Chapitre 39 * (- 2)

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– Nous avons trouvé les fameux comptes dans les affaires de Maguel.

La reine fit glisser un cahier de cuir jusqu'à Amerius et Rosalie. Celle-ci l'ouvrit. Maguel y faisait mention de chaque Poupée fabriquée, et avait rayé le numéro de celles utilisées, et dans quel but. Rosalie retrouva la trace de celles qui l'avaient sauvé, des années plus tôt et du tir au manoir de Noé.

– Rien ne garantit qu'ils soient authentiques, releva Amerius.

– Je sais, approuva la reine. Mais nous avons quand même une opportunité à saisir. Mona Zelenski a affirmé que son père avait besoin d’une source d’énergie. Nous possédons cette source, ou plutôt, des sources, que nous sommes en train de ressembler pour les mettre à l’abri.

– Les blocs de roche lunaire, comprit Rosalie.

– Exactement. Je compte bien m’en servir pour l’attirer. Les pierres seront transférées par train or d’Annatapolis. Poupées ou non, la garde royale comporte cinq cents hommes et l'armée régulière presque dix mille. Je ne vais pas envoyer tout le monde, mais ils seront une centaine rien que pour protéger les convois et seront aussitôt remplacés en cas de problème.

Amerius hocha la tête.

– Quand doivent avoir lieu les transferts ?

– Dans deux jours. J'ai envoyé une partie de ces soldats démanteler les manoirs, des équipes se relayent jour et nuit sur chaque site.

– Que va-t-il arriver aux biens des magiteriens ? intervint Rosalie.

C'était une préoccupation très matérielle, mais elle n'acceptait pas qu'on balaye des dizaines de vies de cette manière.

– Stockés dans des hangars. Cette histoire terminée, les magiteriens innocentés pourront les récupérer, ainsi que leurs terrains. Mais ils devront bâtir de nouvelles demeures. Je compte d’ailleurs transférer les prisonniers en même temps que la roche.

– Tu veux faire partir les deux convois en même temps ? remarqua Amerius.

– Diviser nos forces équivaut à diviser aussi celles de Maguel Stanford. Il ne pourra pas supprimer les magiteriens et détruire la roche lunaire en même temps. Mais…

– Mais quoi ? Je crains quand même sa magie, soupira Galicie VII.

Rosalie remua sur sa chaise. Elle lui suffisait d’ouvrir la bouche pour régler ce problème, mais elle hésitait.

Le rocher originel qu'elle avait laissé au cratère diminuait les chances que Maguel se serve de magie, mais elle préférait que ce soit en cas d'extrême nécessité. Elle avait tout simplement peur que ce morceau d’astre soit revendiqué et utilisé une fois découvert. Il datait d'une époque où il ne servait pas à des fins vénales, et Rosalie entendait bien préserver cet héritage.

D'autant que les prisonniers seraient entravés par magie et les pierres du manoir protégées par des boucliers de nature identique, de même que des sphères détectrices de magie seraient en place. Se servir du rocher lunaire serait par conséquent contreproductif, puisqu'ils perdraient leurs protections sans être certains de l'existence d'un danger plus grand.

Mais il y avait Amerius. Il serait forcément en tête d'un des convois, à risquer sa vie, et pour lui, ne serait-ce que pour cet acte égoïste là, Rosalie voulait bien balayer sa résolution.

– J’ai peut-être une solution.

Elle parla du rocher originel et de ses capacités, et de son emplacement. La reine la regarda d’abord avec incrédulité, puis d’une manière que Rosalie crut être de l’admiration. L’instant resta bref, mais le fait est que la souveraine ne semblait plus vouloir qu’elle disparaisse. Elle l’écoutait et la croyait, sans avoir besoin de demander confirmation à Amerius.

– Masquer la magie, souffla la reine. C’est… Maguel ne doit pas le savoir. Si nous faisons partir les convois à la tombée du jour, il pourra encore se servir de sa magie pour agir. Mais la nuit venue il sera incapable de repartir. Privé de pouvoir, il ne pourra rien face à une armada de soldats.

