Chapitre 41 *

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Palais royal, 07h31, 12 de jerve de l’an 1901

L'entrevue avec les autres chefs d'état achevée, le roi Chamdor s'était précipité en Cie-Ordalie, accompagné de sa fille, avocate au siège de l'Union. Leur carrosse franchit les grilles du palais aux premières lueurs de l'aube. L'urgence de leur arrivée empêcha la tenue de préparatifs adéquates, et le fiacre se gara devant une simple haie d'honneur de soldats cie-ordaliens. Galicie VII avait enfilé à la hâte une de ses robes de cérémonie, mais Rosalie distingua quand même les bottes de combat sous l'ourlet de velours.

Amerius se tenait à un pas derrière Galicie, aux cités de deux ministres et de serviteurs. Rosalie se trouvait également avec lui.

Ce n'était pas vraiment sa place, avec son allure trop modeste, et ses manières pas assez nobles, malgré son éducation. Mais Amerius lui avait demandé d'être présente, sans que personne ne s'y oppose.

Le roi Chamdor et sa fille remontèrent l'allée déneigée à la hâte. L’homme ne paraissait pas fatigué par la nuit de voyage, il affichait même un léger sourire bienveillant. Sa fille s’efforçait de l’imiter, malgré les cernes sous ses yeux. Ils inclinèrent le menton pour saluer Galicie, qui se confondit en excuses.

– La Cie-Ordalie espère que cet accueil modeste ne vous vexe pas. Nous avons dû composer dans l'urgence.

Le roi balaya ses protestations d'un revers de main.

– Je n'ai que faire des extravagances inutiles. Il y a d'autres priorités, comme mettre un terme aux agissements des Basses-Terres.

– J'espère que le Monarque Edmé sera du même avis.

– N'y comptez pas trop, reine Galicie.

Il lui rendit une expression navrée et se laissa guider à l'intérieur du palais. Seuls les dirigeants d'Ordalie et de Vindiène pouvaient se présenter à temps. Les autres nations se contenteraient de leurs ambassadeurs en Cie-Ordalie.

En attendant la venue du Monarque, les représentants furent invités à se reposer dans leurs quartiers. Quant à Rosalie et Amerius, ils furent priés de suivre Galicie dans sa salle de réunion, où attendait le chef des armées. Le temps que le couple de mages s’installe, la reine s'était débarrassée de sa robe pour retrouver sa tenue de combat. Rosalie haussa deux sourcils impressionnés. Elle n'aurait pas pensé qu'on puisse enlever si vite un vêtement aussi encombrant.

– Le rocher lunaire sera notre prochaine étape, annonça la reine. Nous devons l'extraire et le déplacer vers les falaises, au plus près du trajet du convoi.

Rosalie hocha la tête, nerveuse. Galicie VII lui confiait la tâche de diriger l'extraction, mais elle n'y connaissait rien et craignait d'abîmer le rocher. D'un autre côté, si ses ancêtres avaient pu l'enterrer sans dommage et avec les moyens de l'époque, elle ne pouvait qu'y arriver.

– Amerius, continua la reine. Je voudrais que tu achèves de préparer le convoi avec le chef des armées – il ne devrait pas tarder. Et...

Elle hésita, avant de se reprendre.

– Je sais que ce n'est pas vraiment ta tasse de thé, mais si tu pouvais t'assurer que les préparatifs pour la réception de ce soir sont achevés. Que nous soyons dans l'urgence ne doit pas nous empêcher d'accomplir notre devoir envers nos invités.

Le chef des armées prit la parole.

– Deux cents hommes seront au cratère dans l’heure, avec un chariot renforcé et du matériel d’extraction.

– Où le rocher va-t-il être emmené ? s’inquiéta Rosalie.

– Aux falaises. Nous ne serons qu’à un kilomètre de la gare à l’extérieur de la capitale. Notre camp de base sera établi là-bas.

– Établissez une route sécurisée et postez des hommes tout du long, ordonna Galicie. Nous n’avons que quelques heures devant nous.

Un page attendait sa souveraine à l’extérieur de la pièce. Il lui tendit les huit colliers de Lune, mais elle lui fit signe de les donner directement à Rosalie. Celle-ci s’en empara et les glissa autour de son cou, essayant d’ignorer celui encore taché du sang de Virginia Astre-en-terre.

– S’il vous plaît, dites à mes parents que je pars.

Le page inclina la tête et disparut dans les couloirs, sous le regard songeur de Rosalie. Une main se glissa soudain dans la sienne ; elle la serra en reconnaissant celle d’Amerius.

Quelques minutes plus tard, ils filaient en direction du cratère, déjà suivis par des soldats et le matériel.

Les véhicules s’arrêtèrent à l’entrée de la clairière. Rosalie resta pensive. L’endroit avait changé depuis son voyage. De nombreux arbres avaient poussé, enfermant le cratère sous un dôme de feuilles et de branches.

Rosalie dévala la pente et traversa le cratère, jusqu’à ce que ses pas ne frappent plus la terre sèche de l’hiver, mais le métal brut. La plaque protectrice évoquait un puzzle. Plusieurs métaux se mélangeaient, grossièrement soudés, et le résultat était parfois gondolé.

Rosalie s’approcha du centre, là où se trouvait la partie ouvragée la plus importante. Un disque d’un mètre de diamètre, forgé d’un motif de croissant de Lune en relief. Rosalie s’accroupit et le toucha des doigts. Ses ancêtres avaient mis plus de soin dans cette unique pièce que dans le reste.

