Chapitre 21 : Médusa
Il devient difficile de masquer les émotions dans ma voix. J’ose à peine prendre le tissu entre mes doigts, j’ai peur de le salir, de l’abîmer. Il y a si longtemps que mes haillons sont tombés en poussière, je me suis habitué aux courants d’air griffant ma chaire, au froid mordant de la roche.
Elle a toujours le dos tourné, je m’aventure à ouvrir mes yeux. Il me faut un instant pour m’habituer à la luminosité de la torche, mais je ne le regrette pas. J’ai l’impression de redécouvrir les couleurs : l’osier doré du panier semble gorgé de soleil, le lin blanc offre un contraste magnifique avec les pots de victuailles, quant à la tunique, elle est d’un rouge sublime. Mon regard se porte aussitôt sur mes bras, mes jambes… Mon corps est si sale. À regret, je repose le tissu dans le panier et y replace également la nourriture.
— Ça y est ? Tu l’as mise ? Elle te va bien ? Tu as trouvé les fibules que j’avais mises pour l’attacher ? Je peux t’aider si tu veux ! Je peux te voir ?
Je souris tristement à son enthousiasme.
— Ne bouge pas.
Je prends un temps pour l’observer. Elle porte une tunique vert pâle qui flatte ses courbes, ses longs cheveux sont nattés avec soin, le feu de la torche me permet d’y découvrir des reflets couleur miel. Je m’efforce d’inscrire ces couleurs et cet instant dans ma mémoire.
— Malheureusement, je ne mérite pas tant d’égare. Tes intentions m’ont touchée, mais je ne peux accepter. De même, je…
Ma voix tremble, trahissant ma tristesse, maudite soit-elle.
— Je ne peux accepter ton amitié. Je n…
— Quoi ? Non !
Elle commence à se retourner, avant de se raviser. J’ai eu le temps d’entrevoir le galbe de son visage et ses taches de rousseur, elle a du charme.
— Pyrrha, ces lieux sont dangereux ! Je suis dangereuse ! Tu dois partir et m’oublier, ne jamais revenir.
Des larmes silencieuses sillonnent mes joues creuses. Les dieux ont fait de moi un monstre, mais je refuse de faire de cette âme innocente une victime. Aussi je m’éloigne avant de changer d’avis et de la mettre en danger. Ses paroles me suivent tandis que je rejoins les ténèbres et les bras éthérés d’Achlys.
— Je ne suis pas d’accord, Dusa ! Tu m’as sauvée une première fois malgré mon entêtement, puis tu m’as guidée quand rien de t’y forçait, sans rien me demander en échange ! Et tu… tu m’as sauvé la vie ! Dusa ? Dusa ! Tu n’es pas dangereuse ! Dusa !
Mon nom me parvient en écho, de plus en plus loin, de plus en plus triste.
Athéna a fait de moi un monstre et depuis les hommes m’ont traitée en tant que tel, ils m’ont combattue, blessée, insultée… Le temps et la solitude m’ont usé au point où j’ai cru avoir perdu mon humanité… Pourtant, mes larmes et la douleur qui serre mon cœur sont bien réelles. Au fond, je suis encore un peu humaine.
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