Chapitre 7 * (- 2)

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Les petits animaux confiés au laboratoire et le mystère reporté à plus tard, Rosalie s'empressa de gagner le nord de la ville, la partie la plus proche du palais et des terres magiteriennes.

Les quartiers chics faits de pavés blancs s'articulaient autour de canaux d'eau douce, enjambés de petits ponts courbés.

Rosalie cherchait la parfumerie la plus luxueuse de la ville, cliente des plantes BasRose. Ces derniers y faisaient distiller leurs fragrances, qu'un domestique venait récupérer à chaque fin de mois.

La boutique se trouvait sur une petite place ronde, à quelques pas du magasin de La Bulle Mécanique.

En apercevant l'uniforme rouge sombre du majordome BasRose, Rosalie remercia la chance. Cachée dans l'ombre d'un arbre, elle vérifia qu'aucun membre de sa famille n’accompagnait le domestique, avant de s'approcher de lui lorsqu'il sortit.

Comme des semaines plus tôt, il sourit en la reconnaissant.

– Mademoiselle Rosalie. Comment allez-vous ?

Ils échangèrent quelques nouvelles, et elle fut sincèrement ravie d'apprendre que l'homme était devenu grand-père. Elle ne pouvait pourtant s'empêcher de jeter des regards inquiets aux alentours, craignant une apparition BasRose.

– Que puis-je pour vous, Mademoiselle ? demanda le majordome d'une voix apaisante. Mon retard pourrait mettre Madame Astrance en colère.

– Ho oui, bien sûr, pardon.

Elle plongea sa main dans la poche de son manteau et en tira une missive froissée.

– Pouvez-vous la donner à mes parents ? Discrètement.

Il la prit et hocha la tête.

– Ils ne la recevront cependant pas de suite, annonça-t-il en la glissant dans son manteau. Les patriarches et matriarches ont ordonné une assemblée. Ils doivent en train de partir du domaine.

– Au grand complet ?

Deux à trois fois dans l’année, les matriarches et patriarches des familles magiteriennes se réunissaient dans un cratère naturel, à même le sol. Ce même cratère où un éclat de Lune serait soi-disant tombé et dont une partie du sol s’avérait être une imposante plaque, faite d’un patchwork de divers métaux fondus. Une œuvre ancestrale réalisée des siècles plus tôt, en hommage à la Lune. Des dessins et motifs la représentant en remplissaient chaque carreau.

Les familles avaient toujours fait en sorte de s’accorder dans leurs actions et leur politique, notamment pour ce qui était de faire barrage contre les mages industriels. Chaque famille ayant sa propre spécialité, il n’y avait pas de concurrence et aucun intérêt à se faire la guerre.

La majordome ne se gêna pas pour donner son avis.

– Madame Astrance semble déterminée à s’opposer à la royauté. Mais elle ne gagnera pas, il est trop tard. Le progrès est bien trop installé.

C’était davantage une affirmation qu’une remarque. Mais les faits étaient là : les magiteriens étaient voués à disparaître. Leur magie devenue inutile, ils deviendraient de simples exploitants comme les autres. Les nouvelles générations ne verraient plus d’intérêt à enseigner les arts magiteriens à leurs enfants, qui finiraient par oublier cet héritage. Ils déserteraient les manoirs, transformés en maisons de campagne et épouseraient des habitants de la capitale. Leurs noms si symboliques se perdraient ou ne signifieraient plus grand-chose. Rosalie ne voyait aucun autre avenir possible. L’acharnement d’Astrance n’était plus qu’une question d’honneur, un moyen de continuer à se faire remarquer, pour ne pas tomber dans l’oubli.

Rosalie répondit par un hochement de tête appréciateur. Ne trouvant rien à ajouter, le majordome la salua.

– Bon courage, Mademoiselle.

– Vous aussi. Et encore félicitations pour votre petit-fils.

Il serra sa main dans la sienne et la quitta.

Nerveuse, Rosalie resserra son manteau sur sa poitrine. Pour quelle raison les magiteriens pouvaient-ils bien se réunir ? Elle releva la tête au-dessus des toits, jusqu'à apercevoir la silhouette blanche et travaillée du palais royal, faite de tours et de coupoles de verre, et hissé sur la plus haute colline de la vallée.

De nombreuses fleurs et arbres composaient le site, les espèces se côtoyant sans se gêner, disposés dans une harmonie de couloirs et de formes. Il y avait des floraisons toute l'année. Un aménagement ancestral et inchangé, fait de la main des Astre-en-Terre, aidés des jardiniers.

