4 - Une disparition
Résumé des chapitres précédents – 1 à 3 : Pour Diana Artz, les problèmes n’ont pas commencé avec cette intrusion d’un inconnu dans sa maison perdue en pleine garrigue non loin d’Aix. Mariée à Paul, elle a habité à la Défense, puis en Touraine, et finalement, la personnalité de Paul changeant de plus en plus, elle a accepté de le suivre à Aix-en-Provence, où les parents de Paul ont une propriété qu’ils mettent à leur disposition. Mais Paul ne cesse de changer, de devenir lunaire, et bientôt ses incartades, ses fugues, les dissensions dans le couple aboutissent au divorce. Diana se retrouve seule. Elle a néanmoins un compagnon par intermittence, Nicolas.
– 4 –
Les gendarmes étaient venus faire les constatations d’usage à la suite de mon agression. Ils semblaient pressés, et inquiets, mais non pour moi. Ils ne remarquèrent rien d’anormal dans la maison. Je leur dis qu’à première vue rien n’avait été volé. Concernant l’attaque proprement dite, d’après eux je devais porter plainte, c’est ainsi qu’en signant un bout de papier on se défend. Quoiqu’ils n’avaient pas l’air d’être convaincus par la possibilité de nouvelles investigations. En outre, je ne pouvais pas même leur décrire mon assaillant.
– On ne sait donc pas s’il en avait après vous, mais vraisemblablement pas. Certainement un rôdeur de passage. Le type ne savait pas trop ce qu’il cherchait, et vous l’avez surpris alors qu’il ne s’y attendait pas. Avait-il l’intention de vous violer ? Vous avez affirmé qu’il est parti subitement et vous a laissé : a-t-il entendu quelque chose qui lui a fait peur ? Vous-même, avez-vous perçu quelque chose ? Une voiture arrivant chez vous ?
– Non, pas que je sache, dis-je, débordée par toutes ces questions. J’étais pourtant sur mes gardes, je peux vous dire. Terrorisée mais attentive.
– Il n’empêche, désormais faites bien attention à fermer votre porte.
– Mais j’y veille tous les jours !
Le gendarme, un grand gaillard à la voix chuintante, se retourna une dernière fois vers moi, et me rétorqua avec un sourire un peu moqueur :
– Votre agresseur n’est pas entré par la cheminée, madame. Nous avons bien fait le tour, vous l’avez constaté. Il n’y a aucune trace d’effraction nulle part. Vous avez dû oublier de fermer l’une de vos deux portes, de devant ou de derrière. Ça peut arriver, avec les conséquences que l’on sait. Soyez prudente.
Il m’énervait, et il pouvait se garder sa morale, après l’attaque que j’avais subie. Je ne comprenais pas comment j’avais pu faire une telle bévue. Il se rendit compte de sa dureté et se reprit.
– Je suis désolé si l’on vous bouscule un peu...
Puis enchaîna en se pinçant la lèvre :
– Oh pardon ! Ne voyez dans mes mots aucune allusion à ce qu’il vient de vous arriver. Nous sommes juste très pressés. Vous êtes au courant pour l’enfant disparu ?
Je fis non.
– Il y a eu une « Alerte Enlèvement » ?
Je n’avais pas écouté les informations depuis l’avant-veille. Juste regardé des vidéos You tube et mes séries favorite. Ça et le rangement, les vacances…
– Pas d’alerte nationale, non, dit le gendarme en chef. Le garçon a disparu de son domicile hier dans la soirée, il n’a que huit ans. C’est un petit autiste. Certainement une fugue, ce n’est pas la première fois. On a fait des recherches toute la nuit. Une battue a été organisée ce matin. On a un hélicoptère là-bas. Ça s’est passé à Puymont.
Un bourg à dix kilomètres.
– Navré, mais nous devons vous laisser, intervint son collègue. Tout le monde est réquisitionné. Vous savez, s’il n’y avait pas eu violence sur votre personne, nous ne nous serions peut-être même pas déplacés.
Et de réitérer le conseil de son supérieur : « Fermez bien vos portes. »
Il était direct aussi. J’étais prévenue. J’avais même eu de la chance.
