17 - L'Autopsie
CHAPITRE 17 – L’AUTOPSIE –
Résumé des chapitres précédents – 1 à 16 :
Soupçonnant son ex mari de l’avoir agressée par deux fois, Paul Debreuil, Diana Artz se remémore le comportement étrange de celui-ci, ses manies, ses soucis de santé. C’est alors qu’elle reçoit la visite d’une gendarme, Olivia Caron, qui enquête sur la mort d’une étudiante, Nicole Dunham. Diana soupçonne dans cette affaire son ex mari, mais tente de le disculper. Bientôt, elle accepte la proposition d’Olivia de la suivre pour interroger de façon non officielle le fiancé de Nicole Dunham : Andreas Öpfe. L’étudiant leur révèle qu’il s’était disputé avec Nicole car celle-ci, jalouse, l’avait surpris dans les bras d’une autre étudiante, Grace Rockwell, lors d’une fête de fin d’année. Pour Nicole, c’en était trop, d’autant qu’elle avait prouvé à Andreas par une vidéo que Grace était homosexuelle, et s’intéresser à elle n’en valait pas la peine. Nicole avait quitté la fête précipitamment, après avoir cherché en vain son téléphone. Lors de l’interrogatoire, Andreas explique que c’est Grace, plutôt très jolie, issue d’une famille riche de Boston, qui lui courrait après, lui l’étudiant allemand, et non le contraire. Concernant la vidéo, il ne sait rien. En revanche, il apprend aux deux femmes le nom d’un type qui sur le campus approvisionnait les étudiants en cannabis : Hervé Lebeaud, alias Blur.
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Finalement, Olivia m’avait rappelé plus vite que prévu.
– Au fait, dit-elle, je n’ai toujours pas de nouvelle de votre ex mari, Paul Debreuil. Son laboratoire ne m’a pas rappelée. C’est ennuyeux, vous ne trouvez pas ?
Quelle poisse ! Voilà que la gendarme et non l’amie récente semblait vouloir recommencer son jeu du chat et de la souris.
– Ils vous ont dit qu’il était en forêt, répliquai-je sur le ton le moins altéré possible. Ce sont des missions de plusieurs jours.
– Mais il doit avoir un téléphone, Diana ?
– Sans doute, dis-je en déglutissant. Mais je ne sais pas si là-bas tout fonctionne toujours… Vous devriez patienter, Olivia.
– Je n’ai pas le temps.
Je sentis qu’elle désirait me dire quelque chose. Elle se lança :
– Au fait, les résultats de l’autopsie sont tombés pour Dunham. Vous voulez savoir avant le grand public ?
– Oui, j’aimerais. Si vous me considérez comme une nouvelle pousse dans votre arbre de l’amitié.
Je percevais sa respiration. Qu’y avait-il dans sa tête de femme enceinte ? Pensait-elle que je jouais double-jeu ? J’aurais pu être moi aussi une femme enceinte. J’eusse été autre chose, avec des pouvoirs, des antennes invisibles. J’entendis un claquement de langue :
– Joliment dit, Diana. Oui, je vous considère comme ça. Une amie, je suis d’accord.
Elle eut un rire en guise d’onction. C’était laconique, ce petit baptême de l’amitié, mais cela me convenait. Allais-je faire ma difficile ? Cela m’avait joué des tours dans le passé. J’avais trié les gens, trop. On me disait snobe, et je ne voulais plus de cela. Alors cette autopsie ?
– Il n’y a pas de miracle, Diana. La mort remonte à une quinzaine de jours avant la découverte du corps, soit donc bien à la mi-juillet, quand il y a eu cette fête. Nicole a été violée, frappée, il y a des traces d’étranglement, des ecchymoses sur le visage et les bras. Celui qui a fait ça s’est acharné comme un sauvage. Elle s’est débattue. L’horreur. Mais le médecin dit qu’elle était vraisemblablement déjà morte avant d’être étranglée. Elle porte les traces d’un traumatisme crânien. Un choc très violent. Cependant, le crâne a été lavé.
– Lavé ?
