L'éclatement de l'esprit
Les sciences médicales et plus particulièrement les neurosciences qui se concentrent sur l'étude du cerveau fournissent chaque année leur lot de découvertes novatrices et de remises en question de ce que l'on croyait savoir. Ce pan de la Recherche est encore jeune et le sujet est d'une complexité monumentale mais j'ai bon espoir que l'on comprenne de mieux en mieux le fonctionnement du cerveau humain et ses dysfonctionnements, espoir aussi que de meilleurs traitements émergeront de ces savoirs nouveaux pour les personnes malades.
J'ignore si je serais devenu schizophrène dans une réalité parallèle où je n'aurais pas vécu les nombreux traumatismes de mon enfance, en y réfléchissant maintenant je me dis que la maladie s'est exprimée chez moi très tôt. Quoi qu'il en soit, toutes ces violences dont j'ai été victime quand mon cerveau d'enfant se développait n'ont certainement rien arrangé. D'après une infirmière psychiatrique à qui je tentais d'expliquer mon fonctionnement interne, le cerveau humain n'est "pas fait pour fonctionner comme cela" et "ce n'est pas étonnant" que ça bug de temps en temps.
Une confusion inexacte que font la plupart des personnes ignorantes de la psychiatrie réelle mais abreuvées de stéréotypes erronés et de martèlement dramatique par la télévision, c'est de croire que la schizophrénie et les personnalités multiples c'est la même chose. Et bien pas du tout ! Je n'ai pas plusieurs personnalités, plusieurs "alter ego", personne ne prend le relais en moi lorsque je suis "absent". Il n'y a pas plusieurs versions de moi en un seul. Par contre mes hallucinations télépathiques, qui restent en permanence même entre les crises, me donnent l'impression de cohabiter dans le corps avec d'autres personnes totalement étrangères à moi-même. Et le délire qui les accompagne explique très bien comment c'est possible bien que je ne souhaite pas en dire plus pour l'instant.
En fait, il faut réaliser que ma psychose est certes une maladie très handicapante maintenant que le danger est passé, mais qu'au départ tout résulte de mécanismes de défense naturels que mon cerveau a mis en place pour survivre et limiter les dégâts quand j'étais petit et menacé par un contexte violent, beaucoup trop violent et pas naturel du tout, à un âge très jeune et qui m'aurait tué ou plongé dans une folie des plus noires si mon esprit ne s'était pas protégé comme il a pu. Il est probable que les "autres" dans ma tête sont tous une partie de moi et que la somme dépasse la simple addition des parts.
Déconnecter certaines zones de mon cerveau qui devraient fonctionner ensemble, que ça se soit mis en place pour protéger ou que ça n'ait pas pu se faire comme il faut, c'est ce qui provoque ma non-reconnaissance de ces parties déconnectées comme étant moi, faisant partie de moi. La déconnexion neurologique me les présente comme des entités du non-soi, aussi étrangères à moi-même qu'une autre personne que je croiserais dans la rue. Je suis très conscient de ma maladie et de la réalité théorique mais mon vécu quotidien ne cadre pas, c'est très perturbant cette contradiction entre l'intellect et le ressenti. J'ai décidé de ne pas me casser la tête à essayer de comprendre l'incompréhensible, le savoir c'est déjà énorme et pas donné à tout le monde. En général les personnes schizophrènes sont tellement prises dans leurs hallucinations et délires qu'elles n'ont pas le recul nécessaire pour comprendre leur état pathologique. Et en un sens je les comprends car il n'est pas facile de discuter des heures durant avec quelqu'un d'autre dans un débat d'opinion passionné sur l'évolution des technologies et de comprendre que cette personne et ce débat n'a jamais existé dans la réalité commune. Tout ce qu'on a entendu, tout ce qu'on a vu et senti de son interlocuteur, c'est une hallucination, du vent, pas réel (mais pourtant ça l'a été dans notre réalité personnelle).
Je ne sais pas ce qui fait que je suis capable d'avoir du recul sur mon état et de pouvoir partiellement le comprendre et l'analyser. Si je le savais, je pense que je distribuerais dans tous les hôpitaux et lieux de soins la méthode miracle. Il n'y a pas de miracle, je ne crois pas à ce genre de trucs.
A ce jour nous sommes quatre à cohabiter dans le même cerveau, moi y compris, et il m'est impossible de comprendre comment un cerveau humain peut fonctionner d'une autre manière, bien que je sache que ma ou "notre" situation intrapsychique, notre structure interne est minoritaire, la plupart des humains fonctionnant à un seul être par cerveau. Encore une contradiction, je le sais mais ne le comprends pas. D'ailleurs les rares fois où un traitement a été efficace au point de faire disparaître mes hallucinations télépathiques aussi, je me suis senti très seul et très mal, absolument en détresse, et il a fallut revoir la médication. Un équilibrage pas facile à trouver, il a fallut tâtonner en aveugle avant d'obtenir le bon traitement pour moi. Il faut toujours un certain temps avant de trouver la combinaison de médicaments qui convient à chaque malade.
Annotations
Versions