuvre d’une vie dédiée à cet art. C’est pourquoi leurs utilisateurs sont tout autant craints que respectés.
Les yeux clos, le moustachu se massait les tempes, mais aucune image ne venait perturber l’obscurité dans laquelle baignait son esprit.
— Rien ne me revient… Mais tout ça corrobore avec mon premier souvenir, donc je suppose que c’est la vérité.
— Je n’ai aucun intérêt à vous mentir. Si l’ombre d’un doute persiste, demandez donc à votre acolyte ici présent ce qu’il sait à propos du Chevalier Tempête.
Elias tapota l’épaule de Marcus pour lui signifier que le récit de l’Archimage était véridique. Le moustachu soupira avant de se redresser.
— Bon à votre tour maintenant, dit-il.
Soudain, quelqu’un toqua à la porte. Alors qu’Elias et Marcus échangeaient un bref coup d’œil surpris, Oliver demeura de marbre, se contentant d’inviter la personne derrière à entrer. Sans prononcer le moindre mot, un serveur portant un plateau déposa devant chacun d’eux une tasse en porcelaine, qu’il s’empressa de remplir d’eau chaude avant de sortir aussi prestement.
— Le service ici est un peu rude, mais je vous assure que le thé est excellent, déclara Oliver. Goûtez-le, vous verrez que celui-ci est de première qualité.
Hésitant, les deux hommes finirent par s’exécuter quand l’Archimage trempa ses lèvres dedans. Les teintes légèrement fruitées du liquide surprirent agréablement Elias. Alors qu’il enchaînait déjà avec un second service, Oliver débuta son récit.
— À l’origine, je surveillais depuis très longtemps Yevgraf, qui a toujours été le plus turbulent des trois rois vampires. Bien qu’elles soient problématiques, les vagues qu’il générait n’étaient pas vraiment dérangeantes. Il y a un an cependant, j’ai découvert que ses activités s’étaient dangereusement intensifiées. Poussé par la curiosité, j’ai donc approfondi mes observations. De fil en aiguille, en usant des réseaux à ma disposition, j’ai appris que ses équipes travaillaient sur un projet de grande ampleur, en collaboration avec d’illustres inconnus. Alors, j’ai creusé dans deux directions différentes : les collaborateurs, puis le projet en question.
La première piste n’a pas donné grand-chose, mais m’a fait prendre conscience de la gravité de la situation. Ces gens étaient de véritables fantômes, des mages enregistrés nulle part. Le seul indice un tant soit peu tangible était un nom, ou plutôt un pseudonyme, celui de leur meneur : Zn Succin.
Quant à la seconde piste, celle-ci était encore plus verrouillée que la précédente. Après tant d’efforts vains, une évidence s’est donc imposée naturellement. Pour en apprendre le plus possible, il me faudrait infiltrer personnellement les rangs de cette organisation. Ce ne fut pas chose aisée, notamment à cause de ma célébrité, mais mes précieuses compétences ne pouvaient être reniées ainsi. Au prix d’un Contrat Noir, j’ai pu travailler pour eux.
Elias remarqua que Marcus s’était crispé à l’évocation de la tristement célèbre malédiction. Celles-ci sont un cas quelque peu à part dans la thaumaturgie moderne. De par leur nature inaltérable, les malédictions diffèrent des sorts conventionnels et sont associées aux vestiges de la Véritable Magie. La plus connue est le fameux Contrat Noir, liant un contractant à un employeur sous de strictes conditions, qui, si elles ne sont pas respectées, entraîne une mort immédiate.
— Quels étaient les termes de ce Contrat Noir ? demanda Elias.
— Interdiction de communiquer à des personnes extérieures les noms des gens avec qui je collaborais, ainsi que la nature de mes prestations pour eux. En somme, je ne pouvais rien divulguer, sous peine de périr à cause de la malédiction. Cependant, j’ai réussi, tout récemment, à m’en débarrasser. Toujours est-il que je me suis retrouvé à travailler pour eux, poursuivit l’Archimage. On ne m’a jamais expliqué la finalité des expériences que je dirigeais. Néanmoins, il m’était facile de le deviner grâce aux cobayes qu’on me livrait.
— De quels genres d’expériences parle-t-on ? l’interrompit Marcus.
— J’y viens justement, siffla l’Archimage. Sans entrer dans le détail, je devais injecter des cellules vampiriques par intraveineuses, et en observer les effets sur le corps. Surprenamment, tous les sujets d’étude mourraient rapidement, ce qui est une aberration scientifique. Pourtant, on m’interdisait d’en comprendre les causes en me privant des cadavres. Néanmoins, avec le temps, je suis parvenu à en percer le mystère. Tout était le fait d’une seconde irrégularité, beaucoup plus inquiétante. Un rarissime gène du Séraphin, présent chez une part insignifiante de la population humaine, avait été transplanté précédemment dans mes expériences.
— Est ce que ça veut dire…
— Oui : Zn Succin et Yevgraf essayent de créer un réceptacle pour un Séraphin. Face à cette évidence, malgré une marge de manœuvre réduite, j’ai commencé à agir. Ainsi, j’ai contacté une connaissance de l’Association qui en a informé le Conseil.