Comme je les accompagnais à leur véhicule, le chef me confia qu’avec ce genre de rôdeur dans les parages, ils n’avaient qu’une envie, c’était de retrouver l’enfant au plus vite. Il y avait encore des chances, cela ne faisait même pas vingt-quatre heures qu’il avait fugué. Mais par cette canicule, et à cause de la déshydratation qui le guettait, il était en danger de mort. Ils ne m’en dirent pas plus.
Après leur départ, je regardai à la ronde, et je me sentis épiée. C’était un sentiment plus que désagréable. Ma main fourragea mes cheveux. Quelle sale journée ! L’attaque m’avait mis les nerfs en pelote. Heureusement que la maréchaussée était venue assez vite, malgré tout. Je repensai alors à l’enfant disparu, et j’en éprouvai des remords. N’était-il pas la priorité du moment ? Zut, mais moi aussi !
Je rejoignis le salon, où tout à l’heure j’avais attendu les gendarmes tout en essayant de m’intéresser à une série. Une migraine se déclara. Le tube dans la cuisine était vide. Je montai dans la salle-de-bain, où se trouvait l’armoire à pharmacie. Ma main s’immobilisa après avoir ouvert. Boîtes et tubes étaient renversés. Ma pharmacie n’était pas très ravitaillée, et j’étais d’une nature assez maniaque, de sorte qu’il n’y avait aucun doute : quelqu’un s’était servi à l’intérieur.
Je demeurai sonnée un long moment. Mon agresseur était venu ici. Qu’avait-il pu prendre ? Je ne vis rien pour commencer, puis, en me concentrant, je m’aperçus qu’il manquait le mercurochrome. Etais-je bien sûre ? Depuis quand ne m’étais-je pas servie de mercurochrome ? Je refermai la pharmacie. Je tombai alors en arrêt en fixant l’étagère voisine : l’un des sachets de cotons de démaquillage n’était plus à sa place.
Si le type était blessé, peut-être avait-il laissé des traces de sang ? Je regardai par terre. Je scrutai le palier, puis retournai dans la chambre. La vue du couvre-lit défait et l’oreiller encore par terre me glacèrent les veines. Il n’y avait rien, et dans les escaliers non plus. Je me demandai si je devais rappeler les gendarmes. Ces derniers allaient surtout me demander quelles sortes de médicaments je conservais chez moi, et m’affirmer que j’avais eu affaire à un toxico. Et ensuite ? J’avais bien compris qu’ils me conseillaient de laisser tomber, tout à leur histoire de fugue d’enfant. Ils n’allaient pas mobiliser une équipe pour cet indice supplémentaire. Le type était parti. J’étais sauve. Qu’on n’en parle plus.
Le soir arriva. Bien sûr, la crainte de dormir seule dans cette grande maison cette nuit n’avait cessé de me hanter. J’avais bien eu une idée, mais je n’avais pu m’y résoudre. Alors je finis par téléphoner à Joanna, l’une de mes meilleures amies. Elle ne répondit pas. J’appelai Elisabeth, qui m’écouta apeurée et me proposa aussitôt de venir dormir chez elle.
– Il y a les cousins des enfants, mais on se poussera. Tu ne peux pas rester seule.
Je me montrai réticente.
– C’est gentil, Elisabeth, mais j’ai réfléchi avant d’appeler. Je me dis que si je quitte la maison ce soir, voire demain soir, après ce sera encore plus dur de revenir.
– Bon, alors si tu veux, c’est moi qui viens.
Ainsi fut fait. Le lendemain matin, Elisabeth repartit néanmoins assez vite, à cause de ses neveux dont elle avait la charge avec son mari pendant les vacances. J’allai faire des courses. Le temps était gris. Tout le monde espérait de l’orage, qu’on se rafraîchisse. Le présentoir des journaux à l’entrée du supermarché titrait en grand que l’enfant disparu avait été retrouvé. Quel soulagement pour tout le monde. Le petit autiste attendait seul sur un banc devant l’église de Puymont. Cela me fit chaud au cœur. Je me dis que tout progressivement allait rentrer dans l’ordre. « Tu es assez forte, hein ? »
Je me retrouvai sur le parking, ma voiture un peu à l’écart. Une main posée sur mon épaule me fit hurler de frayeur.