Le regard de la reine devint distant, comme si elle réfléchissait. Elle finit par secouer la tête et par se pencher davantage au-dessus du bureau, déterminée.

– On doit aller plus loin que ça. Si on joue correctement notre coup, on peut se débarrasser non pas d’un, mais de deux ennemis. Vous êtes sûrs de ce vous avancez, Rosalie ? Mona affirme que Maguel veut détruire les Basses-Terres ?

Rosalie hocha la tête. Il n’y avait pas eu que Mona pour le dire, à la prison Bas-Terrienne, Maguel avait juré de faire brûler ce pays, qu’il jugeait maudit.

Le visage de Galicie se fendit d’un sourire satisfait.

– Ce serait une occasion.

– Pardon ? laissa échapper Rosalie.

– Les Basses-Terres sont peut-être sur le point de se faire bombarder par un ennemi que nous connaissons. Si nous leur envoyons un message pour les prévenir, deux solutions s’offrent à elles : accepter notre aide en échange d’une contrepartie, soit nous envoyer sur les roses et se faire détruire. Chose que nous pouvons leur éviter grâce au rocher originel.

– Quelle serait la contrepartie pour les Basses-Terres ? s’enquit Amerius.

– Des aveux. Signés de la main même de leur dirigeant. Un papier où ils avouent avoir tenté d’enlever Maguel Stanford, qui reste un citoyen Cie-Ordalien. Où ils mentionnent également leur complicité avec les magiteriens, en précisant que ces deux événements ont eu lieu sur notre territoire, ce qui constitue un crime international. Aux regards des lois continentales, nous sommes donc dans notre droit de faire cesser toutes exportations vers les Basses-Terres, nous ainsi que les autres membres de l’Union. Une mise en quarantaine qui les obligera à se faire annexer s’ils veulent survivre.

» Cela fait des années que les Basses-Terres harcèlent tous les pays frontaliers dans l’espoir qu’ils fassent le premier pas malvenu.

Rosalie faillit éclater d’un rire nerveux en songeant à quel point cela aura été facile de dominer les Basses-Terres. Bien sûr, l’annexion ne se ferait pas sans résistance. Il y aurait peut-être une guerre, mais réduite, sans parler des conflits civils entre Bas-Terriens. Des années supplémentaires de dur labeur, sans garantie.

Elle se rappela soudainement les mots de Mona.

L’histoire reprend toujours son dû.

La guerre avait eu lieu dans la première réalité.

La reine se leva de son bureau. Elle ordonna au serviteur dans le couloir de réunir d’urgence ses ministres et que l’on prépare les dispositifs de communication magique.

– J’aimerais que vous veniez tous les deux.

Rosalie était surprise, mais accepta. Ce qu’elle avait accompli des siècles plus tôt avait dû enfin lui valoir le respect de sa souveraine.

– Vous dites avoir besoin des colliers des patriarches et matriarches, c’est ça ? Je vais vous les faire parvenir.

Moins de vingt minutes plus tard, l’élite dirigeante était rassemblée dans la salle du conseil. Rosalie avait été installée entre la reine et Amerius. Elle s’était tassée au fond de son siège, le plus possible dans l’angle mort des ministres. Elle ne se sentait pas vraiment à sa place et les regards curieux l’intimidaient. Mais puisque la souveraine elle-même l’avait invité, on ne posa pas de questions.

Galicie VII fit un compte-rendu de la situation. Des missives gravées filaient en ce moment même au-dessus des terres, à la vitesse d’un oiseau de proie. Dans quelques heures, les nations de l’Union seraient averties. Un message différent était en route pour les Basses-Terres. La reine mentionna également la roche lunaire, sans toutefois évoquer comment le rocher s’était trouvé là et pourquoi seule Rosalie en avait connaissance.

Galicie VII n’attendait plus que l’aide de l’Union. Si les Basses-Terres choisissaient de signer des aveux, il devait y avoir le plus d’ambassadeurs possible, chacun faisait office de témoin officiel.

S’organiser prendrait des jours, avec l’angoisse que Maguel frappe plus tôt que prévu. Tant qu’ils ignoraient la raison de sa retenue, ce doute planerait au-dessus de leurs têtes.

