Chapitre 18 - 1

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Prison d'état d'Argamunda, 15h33, 11 danubre de l'an 1900


Ils ne furent pas projetés au sol, mais la perte de repères les déséquilibra. Rosalie se retrouva avachie sur la pierre couleur acajou. Amerius s’était rattrapé au mur et l’aida à se relever. La Poupée s’était déjà consumée, détruite par la pierre de Satel.

Un vent glacial gifla le visage des deux mages. Ils se trouvaient sur un chemin de ronde, au beau milieu d’un virage. Rosalie s’approcha de la balustrade avant de reculer, peu à l’aise face au vide. Ils se trouvaient à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, surplombant les rues de la capitale baignée de brouillard.

– La prison a été construite pour dominer la ville, lui apprit Amerius, comme pour les autres lieux de pouvoir.

Pour rappeler aux gens qu’il y avait des règles.

Le paysage urbain était défiguré par les tours de briques hébergeant les habitants et les cheminées des usines, d'où s'échappaient d'épais panaches de fumée.

Le ciel était recouvert par cette pollution grisâtre. Seuls les lieux de pouvoirs, plus hauts et éloignés, parvenaient à y échapper. L'odeur écœurante n’épargnait cependant personne, et Rosalie remonta son écharpe sur son nez.

Chose inattendue, des fanions écarlates pendaient d’entre les bâtiments, peut-être en vue d’une célébration.

Rosalie vit un couple de Bas-Terriens traverser l'avenue juste en bas, emmitouflés dans leurs vêtements bleu foncé qui se détachaient difficilement de la brume. Le reste des rues était désert. Elle espérait que cela était dû au mauvais temps et pas à un couvre-feu. À moins que les Bas-Terriens travaillent tous les jours.

Rosalie entendit soudain le frottement d'un pas sur la pierre. Elle bondit vers Amerius et lui saisit le bras.

– Quelqu'un vient !

Ils semèrent l'intrus de quelques pas avant de s’arrêter et de reprendre une contenance. Courir ne servirait à rien, ils croiseraient forcément d'autres personnes. Ils marchèrent cette fois face à leur adversaire. Un garde de prison, vêtu d'un uniforme bleu.

Celui-ci les salua, mais Rosalie vit la lueur de méfiance dans son regard. Il inclina le menton pour regarder sous leurs capuches remontées, s’attardant sur Amerius – Rosalie se souvint qu’il était l’enfant de l’actuel dirigeant.

– Pardonnez-moi, Madame, Monsieur, mais je dois vous demander la raison de votre présence à cet étage.

Rosalie prêta attention à chacun de ses mots déformés par la langue Bas-Terrienne. Si les pays du continent s'étaient construits sur le même langage, les évolutions avaient été nombreuses et variées. Seules l’Ordalie, la Cie-Ordalie et les Basses-Terres étaient restées proches du dialecte d'origine, avec toutefois quelques variations de sens et de construction.

Pour Amerius, cette différence n’était en rien un problème.

– Nous n'avons pas à nous justifier, répliqua-t-il.

L'homme déglutit.

– Je me dois d'insister. Nous n'avons pas été informés par les responsables du registre de votre présence.

Amerius lui renvoya son regard le plus noir.

– Parce que ma fiancée et moi sommes ici sur autorisation du directeur de la prison. Vous pouvez lui poser la question, mais je doute qu'il apprécie d'être dérangé pour si peu. Je ne manquerai pas de lui signifier votre insistance déplacée.

Un coup de bluff osé. Rosalie et Amerius ignoraient tout du fonctionnement de la prison. Heureusement, le garde ne put dissimuler sa terreur. Il baissa la tête et recula contre la balustrade.

– Veuillez m'excuser...

Amerius passa son bras autour des épaules de Rosalie. Ils partirent en abandonnant l'homme.

Ils trouvèrent refuge dans le bâtiment, franchissant une arche sur leur gauche qui menait sur le palier d'un escalier.

– Et maintenant ? demanda-t-elle. Comment on trouve Noé ? « Une tour », c'est un peu vague comme indice. Notre ruse ne marchera pas éternellement.

Ils seraient capables de tomber sur le fameux directeur.

– Je sais. Il nous faut trouver un point en hauteur. La Poupée a dû nous emmener le plus près possible.

Rosalie ouvrit la marche dans les escaliers. Ils n'eurent qu'un étage à gravir pour se retrouver sur un toit-terrasse et constater qu'ils avaient encore du chemin à parcourir.

La prison était semblable aux marches d'un escalier circulaire. Plus on s'approchait du centre, plus le bâtiment s'élevait.

Rosalie et Amerius restèrent sous le couvert du porche. Sur le toit, ils seraient visibles des gardes qui devaient patrouiller le long des remparts.

– J'ai bien peur qu'il nous faille arpenter la prison au hasard, soupira Amerius.