– Oui, curieusement lavé. Les cheveux le sont, et la plaie a été nettoyée post-mortem. Je m’interroge. Ou bien, c’est pour supprimer des traces, ou bien, c’est dans la droite ligne de cette comédie de la tombe. Ou les deux à la fois. Mes collègues qui sont sur l’affaire pensent du coup vraiment à un psychopathe croisé par hasard, après la fête. Dans son quartier et son immeuble, personne n’a aperçu Nicole le dimanche. La pauvre a dû faire cette mauvaise rencontre dans la nuit, au retour. Et il l’a fracassée contre un rocher. A moins qu’il y ait autre chose…
Elle faisait peut-être allusion à de la nécrophilie. Quelle horreur… Son ton final se voulait énigmatique. J’étais en train de penser à Paul, et mon but était de ne pas éveiller ses soupçons. Je jugeai bon de ne pas la relancer.
– Je ne sais pas quoi vous dire, finis-je par articuler péniblement.
Olivia choisit de répondre, sur un ton appuyé, un peu crâneur :
– Dès que je pourrais, j’irai faire un tour sur les lieux, là où l’on a retrouvé son corps. Mais il fait si chaud. Parfois, je me sens avoir un ventre d’hippopotame. Vous verriez, si vous aviez voulu des enfants !
Elle me charriait sans hésiter, tout cela parce que l’autre jour dans la voiture, je lui avais confié comme une imbécile, par défi et jalousie pure, que de toutes les manières, en matière d’enfant, je n’avais aucun regret. Pour l’instant, je n’en voulais pas. J’échappais aux contraintes monumentales de la grossesse. Certains mots l’avaient sans doute piquée. « Bien fait pour ta pomme, petite Diana, me dis-je. Tout cela parce que tu as un doute sur Nicolas, et que tu n’as pas voulu perdre la face devant elle ! Elle te rend la monnaie de ta pièce, de ton orgueil ! Tu ne sais pas si tu en veux un, avec Nicolas ou pas, quand, comment, pourquoi faire, à quelle condition… C’est du grand n’importe quoi ! »
– Cela vous dirait de m’accompagner jusqu’à la grotte quand je pourrai ? Ce n’est pas loin de chez vous.
Un frisson me saisit, mais je vis cette proposition comme une aubaine. Si Paul était coupable, - et du reste il m’avait cruellement agressée, - participer à l’enquête revenait à mes yeux à résister un peu comme le cow-boy le fait sur son cheval sauvage, l’équilibriste sur la corde, le navire sur la lame. Il faut tenir, ne pas tomber, ne pas se perdre, ne pas sombrer. Cependant, quelle raison la poussait de son côté à me faire participer à ses recherches de la sorte ? A se venger de ses collègues masculins ?
Après son coup de fil, je me dépêchai de rappeler Charles Deuring à la Défense. Il y avait urgence. La nouvelle agression de Paul sur ma propre personne me l’avait fait oublier : Charles m’avait demandé de le tenir au courant. Mais non pour un viol, ceci dit – et cette information je décidai de la lui cacher.
– Ici, il fait bien gris, Diana, pépia Charles enchanté d’entendre ma voix. Bon, cela n’empêche pas la fourmilière de fourmiller, plaisanta-t-il tandis que je me figurais qu’il collait son nez à la vitre pour apercevoir les allées et venues des employés en bas de son gratte-ciel. Vous voyez, j’allais quitter le bureau.
J’insistai en lui disant qu’il devait régler absolument comme il me l’avait promis cette histoire d’alibi de Paul en Afrique. Les enquêteurs attendaient une preuve de sa présence là-bas.
– Ne vous inquiétez pas, je fais le nécessaire. C’est juste un peu long pour certains papiers. Mais nous les obtiendrons, vous avez ma parole, Diana.
– Je ne sais pas comment vous remercier. Vous avez déjà tant fait pour moi, et Paul...
– Vous tenez encore à lui, n’est-ce-pas ?
– Bien sûr !
