Chapitre 3 * (- 1)

5 minutes de lecture

Ancien chapitre 12, avec quelques ajouts

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Siège de La Bulle Mécanique, 16h23, 12 nafonard de l'an 1900

Malgré leurs recherches poussées, ils n'avaient pas retrouvé les canetons. Rosalie et ses collègues avaient tenté de les attirer en dispersant des bassines à travers le quartier, sous les regards à la fois consternés et blasés des travailleurs voisins. Il fallait dire l'explosion, trois ans plus tôt, avait suffi à les vacciner contre les débordements de la Bulle. À la suite d'une mauvaise manipulation d'un contrôleur de formules, une fumée bleue scintillante s'était échappée de l'usine, plongeant le quartier dans un brouillard durant toute une semaine – un phénomène aperçu par Rosalie même depuis le manoir BasRose.

À la pensée de sa famille, son cœur se serra.

Elle n'avait pas reparlé à ses parents depuis plus d'un mois, et eux non plus n'avaient pas osé la contacter. La boîte pleine de jouets ramenée du manoir reposait toujours dans son bureau, intacte.

Rosalie se sentait comme revenue en enfance, quand elle n’avait que créations pour amies. Des poupées, principalement, qu’elle imaginait vivre la vie dont elle rêvait.

D’un soupir, elle étira son dos douloureux resté trop longtemps courbé au-dessus de son bureau. Depuis sa dispute avec ses parents, elle était déprimée, et cela se voyait de plus en plus. Comme s’il avait senti sa détresse, Amerius fit irruption dans la pièce.

Avant que Rosalie puisse ouvrir la bouche, il déposa un paquet emballé sur son bureau. Surprise et intriguée, elle retira le papier. Elle laissa échapper une exclamation joyeuse en découvrant un ouvrage sur la magie qu’elle convoitait depuis longtemps.

Puis elle douta. D’un froncement de sourcils, elle releva la tête vers Amerius, toujours paré de son expression neutre.

– Cela fait un an que vous êtes embauchée.

– Déjà ? s’étonna-t-elle.

Il offrait toujours quelque chose à ses employés pour l’occasion.

– Au départ je pensais vous prendre une fleur en pot, mais je me suis dit qu'avec votre passé cela serait sans intérêt à vos yeux, voire désagréable.

Il avait visé juste. Rosalie évitait la décoration végétale, mais surtout, elle refusait de pratiquer la magie de Terre. Amerius ne connaissait pas les détails de son passé, mais ce n’était pas nécessaire. Il était de notoriété publique que magie de Terre et industrielle ne pouvaient se supporter.

Amerius hocha la tête d'un air approbateur, comme pour s'encourager lui-même.

– Où en êtes-vous sur les équations ?

À contrecœur, Rosalie reposa le livre et ramena ses feuilles vers elle.

– L'idée est complexe. Je ne sais pas si ce que Norbert a en tête est faisable.

– Nous regarderons cela ensemble ce soir. Concentrez-vous sur le reste.

Rosalie hocha la tête et s'attaqua au reste des équations. La première version des formules pour la collection de mille neuf cent un devait être achevée à la fin de l'année.

Elle et Amerius travaillèrent ensemble sur ce qui devait être corrigé ou amélioré.

Pris par leur tâche, ils se rendirent à peine compte que leurs collègues les saluaient pour s'en aller. Rosalie prit conscience du temps écoulé lorsque ses yeux se posèrent sur la pendule de table d'Amerius, où les aiguilles affichaient vingt et une heures.

Cette prise de conscience décida la faim à se faire sentir, lui chatouillant désagréablement le ventre, de même qu'une soudaine fatigue. L'ambiance de la pièce contribuait à son endormissement : à peine éclairée d'une lampe sur pied, et avec les rideaux tirés.

De ce fait, Rosalie n'avait pas remarqué que la nuit était tombée. Elle avait en revanche noté qu'Amerius aimait travailler dans une clarté relative.