Le fameux Capitaine, se souvint Elias.
La révélation prit de court le moustachu, qui réalisa alors que son interlocuteur était le témoin anonyme mentionné par Dowle. Le comportement de l’exécutant devenait subitement limpide.
— C’est tout ce que j’ai pu faire. Suite à l’échec de la première enquête, il est devenu clair que Zn Succin était membre de l’Association, ou disposait de sérieux contact en son sein. J’ai donc prolongé mon infiltration, jusqu’à croiser votre route.
— Et maintenant ?
— La situation a changé. Mon rôle dans cette histoire s’arrête ici, et le vôtre commence véritablement. Avec le soutien d’un Immortel, vous pouvez gérer ce problème.
Le moustachu fit la grimace, pas vraiment convaincu.
— Pardonnez ma franchise, mais j’ai l’impression que vous fuyez ce merdier.
— Pensez ce que vous souhaitez. Simplement, comprenez que la situation n’est pas seulement critique ici, répliqua l’Archimage. J’ai personnellement investi trop de temps dans cette histoire, au détriment d’affaires tout autant urgentes. Dans tous les cas, je m’en remets maintenant à vous.
Vidant sa tasse de thé d’une traite, il se leva et se dirigea calmement vers la porte. Mais au moment de sortir, la voix de Marcus l’arrêta net.
— Un instant.
Surpris par l’autoritarisme du moustachu, Elias interrogea celui-ci du regard, mais n’obtint aucune réponse. Marcus fixait l’Archimage avec une lueur mauvaise, prêt à lui bondir dessus. Sans montrer d’émotion face à la tension naissante, Oliver relâcha sa prise sur le poignet et se tourna vers lui, affichant une expression impassible.
— Quoi ? Faite vite, je suis pressée.
— Vous avez parlé d’expérimentation sur des cobayes, rappela Marcus, qui se redressa également. De vampirisme en intraveineuse.
— Tout à fait. Où voulez-vous en venir ?
— Nous avons fait la rencontre de gens ayant observé quelque chose de similaire. Ils enquêtaient sur un atelier dans le 17e arrondissement. Par le plus grand des hasards, étiez-vous le responsable de cet endroit ?
Les derniers mots étaient particulièrement appuyés, illustrant la sourde colère du moustachu. Sa main empoignait fermement une mallette, alors qu’il se rapprochait de l’Archimage avec l’attitude d’un prédateur.
Oooh ! Voilà qui est excitant ! s’enthousiasma Elias. Réponds donc, le vieux. Je veux voir où tout ça nous mène !
Indifférent à la menace qui se présentait face à lui, Oliver conserva son éternelle impassibilité.
— Que se passerait-il si c’était le cas ?
Avec la fulgurance d’un éclair, Marcus se rapprocha, pointant vers l’objet de son animosité une lance-épée remarquablement ouvragée.
— Fumier.... grogna-t-il.
Loin de s’émouvoir d’un tel comportement, Oliver n’eut aucun geste défensif. Son regard était celui d’un homme qui observait sans état d’âme une vulgaire poussière, insignifiante.
— Monsieur Géricault, j’ai une autre question pour vous, dit-il. Si les cobayes n’avaient pas été des enfants, voire même des humains, mon action aurait-elle été moins répréhensible ?
— Je n’ai que faire de votre justifi…
— La réponse ici dépend de votre morale, l’interrompit l’Archimage. Or c’est une donnée variable, fortement influencée par nos sociétés, et qui n’est jamais la même selon l’individu. Pour certains, prendre la vie d’adultes, voire d’animaux de laboratoire, est tout autant répréhensible que de s’attaquer à la jeunesse. Personnellement, je considère que toute vie à la même valeur, sans rapport avec l’âge ou l’espèce. Et c’est pour cela que je n’éprouve aucun remords à mes actions, car c’était le choix le plus logique à faire. Qu’importe votre haine à mon égard, comprenez que, si tuer une dizaine d’enfants me permet de sauver les millions d’habitants de cette ville, alors je renouvellerais sans hésiter ce sacrifice.
Le pragmatisme d’Oliver fit l’effet d’une gifle sur Marcus. Complètement assommée, la lance-épée s’abaissa lentement.
Tch, pesta Elias, déçu.
— Si vous n’avez rien de plus à me dire, je prends congé, annonça Oliver.
Mais au moment où il s’apprêtait à franchir le palier, Marcus redressa enfin la tête. Quand bien même il ne pouvait réfuter l’argumentaire de l’Archimage, le cœur du moustachu lui hurlait que l’homme était tort.
— Priez pour que nos routes ne viennent pas à se croiser à nouveau. Je le jure sur ce que j’ai de plus cher, la prochaine fois, vous paierez pour toutes ses vies innocentes !
Oliver ne prit même pas la peine de le regarder une dernière fois. Quand il eut disparu, la tempête se déchaîna. Le bruit de la vaisselle qui se brise se mêla à la fureur du tonnerre. Au milieu des violentes bourrasques, Elias ne put réprimer un sourire discret.
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