L’assemblée devait encore être question des pénuries et du scandale de la Lune. La reine allait devoir se montrer patiente pour se débarrasser d'eux.

Le claquement de talons hauts sur le pavé résonna soudain derrière Rosalie. Elle ne se retourna pas, croyant avoir affaire à un passant, quand une voix griffa l'air.

– Rosalie BasRose.

Cette dernière pâlit. Elle connaissait cette voix, mais il ne s'agissait pas d'Astrance. C'était pire.

D'une inspiration, elle se retourna, prenant son courage à deux mains. Or de questions de se laisser encore mener par des magiteriens.

La nouvelle venue la regardait, de ses yeux gris à l'expression sévère. Les ondulations de sa chevelure autrefois sombre s’éclaircissaient en nuances assorties à ses iris.

La femme plissa le front, accentuant les rides de son visage.

– Rosalie BasRose.

Cette dernière se tendit.

– Virginia.

– Vous avez bonne mémoire. Nous ne nous sommes pourtant qu’une fois.

Des années plus tôt, au dixième anniversaire de Rosalie. Virginia fronça le nez de dégout.

– Votre... rébellion, si je puis dire, a circulé au sein de tous les manoirs magiteriens. Astrance s'est donnée beaucoup de mal pour vous effacer de l'arbre généalogique et se dédouaner de votre comportement.

C'était effectivement la seconde fois que Rosalie rencontrait cette femme. Assez pour la connaître.

La matriarche des matriarches, celle à la tête de la famille magiterienne à l'origine de toutes les autres.

Virginia Astre-en-Terre.

Celle-ci s'avança plus près Rosalie.

– Votre présence ici m’indispose fortement. Si mes propres descendants avaient ainsi trahi notre héritage, je ne me serais pas contentée d'une humiliation publique. Notre magie est trop sacrée et chargée d'histoire pour qu'on la souille en la confiant à n'importe qui et sur n'importe quoi.

Rosalie planta son regard dans celui de la matriarche.

– L'histoire est naturellement faite pour évoluer. De même que les progrès scientifiques et médicaux, ajouta-t-elle.

Les Astre-en-Terre vivaient au palais en tant que médecins royaux, bien que leurs talents aient été quelque peu évincés par le fameux progrès mentionné par Rosalie.

Des siècles plus tôt, Ordalie et Cie-Ordalie n'étaient qu'un seul et même royaume. Poussés par l’avidité, les magiteriens de l’époque s’étaient rapprochés du futur roi de Cie-Ordalie, lui proposant son aide en échange d’une place privilégiée.

Les Astre-en-Terre n'avaient depuis jamais quitté le palais, devenant des résidents aussi anciens que la famille royale.

Avec les années, des membres avaient dû le quitter, fondant leur propre arbre généalogique et héritant d’une partie du savoir-faire de leurs aïeuls. Ainsi s'étaient fondées les autres familles magiteriennes.

Virginia rendit à Rosalie un regard outré, mais elle s'en fichait. Elle refusait de se laisser intimider par cette femme au seul prétexte qu'elle était à la tête de la communauté magiterienne et qu'elle résidait au même endroit que la reine. Rosalie avait coupé tout lien avec les siens.

Cette pique tomba comme un couperet sur Virginia. La matriarche lui renvoya un regard venimeux. Rosalie était peut-être allée trop loin, mais elle ne le regrettait pas.

Elle avait passé des années à s’écraser face aux magiteriens. Cela n’arriverait plus.

Virginia prit une longue inspiration.

– Nous nous reverrons, Rosalie.

La magiterienne quitta la place, ses bottines claquant sèchement contre le pavé gelé.

La tension se relâcha des épaules Rosalie. Si elle se refusait à craindre Virginia Astre-en-Terre, elle devait reconnaître que la matriarche savait s'imposer. Astrance n'était pas si terrible en comparaison.

De colère, Rosalie serra les poings. Qu’avaient-ils donc tous à la mettre plus bas que terre ? Elle était partie, cela ne leur suffisait donc pas ?

Pourtant, elle aurait presque pu remercier Virginia.

Que les siens veuillent absolument l'enterrer lui donnait encore plus envie d'en découdre, de se battre pour la vie qu'elle s'était construite.

Il était temps qu'elle se penche sérieusement sur cette histoire. Qu'elle résonne non pas comme une enquêtrice, mais ce qu'elle avait toujours été au fond de son être.

Une mage industrielle.

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