Chapitre 10 – Celle dont on n’a pas dit le nom
Le lendemain matin, Anna n’avait pas beaucoup dormi.
Elle était restée éveillée tard, à repasser les pages de l’album dans sa tête, cette silhouette floue, ce bras à moitié coupé, ce détail qui lui collait à la peau.
Suzanne.
Ce prénom résonnait désormais autrement.
Plus fort. Plus près.
Au petit-déjeuner, sa mère touilla son café sans lever les yeux.
Le silence pesait, comme souvent ces derniers temps.
Anna déposa sa cuillère un peu trop brusquement dans la tasse.
— Maman… est-ce que j’ai été enfant unique ?
Sa mère leva enfin la tête.
Une lueur passa dans son regard. Quelque chose entre la surprise et l’agacement.
— Pourquoi cette question ?
— J’ai juste… trouvé une vieille photo. Avec… quelqu’un.
— Il y a eu des enfants dans la famille, Anna. Des cousins, des copains de l’époque. Tu sais bien.
Mais la voix sonnait faux.
Anna inspira lentement.
— Et Suzanne ?
— Encore ça…
La fourchette de sa mère resta suspendue au-dessus de l’assiette.
— Tu parlais toute petite à quelqu’un que tu appelais Suzanne. Une amie imaginaire, sans doute. On a fini par oublier.
— Mais… le dossier que j’ai trouvé. Ce prénom, écrit noir sur blanc. Pourquoi ?
Sa mère serra la mâchoire, détourna les yeux.
— Les médecins ont cru bon de noter ce que tu disais. Mais il n’y a jamais eu d’autre enfant.
Le silence s’étira, lourd, tendu.
Anna baissa les yeux. Elle sentit ses ongles s’enfoncer dans sa paume.
— C’est drôle… Parce que dans les lettres, elle me parle comme si elle m’avait connue. Comme si elle avait vécu avec moi.
Elle leva les yeux.
— Alors, maman… est-ce que j’ai eu une sœur ?
Cette fois, sa mère se leva, repoussa sa chaise.
— Anna, arrête avec ça. Il n’y a jamais eu de sœur. Tu t’inventes des histoires.
Elle quitta la pièce, laissant la porte battre doucement derrière elle.
Mais Anna, elle, n’était pas convaincue.
Pas cette fois.
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