Le reste de la réunion portant sur l’étude stratégique et la planification, Amerius proposa à Rosalie de sortir discrètement. Elle ne se fit pas prier. Ils n'avaient pas besoin d'elle.

En quittant l'aile du palais, Rosalie tomba aussitôt sur Bartold. Elle s'approcha, un peu honteuse de lui demander de l'aide.

– Laissez-moi deviner : vous voulez aller quelque part ?

– Chez moi.

Il lui rendit un air de reproche.

– Pour vous tirer encore ?

Rosalie sourit d’un air navré.

– Non, cette fois-ci je voudrais vraiment récupérer des affaires.

Décidé à ne pas se faire avoir deux fois, Bartold l’accompagna jusqu'à son appartement, et resta entre elle et la porte.

Une odeur de renfermé les accueillit. Rosalie ouvrit les fenêtres en grand et jeta la nourriture périmée, avant de se débarrasser dans la foulée du sac dans le vide-ordure.

Elle récupéra une valise dans l'armoire et la remplit de vêtements et affaires personnelles. Quand bien même n'aurait-elle plus été sous protection, Rosalie tenait à passer du temps avec Amerius.

Les heures suivantes, elle dut patienter seule dans sa chambre au palais. Léni lui tenait compagnie, mais Rosalie restait trop nerveuse pour jouer avec lui. Elle se retrouvait au cœur de quelque chose qu’elle ne maitrisait pas, d’autant qu’elle n’avait pas oublié un autre détail la concernant.

Maguel avait promis de revenir la chercher. Sans magie, il devrait pourtant en être incapable.

La poignée de la porte tourna soudain, arrachant Rosalie à ses pensées. Amerius entra, l’air fatigué. Léni se précipita vers lui, une fleur aussi imposante que lui dans les mains. Il l’avait récupérée dans un vase et la tendait à présent à Amerius. Celui-ci sourit d’amusement et prit l’automate dans ses mains, avant d’accrocher la fleur à son épaule.

– C’est très gentil à toi, Léni.

Celui-ci bougea les épaules, comme un enfant gêné d’un compliment. Amerius rejoignit Rosalie sur le canapé, mais son visage restait plus que préoccupé.

– Je suis juste nerveux. J'ai déjà commandé des opérations de terrain, mais pas de ce genre. Tout cela demande une stratégie et une organisation jamais vues. Et il y a cet objectif. Qu’est-ce qui retient Maguel, bon sang ? Lors d’un affrontement comme celui-là, la moindre information est décisive.

Rosalie se pencha vers la table basse et lui servit du thé.

– Peut-être que c’est le contraire, déclara-t-elle. Il attend quelque chose.

Amerius fronça les sourcils.

– Il veut toujours s’en prendre aux Basses-Terres, non ? Jerve… c’est le début de l’année, c’est peut-être davantage important pour eux que…

Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Amerius venait de se lever, Léni et la fleur encore sur l’épaule.

– Je crois qu’il vient juste d’avoir une idée, marmonna Rosalie.

Elle se leva et lui courut après.

– Attends !

Il ralentit et se retourna.

– À quoi tu penses ? demanda-t-elle.

– Je crois savoir ce que Maguel attend. Il veut détruire l’homme qui a déclaré la guerre à la Cie-Ordalie. Et c’est le moment idéal.

– Pourquoi ?

– Tu te souviens des décorations de la capitale Bas-Terrienne ? Elles sont là pour un anniversaire, qui a lieu le seize de jerve, et je sais lequel.

Rosalie le pressa d’en dire plus.

– C’est l’anniversaire du dirigeant.

Son père biologique. Il se lança dans une longue tirade sur les risques de son erreur de jugement et leurs conséquences, tout en continuant de marcher. Au bout d’un moment, Rosalie se saisit de sa main. Il s’interrompit.

– Tu n’es pas tout seul. La reine aussi prendra ce risque.

Elle se remémora ce qu'il lui avait lui-même dit, des mois plus tôt. Des mots qui lui avait fait du bien, et qui, elle l’espéra le rassurerait tout autant.

– Ça va aller. Je suis là.

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