« Tu as encore fait des merveilles, ce soir !, s’extasiait Taejun pendant que Minchi rangeait ses accessoires avec les autres danseurs. »

Son ami se contenta de sourire. Il se sentait tellement puissant lorsqu’il dansait. Il aurait pu avaler le monde.

« Et ce mouvement d’épaule !, continuait le prince. Pour un peu, moi aussi je serais tombé sous ton charme.

-J’attends avec impatience le jour où cela arrivera, blagua Minchi en touchant le bout du nez de son ami, qui rit nerveusement. »

Il enfila ensuite un haut plus décent, dont le col était fermé juste sur sa pomme d’Adam, et il suivit Taejun dans le salon. La population y avait nettement changé. Les enfants avaient été envoyés au lit, et les premières femmes s’étaient déjà éclipsées dans leurs appartements. La petite vieille avait disparu, tout comme le gentilhomme en bleu. Minchi fut un peu déçu. Il ne l’avait pas imaginé aussi couard et timide. La plupart des gens qui demeuraient dans le salon étaient des hommes, de tous âges. Ses collègues danseuses avaient commencé à en approcher quelques uns. La deuxième représentation débutait. Langoureuses, elles leur proposaient alcools et amuse-bouches, s’asseyant près d’eux, leur chuchotant à l’oreille. Occupé à scruter la foule de nobles, Minchi avait perdu Taejun. Celui-ci revint à sa rencontre, et le prit par le bras.

« Viens par là, j’ai quelqu’un à te faire rencontrer, jubilait-il. Minchi, je te présente le prince Lin Min-jae. Min-jae, voici l’ami dont je vous ai parlé, Minchi. »

Quelle ne fut pas la surprise du danseur de se trouver face à sa cible numéro deux. Le beau jeune homme aux cheveux noirs s’empourpra en saluant Minchi, qui s’inclina comme l’exigeait le protocole.

« Vous êtes… sensationnel, Minchi, bredouilla le prince. Je n’ai jamais vu personne danser de la sorte. Vos accompagnateurs ne vous arrivent même pas à la cheville.

-Merci, prince, mais mes « accompagnateurs » comme vous les appelez, sont des danseurs professionnels, tout comme moi. Vous leur avez sans doute prêté moins d’attention car j’étais au centre. »

  Minchi remarqua du coin de l’œil que Taejun disparaissait discrètement dans la foule, avec un signe de tête tacite. Il sourit. Son ami le connaissait bien.

« Mais assez parlé de moi, prince, fit le danseur en servant à Min-jae un regard par en-dessous. Qu’est-ce qui vous amène à la cour de l’empereur ?

-Mon père est le seigneur Lin, gracieusement invité par Sa Majesté.

-Oh je vois, je m’étonnais de n’avoir pas remarqué plus tôt un si beau jeune homme. Êtes-vous venu seul ?

-Oh non, il y a avec moi ma mère et mes deux sœurs, expliqua-t-il. Elles se trouvent justement là-bas, ajouta-t-il en indiquant un groupe de femmes assises sur des canapés. »

Minchi reconnut parmi elles la jeune fille aux très longs cheveux qu’il avait choisie comme cible trois. Elle ne leur prêtait aucune attention. Les autres femmes étaient plus âgées qu’elle.

« Votre petite sœur est ravissante, commenta-t-il. Quel âge a-t-elle ?

-Quatorze ans. »

Argh, trop jeune. Minchi en fut déçu.

« Vous avez de la chance d’avoir une grande famille, ne put-il s’empêcher de dire.

-Vous n’avez pas de frères et sœurs, Minchi ?

-Hélas non, je n’ai même pas souvenir de mes propres parents. Ils m’ont vendu à la cité impériale alors que j’apprenais à peine à tenir sur mes jambes.

-Dans ce cas-là, on peut donc dire que les danseurs sont votre famille de substitution. »

Minchi rit doucement de sa voix la plus grave.

« Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, avoua-t-il. Mais vous avez raison. Je vous conseille en tout cas de profiter de la vôtre. Vos sœurs sont vraiment magnifiques. »

Ils se turent quelques instants.

« De quelle région nous venez-vous, prince ?, enchaîna-t-il en se retournant vers son interlocuteur, profitant de ce mouvement pour rapprocher subrepticement leurs visages.

-Du Yeongto, au nord, décrivit Min-jae en balançant d’un pied sur l’autre.

-Vous devez avoir fait un fatiguant voyage, dans ce cas. Que diriez-vous de vous reposer en bonne compagnie ?, fit-il mielleusement en agrippant l’avant-bras du jeune homme. »

Le prince ne répondit pas mais rougit à nouveau. Il dégagea doucement son bras. Minchi trouva tout cela adorable.

« Je…, hésita Min-jae.

-Pas d’inquiétude, vous n’êtes pas obligé de me répondre immédiatement, sourit Minchi. Vous n’êtes même pas obligé de me répondre, d’ailleurs. Mais si l’envie vous prend de discuter un peu, ou de passer un agréable moment, demandez au seigneur Han de venir me chercher.

-Je… je n’y manquerai pas, Minchi, bégaya le prince, complètement déphasé.

-Bonne soirée, prince, acheva le danseur en s’inclinant. »

Il fit demi-tour, jubilant de hâte. Les graines venaient d’être plantées, il n’avait plus qu’à attendre qu’elles germent.

  Et elles ne mirent pas longtemps. Le salon impérial se vidait à mesure que la nuit avançait. Deux danseuses avaient déjà disparu avec des nobles. Les deux autres usaient de leurs charmes auprès des hommes restants. Minchi attendait avachi dans un fauteuil. Personne ne venait lui parler. Taejun était allé se coucher, lui aussi. Minchi commençait à se demander s’il n’allait pas en faire de même, quand le seigneur Han l’approcha, s’asseyant dans un fauteuil en face de lui.

« Encore une admirable représentation, Minchi, commença-t-il.

-Merci, seigneur.

-Tu as attiré l’attention d’un bon nombre de gens, ce soir.

-Comme tous les soirs, seigneur. Avez-vous trouvé un client ?

-Il semblerait que tu n’aies pas laissé le fils du seigneur Lin insensible. »

Minchi exultait intérieurement. Exactement celui qu’il voulait.

« Cela n’a pas été facile d’éviter son père, mais j’ai réussi à lui faire croire que le prince Min-jae a exigé la présence de ta collègue Lali dans sa chambre. Tu la remplaceras, c’est toi que le prince attend.

-Très bien, seigneur. Quand puis-je le rejoindre ?

-Tout de suite, il s’est déjà retiré dans ses appartements.

-Excellent. Merci, seigneur. »

Il allait s’élancer quand Han le retint par le bras.

« Sois doux avec lui, recommanda-t-il. Il n’a pour l’instant connu que des jeunes filles.

-Vous pouvez compter sur moi, seigneur.

-Une dernière chose, le retint-il encore. Tu viendras dans ma suite demain après-midi, à l’heure habituelle. »

Minchi eut tout à coup envie de vomir. Il dégagea son bras avec dégoût en s’efforçant de ne pas croiser les yeux luisant de vice de l’homme.

« Oui, seigneur, articula-t-il avec difficulté. A demain.

-A demain, Minchi. Amuse-toi bien. »

Le danseur s’enfuit aussi vite que possible.