Elle cligna des yeux tout en roulant des épaules pour apaiser la tension musculaire.

– Rentrez chez vous. Je vous ai assez retenu.

Amerius n'eut pas besoin d'insister. Rosalie rangea ses affaires à son bureau, sans oublier le précieux livre, avant de quitter l'étage.

Les couloirs et le rez-de-chaussée étaient plongés dans la pénombre, mais elle n'y prêta pas attention, connaissant assez les lieux pour se contenter de la lueur des rideaux entrouverts.

L'air glacial de la rue l’accueillit. Rosalie ferma les locaux à clé – Amerius sortait par l'arrière – et se pressa jusqu'à l'arrêt de train. La nuit tombée, le quartier pouvait devenir incertain.

À mi-chemin du quai, elle se figea avant de laisser échapper un juron.

Léni était resté là-bas.

Sa créatrice soupira de dépit.

Le petit automate avait depuis peu tendance à s'en aller explorer le bâtiment. À sa grande honte, Rosalie l’oubliait souvent.

Elle devait y retourner, sinon il allait paniquer en plus de lui en vouloir. Bien qu'elle appréciât de le voir agiter ses petits poings dans le vide ; c'était plutôt attendrissant à regarder. Rosalie fit demi-tour, encore plus prestement qu'à l'aller.

Au-dessus de l'entrée, la lanterne rouge s’était allumée. Des lumières modifiées par équations magiques, faites pour hurler comme une armée en charge dès que quelqu'un tentait de forcer la porte.

Rosalie fit le tour pour gagner l'arrière du bâtiment administratif.

La porte métallique grinça sur ses gonds, s'ouvrant sur l'escalier sans lumière.

Rosalie s'aida du mur, moins connaisseuse de cette partie du bâtiment. Alors qu'elle poussait la porte du dernier étage, elle sursauta d'effroi lorsqu’un éclat de lumière passa en trombe dans le couloir. Rosalie faillit hurler, tétanisée par cette apparition inexpliquée dans le noir. Les battements de son cœur se calmèrent lorsqu’elle comprit.

Debout dans la pénombre, une boule de verre brillant dans ses mains, Léni avait manqué de lui causer un arrêt cardiaque. Le petit automate était éclairé par en dessous, lui conférant l'aspect d'un lutin diabolique tel que décrit dans les histoires pour enfants.

Reconnaissant sa créatrice, Léni courut jusqu'à elle, petite lueur tremblotante, ses pieds ne provoquant aucun bruit sur le parquet.

Rosalie s’accroupit et le récupéra. Elle ne sut quoi faire de la bille, ignorant où Léni avait bien pu la dénicher. À défaut, elle la glissa dans sa sacoche pour la rendre à Amerius le lendemain.

Un soudain bruit sourd lui fit relever la tête. Rosalie décida que c'était peut-être un bruit venu de l'usine, quand cela recommença, plus fort, plus nerveux, comme un poids qu'on aurait lâché au sol.

Cela ne pouvait venir que du bureau d'Amerius. Rosalie remonta le couloir pour atterrir dans le corridor principal. À sa gauche, tout au fond, elle percevait la faible lumière sous la porte.

À nouveau, ce bruit sourd. Cela ne ressemblait pas à Amerius, lui qui était si silencieux que Rosalie mettait parfois des heures à se rendre compte qu'il était revenu à son bureau.

Perché sur son épaule, Léni désigna la lumière, bizarrement entrecoupée de mouvements d'ombres.

– Chuuut, lui souffla Rosalie.

L'automate s'accrocha à son écharpe.

À pas prudent, elle s'avança vers la porte. Elle ne savait pas ce qu'elle craignait. Juste que son instinct la mettait en alerte.

Rosalie posa les doigts sur le bois et fit pivoter le battant. À peine avait-elle aperçu l'intérieur de la pièce qu'elle s'y précipita.

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