Chapitre 6 – Celle dont personne ne parle

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La lumière de fin d’après-midi étirait des ombres longues sur les murs de l’immeuble.
Anna descendit les marches sans vraiment penser à ce qu’elle allait dire.
Son cœur battait vite, mais ses jambes la portaient toutes seules.

Au rez-de-chaussée vivait Mme Vernier, une vieille voisine que tout le monde appelait simplement la dame du bas.
Elle avait connu tout l’immeuble, vu grandir les enfants, vu mourir certains voisins. Elle était l’une des dernières à pouvoir encore dire "je me souviens" sans mentir.

Anna frappa doucement à sa porte.

— Oui ?

La voix était rauque, mais claire.

Mme Vernier apparut derrière le battant entrouvert. Ses cheveux blancs formaient un halo autour de son visage. Elle portait un pull trop grand, un vieux pantalon de laine.

— Bonjour, Mme Vernier. C’est Anna.
— Ah ! La fille d’Isabelle. Entre, ma jolie.

L’appartement sentait la cire et les biscuits.
Une lumière jaune filtrait par les rideaux de dentelle.

— Je peux t'aider pour quelque chose ? demanda la vieille femme en s’asseyant dans un fauteuil un peu affaissé.
— En fait… j’avais une question. Un peu bizarre, peut-être.

Mme Vernier plissa les yeux, curieuse.

— Vous vous souvenez de quand ma mère était jeune ?
— Bien sûr. Elle était une enfant sérieuse. Discrète. Toujours un livre à la main.

Anna hésita. Puis elle lâcha :

— Est-ce que… est-ce que vous avez connu quelqu’un qui s’appelait Suzanne ? Quelqu’un de proche d’elle, peut-être ? Une amie ? Une parente ?

Un silence.

Mme Vernier recula un peu dans son fauteuil. Elle fronça les sourcils.

— Suzanne… Suzanne…

Elle semblait chercher loin, dans une mémoire pleine de poussière et d’ombres.

— Ce prénom me dit quelque chose… Oui. Je crois que ta mère le prononçait souvent à l'époque.
— Mais c'était qui ?
— Je ne sais plus. C’était il y a longtemps. Je me rappelle qu’elle utilisait régulièrement ce prénom en plus du tiens. Et puis un jour… plus rien.
Elle claqua des doigts.
— Pff, envolée.

Anna sentit un frisson lui courir dans le dos.

— Et vous ne vous souvenez pas de ce qui s’est passé ?
— Non. Ta mère n’en parlait jamais. Et tu sais… quand on ne veut pas parler de quelqu’un, c’est rarement bon signe.

Elle sourit tristement.

Anna la remercia, échangea quelques mots encore, puis repartit.

Dans les escaliers, elle sentit ses jambes faiblir.

Sa mère avait donc menti.
Suzanne avait existé.

Pas comme une invention. Pas comme un rêve.

Comme une absence réelle. Une qu’on apprend à ignorer. Une qu’on rature dans les phrases, mais qui laisse une tache.

Elle rentra chez elle, la gorge serrée.

Et le silence, autour d’elle, sembla plus lourd que jamais.

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