– Ah c’est toi… Mon Dieu, tu m’as fait une de ces trouilles !
Nicolas était en face de moi, tout sourire. J’avais encore la paume plaquée contre mon cœur. Ma gorge me gratta, et je ressentis une énorme bouffée de chaleur. Je me reculai par réflexe alors qu’il allait pour m’embrasser.
– Qu’as-tu ? On dirait que cela ne va pas…
Mon compagnon intermittent écarquilla les yeux en voyant les deux filets cristallins s’écouler des miens. Il me serra dans les bras et je le laissai faire. D’habitude, je n’aimai guère ces démonstrations sentimentales en public, - d’ailleurs au travail tout le monde confondait mon tempérament pondéré et distingué avec de la froideur. Mais à cet instant, le contact de Nicolas fut bon et roboratif au possible. J’inspirai à fond son odeur ; ses deux bras fermes et son large torse me firent un bien fou.
– Il m’est arrivé un sacré pépin, articulai-je enfin après avoir ravalé mes sanglots.
– Explique. Dis-moi tout.
Au fur et à mesure que je racontais, sa mâchoire se crispa. Il me rassura et me serra en semant une pluie de pétales sur ma joue, des petits baisers tout frais. Il m’invita à passer la journée chez lui. Nicolas n’habitait pas sur la commune de Lambron mais dans une bourgade de l’autre côté du plateau, non loin de chez Elisabeth. Pour se rendre chez lui, il fallait franchir une alternance de portions planes et de vallons escarpés avec des routes en lacet. Le paysage était accidenté mais magnifique, parsemé de garrigue odorante, d’oliviers sauvages, de forêts aux reflets changeants et qui ondulaient en façon de grosses anguilles sur le flanc des crêtes.
Un moment, dans la soirée, je vis bien qu’il escomptait que nous fîmes l’amour, mais j’avais du mal. Il n’insista pas. Enfin je me laissai prendre au petit matin, désir mécanique. Je le fis machinalement, en repoussant comme à mon habitude mon réflexe de dégoût pour la sueur, - quand nous étions trop actifs, - et puis je fus consciente que de cette manière j’aidais mon psychisme à ne pas traîner cette agression du corps trop longtemps.
– Il y a une chose que je ne comprends pas chez toi, Diana, me dit Nicolas au sortir de cette galipette rapide, pourquoi ne m’as-tu pas appelé dès que ça t’est arrivé ?
– Tu parles de mon agression ?
Il s’appliqua à me sourire tendrement. Sa belle chevelure châtain clair faisait ressortir son teint halé. Son visage n’était pas parfait, un nez un peu cabossé, un menton pointu, mais ses yeux bleus superbes avalaient toute la lumière du monde et sa grande taille et sa sveltesse lui donnaient une élégance que j’avais aimée dès notre première rencontre. Il travaillait dans les assurances. Nicolas assurait et il rassurait, si je me prêtais à ce genre de mot pédant et facile. Un type à femme sans aucun doute. Je lui avais mis le grappin dessus. Il affectionnait mes charmes. Je n’étais pas vilaine non plus sans doute.
Ses traits se rembrunirent.
– De quoi veux-tu que je parle ? Bien sûr, Diana. Tu attends trois jours pour me mettre au courant !
– Mais je ne sais pas… Je ne sais pas !
Son reproche était compréhensible. La gorge serrée, je trouvai comme prétexte ma grande pudeur, et mon orgueil de femme. Un individu sournois et puant m’avait attaqué. A mes yeux, tous les hommes devenaient sur le moment mes ennemis. « Y compris moi, Diana ? » Je gardai le silence. La période était propice, avec la dénonciation du harcèlement sexuel et #Balance-ton-porc sur Internet. En plus, je l’avais ressenti vraiment comme cela, sur le moment. Heureusement, Nicolas était d’une nature accommodante. Il me crut et me pardonna ce défaut de confiance. Il apprécia ma franchise. Nous nous promîmes de nous revoir bientôt.
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