Rosalie fit la moue. Le bâtiment central possédait quatre tours à chaque coin, supposément là où l'imposteur se trouvait enfermé. Les rejoindre s'avérait une autre affaire.

– Nous allons devoir essayer le culot.

Rosalie hocha la tête. Amerius était plus doué qu'elle à ce jeu. Elle se sentait perdue. Elle avait du mal à croire que cette infiltration était réelle et qu'elle se trouvait à plusieurs centaines de kilomètres de la Cie-Ordalie, ça avait été trop soudain, trop rapide.

Et son corps commençait à le lui faire payer.

Elle devait prendre de plus grandes inspirations pour remplir ses poumons, et son cœur qui aurait dû battre la chamade à cause de l'inquiétude, gardait un rythme constant.

Sa tête était lourde, ses jambes difficiles à soulever. Comme un manque d'oxygène. Rosalie se tourna vers Amerius, mais celui-ci avait l'air d'aller bien.

Ce devait être la peur. La peur de se faire attraper et tuer. Ici, aucune Poupée ne pourrait la sauver, et Amerius avait ses limites. D'autant que Rosalie détestait devoir sans cesse se reposer sur lui. Cette histoire la concernait de près, elle devait être capable d'y faire face.

Ils reprirent les escaliers en sens inverse, jusqu'à déboucher dans un couloir qu'ils empruntèrent. Une intersection se présenta, leur offrant le choix de continuer ou tourner à droite.

Changer de direction devrait en toute logique les rapprocher du centre. Chaque pas ajoutait des tremblements aux membres de Rosalie.

Ils n'avaient croisé que des portes en bois marquées de plaques. Cette partie de la prison devait servir à entreposer des fournitures, il était désert.

Un répit avant la tempête, Rosalie en était certaine.

Une volée de marches ascendantes se présenta. La foulée d'Amerius avait ralenti, il serrait le pommeau de sa canne dans sa main gantée de rouge.

Le ventre de Rosalie se tordit en voyant que cela les menait à une arche gardée par deux soldats.

L'espace d'un instant, leur expression se fit méfiante, mais ils retrouvèrent leur impartialité face aux vêtements rouges des visiteurs. Rosalie n’en revenait pas du pouvoir de cette couleur. Il devait sembler impensable de l’usurper.

Amerius voulut franchir l'arche avec toute l'indifférence des gens à qui les interdits sont étrangers, mais les soldats barrèrent le passage de leurs lances.

– Vous n'êtes pas autorisés à passer.

– Pas autorisés ? Faut-il que je vous brandisse mon manteau sous le nez ?

– Non, Monsieur, mais vous n'êtes pas escortés, ce qui constitue un manquement à la sécurité.

– Doit-on comprendre que vous n'êtes pas capable de garder les prisonniers derrière leurs barreaux ?

L'un des hommes se tourna vers Rosalie. Surprise par sa propre audace, elle faillit reculer.

– Nous sommes fatigués de devoir rappeler les règles à de simples gardes, menaça Amerius. Poussez-vous.

Les deux hommes échangèrent une œillade.

– Je vous accompagne jusqu'à destination, déclara l'un d'eux.

Il s'écarta pour les laisser passer. Rosalie et Amerius prirent le seul chemin possible, un couloir qui les mena jusqu'à une porte de fer.

Un autre garde patientait à côté.

– Ce monsieur et sa dame doivent entrer.

Son collègue ne protesta pas. Il ouvrit la porte grâce à son jeu de clés. Rosalie et Amerius entrèrent, suivis du premier garde. Ils constatèrent rapidement qu'un second s’était joint à lui.

Rosalie jeta une œillade inquiète à Amerius, qui s'efforça de ne pas la lui rendre.

Seul, le soldat aurait été facile à assommer, mais désormais ils se retrouvaient à égalité, deux hommes entraînés face à un mage qui l'était moins et une femme qui trouvait désagréable d’avoir un revolver dans sa sacoche.

Le quatuor remonta le couloir, jusqu'à une salle circulaire d'où partaient quatre autres accès.

C'était le moment de vérité. Ils y étaient allés au hasard, se basant sur les dires impossibles à vérifier d'une Poupée et leur sens de l'orientation. S’ils s'étaient trompés, les gardes ne perdraient pas de temps à les mettre hors d'état de nuire.

Rosalie se tourna vers les hommes, mais fut encore une fois trop lâche pour parler. Amerius prononça les mots fatidiques.

– Menez-nous à Astrasel Noé.

– Ce prisonnier est sous visites réglementées.

Si les mages étaient soulagés qu'il fût bien ici, le chemin jusqu'à lui était encore long.

– Une urgence nous pousse à nous en passer. Obéissez.

Les hommes ne bougèrent pas.

Amerius frappa le sol de sa canne.

– Le directeur...

– Le directeur est une femme, laissa tomber l'un des hommes.

Ils pointèrent leurs armes sur eux.

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