Mon exclamation sincère me laissa un peu pantoise. Et Charles devant mon long silence se demanda si je n’avais pas raccroché. Paul s’en était pris à moi, et je n’avais donc en tête que sa sauvegarde ? J’entrevoyais là comme un défi scabreux. Certes, j’avais beaucoup sacrifié de mon temps afin qu’il allât mieux dans le passé. J’avais voulu sauver mon couple. Mais désormais, s’il était devenu un sombre criminel, un détraqué, un assassin ! Quelle immaturité de ma part de ne pas concevoir la gravité de tels actes… Je jouais décidément la femme-enfant. A moins qu’il se fût agi de reprendre un amour là où il s’était arrêté, afin de l’achever d’une autre et plus belle manière. De récupérer ma vie, de la raccommoder. La gageure était de taille.
– Au fait, fit Charles qui ignorait tout de cette casuistique, une chose importante, Diana. Vous m’avez dit que la gendarmerie est venue vous voir pour votre agression, et d’ailleurs vous ne saviez pas que c’était Paul…
Il faisait allusion à la première agression, non au viol.
– J’étais en stress, Charles, et Paul chuchotait et il me menaçait. La chambre était dans le noir, il m’avait mis un oreiller sur la tête, je ne l’avais pas vu depuis longtemps. Je ne pouvais m’imaginer que c’était lui. Ma pensée n’a pas été guidée en ce sens.
– Mais cette gendarme, Olivia, qui enquête en parallèle et que vous connaissez, sait-elle pour cette agression ? Elle est venue pour l’histoire de la montre de Paul, n’est-ce pas ? A propos de l’affaire Dunham.
– Oui. Mais vous savez, je lui ai tu mon agression…
Je m’apercevais que je cachais beaucoup de choses à beaucoup de monde, en ce moment. Je m’en voulais. Ce n’était pas moi. On m’y forçait.
– Alors tant mieux. Pas sûr qu’elle l’apprenne, vu que ce sont des affaires de nature très différente. Parce que sinon, votre alibi du cambriolage serait tombé à l’eau. Du moins, elle aurait soupçonné immédiatement que c’était Paul le cambrioleur de l’an dernier, ayant récupéré dans son larcin sa propre montre, et qu’après avoir tué récemment cette pauvre Anglaise en oubliant cette fois la montre dans la grotte, il continuait ses forfaits en venant agresser celle dont il connaissait le mieux la maison. En tous cas, acheva-t-il, elle relierait les trois histoires, et votre témoignage sur votre agresseur deviendrait capital, que ce soit Paul ou quelqu’un d’autre, et vous n’en auriez pas fini, croyez-moi…
– Certes. Mais nous savons, nous, qu’il est ici, Charles, dis-je avec angoisse, et qu’il a toujours possédé la montre. Nous savons que Paul n’est pas en Afrique…
Un long silence me dit que j’avais ramené Charles Deuring à la sombre réalité de la culpabilité de mon ex mari. Il demeurait incrédule.
– Qu’a-t-il fait, Charles… C’est horrible. Il s’est comporté comme une crapule de la pire espèce…
Je lui révélai les éléments de l’autopsie. Olivia m’avait répété combien la disposition du corps était fantasque, et je savais que cela pouvait être signé de Paul. C’était tout lui, cette façon d’agir. Ma phrase s’acheva sur un ton brisé. Je n’en pouvais plus.
– Vous avez agi comme il fallait, me répondit Charles qui me sentait désemparée au possible. Nous allons bien voir. Juste, prenez garde à ce jeu de dupe avec votre amie gendarme. Paul est malade, nous le savons. Peut-être a-t-elle des soupçons par rapport à la montre, et qu’elle a trouvé ce moyen pour continuer à vous côtoyer et voir si vous ne cachez pas quelque chose par rapport à Paul ? Il ne faut pas les sous-estimer, dans la profession. Et il faut absolument que nous fournissions à la gendarmerie la preuve que Paul travaille bien en ce moment en Afrique. Cela devient urgent.
– Il devient peut-être urgent que Paul soit arrêté, non ?
Charles Deuring parut encore plus têtu que moi lorsqu’il me répondit :
– Attendez, Diana. Dans les prochains jours, je pourrai peut-être me libérer et venir vous rendre visite. Je veux revoir Paul. Au moins une fois avant qu’il n’aille en prison, si ce doit être ainsi.
– Tout va remonter à la surface, Charles… Tout…
– Hé bien, soit, s’il le faut. Il va falloir s’accrocher, Diana.
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