On le sait maintenant, la dépression n'est pas qu'une simple déprime plus longue et plus profonde, il s'agit d'une vraie maladie qui perturbe les signaux chimiques dans le cerveau. On sait aussi que sans soins le malade peut plonger dans un état grave allant jusqu'à la tentative de suicide dans les cas les plus sévères. Ce que l'on sait moins, c'est qu'elle peut toucher les enfants aussi, avec des symptômes légèrement différents.

Ma première "vraie" dépression a commencé dans les dernières années de ma scolarité en primaire alors que je vivais une période de calme après avoir subi les violences de mes camarades. Cette période de calme, je n'en ai jamais profité car j'étais trop traumatisé par mon expérience de souffre-douleur et le mutisme associé que je ne parvenais pas à vaincre. Par dessus, j'ai eu une gastro assez forte qui a déclenché chez moi une phobie du vomi suffisante pour m'empêcher de manger. J'avais tellement peur de remettre des aliments dans ma bouche que paradoxalement je m'en rendais malade moi-même. C’a été le début d'une période d'anorexie dont je suis sorti totalement épuisé, squelettique, passant beaucoup de temps alité et manquant les cours à cause de ma faiblesse. Et de mon humeur qui n'arrangeait pas la fatigue : j'étais triste à en mourir. D'ailleurs cette perspective ne me dérangeait pas, c'était pour moi un soulagement de savoir que je pouvais en finir simplement en continuant de refuser la nourriture.

Seule la souffrance de ma mère à me voir dépérir impuissante m'a sauvé, quand j'ai compris à peu près que ma mort ne soulagerait pas mes proches de la souffrance que je pensais leur infliger en vivant, par mes comportements bizarres et inadaptés, mais qu'au contraire je leur laisserais un fardeau bien plus lourd à porter que d'avoir un enfant mal dans sa peau et incompréhensible. Comprendre aussi qu'il faut beaucoup de courage pour s'ôter la vie mais que ce courage est égoïste en quelque sorte et non sans conséquences peu glorieuses. Je n'ai pas pu aller jusqu'au bout, ma mère pleurait trop à mon chevet, c'est devenu tellement insoutenable que ça a dépassé ma souffrance à moi et que j'ai renoncé à lui infliger la suite.

Tout ça, j'en ai pris conscience après coup, sur le moment j'étais persuadé d'avoir une maladie grave mais pas une dépression, je ne savais même pas que ça existait. Finalement l'instinct de survie a été le plus fort et aujourd'hui j'en suis heureux. Petit à petit, J'ai recommencé à manger, à faire confiance à mon corps, et surtout mon moral de pierre tombale est remonté avec les efforts sur la nourriture. C'est vraiment important de prêter une attention toute particulière à son niveau d'énergie car de l'épuisement ou de la dépression qui elle aussi fatigue c'est le serpent qui se mord la queue.

Comme il s'agit d'une période de ma vie encore douloureuse à me remémorer, je n'en écrirai guère plus. Mais je vous en supplie, si vous-même êtes parent, ne laissez pas vos enfants s'isoler en pensant qu'ils sont juste timides ou rêveurs introvertis. S'ils le sont tant mieux, mais ça vaut le coup d'en parler avec eux pour vérifier. Encouragez-les à exprimer leurs sentiments, laissez-leur de la place pour discuter de leurs joies et de leurs peurs sans crainte d'être jugés. La pensée que d'autres enfants tentent de se suicider et que certains y parviennent me révolte au plus profond de moi.

*** Petit serpent rentre en trombe à la maison et demande à sa mère :
"Maman, maman, est-ce que je suis venimeux ?"
La mère : "Heu, non, pourquoi cette question ?"
"Ouf, j'ai eu peur ! Je me suis mordu la langue !" ***