Chapitre 17 - 1

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Siège de La Bulle Mécanique, 15h13, 11 danubre de l’an 1900


Amerius poursuivit comme s’il ne venait pas de proposer un acte sans retour en arrière.

– Les essais en mer sont arrivés rapidement, mais le travail de notre homme sur la roche lunaire était jusque-là purement théorique. Il s'écoulera encore des mois avant qu'une arme ne soit opérable. Et sans Noé ou son imposteur, cela sera impossible.

Rosalie hocha la tête sans avoir vraiment écouté. Son esprit ressassait les mots prononcés plus tôt.

Nous débarrasser de lui.

Le tuer. Tuer Noé. Commettre un meurtre.

Rosalie n'était pas stupide. Elle savait bien que parfois, on ne pouvait pas régler une situation juste en discutant.

L'entendre de la bouche d'Amerius, sur un ton bien semblable à une proposition de dialogue, n’aurait pas dû arriver.

Amerius Karfekov avait-il déjà pris une vie ?

C'était une question qui ne pouvait pas attendre.

– Rose ? Est-ce que...

– Vous avez déjà tué quelqu'un ?

Il sursauta, un air choqué sur le visage, avant que ses traits ne s’affaissent. Il eut l'air chagriné qu'elle puisse le penser.

– Non. Mais j'ai été entraîné pour le faire.

Le moment venu, le ferait-il sans hésiter ?

Elle était certaine que non. Il avait prouvé qu'il n'était pas comme ça. Elle ne pouvait que se tromper.

– Je suis désolée.

– Ce n'est rien.

Rosalie inspira pour chasser ces derniers instants de sa mémoire.

– Comment fait-on pour libérer le faux Noé ? On ne peut entrer comme ça aux Basses-Terres, vous devez le savoir mieux que moi. Sans parler de le localiser et de peut-être repartir avec lui.

– Je... je dois avouer que je n'y ai pas pensé. Depuis quelque temps, je suis condamné à improviser.

Un mot qui avait l'air étranger à son vocabulaire, en témoignait son froncement de sourcils prononcé.

– Ce n'est pas comme si nous pouvions apparaître au même endroit que Noé.

Rosalie faillit hocher la tête. Sauf qu'Amerius avait tort.

– Sauf qu'on peut.

– C'est à...

– Les Poupées ! Elles peuvent se téléporter ! Si elles sont capables de traverser le temps, elles peuvent le faire avec l'espace, même dans un endroit où la magie fonctionne mal !

– Mais co....

– Il suffit d'en faire venir une !

Sans s’en rendre compte, elle se leva et se marcha d’un bout à l’autre de la pièce, ses pieds frôlant dangereusement le bord du tapis posé au milieu.

– On se sert ensuite d'une manœuvre de confinement pour retarder sa consumation et on l'interroge sur Noé – je doute qu'elles ne sachent pas où il se trouve – avant de la contraindre à nous mener jusqu'à lui. Sauf que...

– Rosalie ! Calmez-vous, vous allez vous faire mal.

Elle se figea. L’un des coins du tapis avait été retourné par ses allées et venues.

Amerius se leva à son tour avant de la ramener vers la table d'un mouvement de bras.

– Encore faut-il trouver une Poupée. On ignore où et quand elles se trouvent.

Il n'était pas parvenu à faire asseoir Rosalie qu'elle bondit de nouveau.

– Moi. Je peux les faire venir. Elles apparaissent quand je suis en danger. La première m’a sauvé alors que j’allais mourir d’épuisement, l’autre, d’une balle en plein cœur.

Amerius lui jeta un regard sévère.

– Rose. J'espère que vous ne sous-entendez pas devoir...

– J'en ai bien peur. Vous allez devoir vous en prendre à moi.

– Certainement pas !

Ce brusque éclat de voix la surprit, mais il en fallait davantage pour la décourager.

– Je refuse de lever la main sur vous, insista-t-il.

– Dans ce cas, je m'en chargerai moi-même.

– C'est trop risqué ! Et si elles ne viennent pas ?! Je vais devoir vous regarder mourir ?!

Elle recula.

Furieux. En colère. Rosalie n'aurait pas imaginé le découvrir ainsi. Son pari présentait une part de risque, mais il fallait faire ce qui était nécessaire.

– Je peux le faire seule.

Amerius sembla découragé.

– Ce serait encore plus inconscient. Comment pouvez-vous imaginer que je vous abandonne à ça ?

Un creux se forma dans son ventre. Elle voulut dire quelque chose, mais Amerius s'éloigna soudain en poussant un soupir résolu. Il se saisit du guéridon qui jouxtait le canapé pour le mettre dans la cuisine et enroula le tapis.

– Aidez-moi à pousser les chaises et la table. Un cercle de confinement a besoin d'espace.

Rosalie lui sourit avec reconnaissance, mais elle ne fut pas certaine qu'il l'ait vu. Ils mirent les chaises dans le couloir des chambres et repoussèrent la table le proche possible de l'entrée.

– Vous avez déjà réalisé un cercle de confinement ? demanda Amerius.

– Non. Mais je connais le principe.

Si un objet magique était sur le point de s'emballer et que son démantèlement requérait du temps, le cercle permettait de garder la magie à l'intérieur tout en ralentissant le temps d'exécution de l'équation.

À l'aide de couteaux, Rosalie et Amerius tracèrent le cercle d'un mètre de diamètre à même le parquet. Les doigts de Rosalie devinrent rouges et douloureux.

Une fois debout, ils ne purent repousser la conversation plus longtemps.

– Vous ne voulez toujours pas m'aider ?

– Je ne vous ferai pas de mal.

Il appuya ses dires en laissant tomber son couteau sur le canapé.

Rosalie choisit de ne pas insister et vint se positionner au centre du cercle. Elle leva le bras gauche, la lame au-dessus du poignet, là où les veines étaient visibles sous la peau blanche.

Grâce aux cours d'anatomie, Rosalie savait où frapper pour provoquer une mort certaine. Dans sa main, le couteau tremblait. Elle resserra sa prise sur le manche. La lame était aiguisée, elle n'aurait aucun mal à l'enfoncer.

Peut-être pouvait-elle viser autrement, de sorte à provoquer une blessure importante ? Mais si ça ne marchait pas ? S'il fallait vraiment que sa vie soit sur le point de s'achever pour qu'une Poupée la sauve ?

Pourquoi l'une d'elles n’apparaissait pas déjà ? Rosalie les supplia, les appela de la force de son esprit. Elle ne voulait pas retourner ce couteau contre elle.

En-dehors du cercle, Amerius la regardait, le souffle court, les membres si tendus qu'ils tremblaient. Il semblait prêt à se jeter sur elle.

Ils n'avaient pas le choix. Les Basses-Terres avançaient un peu plus à chaque minute qui passait.

Les yeux fermés, Rosalie leva le bras un peu plus haut pour se donner de l'élan et enfonça la lame dans son poignet. Amerius se jeta sur elle en criant.

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