Chapitre 1 - La boîte
Il pleuvait depuis le matin, une de ces pluies d’avril qui ne tambourinent pas, mais qui s’installent, tranquilles, comme si elles avaient décidé de rester. Le ciel avait cette couleur de papier glacé qu’on retrouvait parfois dans les vieux livres de la bibliothèque, et l’appartement baignait dans une lumière mate, presque liquide.
Anna était restée en pyjama, un grand gilet jeté sur ses épaules, les pieds nus sous un plaid râpé. Le roman posé sur ses genoux n’avançait pas. Elle en relisait la même phrase depuis dix minutes sans réussir à la digérer. Sa tasse de thé était froide. La pluie formait des petits ruisseaux sur les vitres, et dans la cuisine, sa mère fredonnait une vieille chanson d’Yves Montand en rinçant une passoire.
Les dimanches lui donnaient toujours l’impression d’un vieux souvenir qu’on ne parvient pas à situer. Comme un mot sur le bout de la langue. Il y avait quelque chose de figé, de suspendu, dans ces journées-là. Quelque chose d’un peu triste, mais familier.
Elle se leva, plus par ennui que par envie, et commença à fouiller dans les tiroirs du salon. Elle cherchait un vieux carnet à dessin, peut-être, ou un stylo qui écrivait encore. Ou rien du tout. Juste une raison de se lever.
Le secrétaire de sa mère trônait toujours au même endroit : un meuble ancien, en bois sombre, à la fois imposant et poussiéreusement élégant. Elle hésita. Sa mère lui avait toujours dit de ne pas y toucher. Mais Isabelle ne montait jamais vraiment la voix, alors l’interdit ressemblait plus à un murmure qu’à une injonction.
Elle tira sur la poignée du tiroir du bas. Un grincement s’éleva, presque timide, comme si le meuble lui-même s’étonnait qu’on le rouvre. À l’intérieur, entre des papiers administratifs, des fiches d’impôts oubliées, et un carnet de recettes annoté au crayon à papier, Anna aperçut une petite boîte. Carrée. En bois clair. Fermée par un ruban délavé.
Elle la sortit avec précaution et la posa sur ses genoux. Elle hésita un instant, un frisson au bout des doigts, sans trop savoir pourquoi.
Ce n’était qu’une boîte.
Mais elle savait déjà, sans se l’avouer, que quelque chose allait changer.
Elle dénoua lentement le ruban.
À l’intérieur, une lettre. Pliée avec soin. Sur un papier légèrement jauni par le temps.
Elle la déplia, les mains à peine tremblantes. L’écriture était belle, penchée, un peu irrégulière. Une écriture vivante.
Elle lut.
"Anna,
Je sais que tu ne me croiras pas. Pourtant, je suis là.
Je t’attends.
Je t’écris, même si tu ne me lis pas encore.
Un jour, tu comprendras.
En attendant, n’oublie pas ceci :
les silences ne sont jamais vides.
Ils ont juste appris à chuchoter. Suzanne"
Elle resta figée.
Son prénom.
Ce prénom.
Ces mots.
Quelqu’un lui avait écrit. Quelqu’un qui la connaissait. Et ce n’était pas une plaisanterie. Il n’y avait dans cette lettre ni moquerie ni énigme. Seulement cette impression étrange… d’être vue, entendue, devinée.
Elle relut la lettre une fois, deux fois.
Puis elle leva les yeux vers la fenêtre.
Dehors, la pluie tombait toujours.
Mais à l’intérieur d’elle, il s’était passé quelque chose.
Une fissure.
Minuscule.
Mais bien réelle.
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