Amerius et Galicie VII la rejoignirent.

– Ça va aller, la rassura-t-il.

La reine ne dit rien, mais son regard posé sur la plaque était dubitatif.

Rosalie tremblait de nervosité. Elle craignait que le dispositif ne fonctionne pas, abîmé par les ans ou simplement mal réalisé. L’entièreté de leur plan reposait sur le trésor caché dessous, en espérant que lui non plus n’ait pas subi de dommages.

Elle récupéra les colliers. Elle détacha les pendentifs des chaînes et les glissa dans de petites fentes éparpillées autour du croissant, destinées à évoquer des étoiles.

Une faible luminosité avait animé la Lune dès le premier médaillon inséré. À mesure que Rosalie ajoutait les autres, l’astre brillait de plus en plus, laissant apparaître les équations magiques gravées le long de ses courbes.

Lorsque le dernier collier fut introduit, un cliquetis résonna. Rosalie s’écarta du disque, qui s’était mis à tourner sur lui-même. Il s’enfonça dans la plaque avant de disparaître sous elle.

Le trio dut s’écarter davantage, la plaque métallique était en train de s’ouvrir, se courbant en avant sur elle-même sous forme de cercles concentriques.

Lorsque les deux mages et la reine eurent reculé d’une vingtaine de mètres, le phénomène se stoppa. Rosalie s’approcha du gouffre avant de laisser échapper un soupir de soulagement. Le rocher se tenait à deux mètres sous elle, enfermé dans le cocon protecteur de la terre. Il n’était pas bien grand, trois mètres de long pour deux de haut, mais Rosalie espérait que ce serait suffisant pour atteindre les côtes Bas-Terriennes. Ses ancêtres eux-mêmes ignoraient jusqu’où s’attendaient l’influence du rocher. Peut-être touchait-il toute la Terre, peu importe sa taille.

– Je crois que tout va bien.

La reine se plaça à ses côtés, un regard scrutateur posé sur le rocher.

– Vous m’aiderez à guider les hommes pour l’excavation.

Amerius leur avait déjà fait signe de venir. Le chariot s’approcha au plus près du bord, tandis que le matériel était passé à Rosalie et Galicie VII, descendues dans la cavité par une échelle.

Heureusement, Rosalie avait songé à l’éventualité que le rocher ait besoin d’être déplacé. Une grille placée dessous permettait de le surélever de quelques centimètres, de quoi faire passer les harnais autour. Solidement harnaché, le rocher fut lentement soulevé par une grue, actionnée par une dizaine de soldats qui faisaient tourner la roue. Rosalie eut une frayeur en voyant le rocher tanguer sous son propre poids, mais les hommes connaissaient leur travail. Le morceau de Lune fut déposé avec douceur dans le chariot avant d’être recouvert d’un drap, puis d’une armature de fer.

– En route, ordonna la reine.

Le chariot n’aurait besoin que de quatre heures de voyage pour arriver à destination. Puisqu’il n’était pas question pour Rosalie de le quitter des yeux, elle monta à l’avant du chariot sans rien demander. Elle et Amerius resteraient avec le convoi, tandis que Galicie VII regagnait le palais pour accueillir le Monarque Edmé et les ambassadeurs.

Durant le trajet, Rosalie trembla à chaque sursaut causé au chariot, priant la Lune de conserver son pouvoir sur le rocher. À un moment donné, elle finit par s’assoupir, le bras réconfortant d’Amerius autour d’elle, mais à son réveil, il lui semblait n’avoir dormi que quelques minutes, alors que l’odeur des embruns lui indiquait qu’ils étaient arrivés à destination.

Le chariot emprunta un sentier creusé à même la falaise. Effrayée, Rosalie porta une main à l’armature protégeant le rocher. Le véhicule tanga plusieurs fois, et elle craignit qu’il ne tombe dans le vide, tant la route lui semblait trop étroite. Sa nervosité n’atteignit pas le conducteur, qui menait ses chevaux d’une main de maître. Le sentier s’acheva en plongeant dans une grotte, retirant au passage l’angoisse qui malmenait Rosalie.

Ils se trouvaient dans une vaste caverne au sol plat. Des tentes avaient rapidement été dressées, et des soldats grouillaient comme des fourmis. Le chariot fut tiré vers le fond, le rocher laissé à l’intérieur. Rosalie le frôla au travers du drap, et elle fut rassurée de sentir la magie battre comme un pouls.

Amerius la rejoignit pour la conduire dans une tente. Aussitôt la toile rabattue, le vacarme de la caverne disparut, étouffé par des équations imprimées sur le tissu. Rosalie se laissa tomber sur le lit de camp, reconnaissante envers le silence. Amerius posa un sac sur le lit.

– J’ai toujours des affaires dans un fiacre pour les départs en urgence. Je me suis permis d’ajouter des vêtements qui t’appartiennent. Nous te trouverons également un gilet de cuir à ta taille, au cas où.

Elle nota qu’il ne s’était pas imaginé pouvoir l’écarter de la mission, malgré le danger. L’enfermer pour la mettre en sécurité n’aurait de toute façon servi à rien, Maguel pouvait la trouver quel que soit le lieu. Si elle devait le confronter, ce serait là où elle l’avait décidé.

– Merci.

Un mot qui englobait tout ce qu’ils avaient récemment vécu, mais Rosalie n’eut pas besoin de le préciser.

– Je sais qu’il fait encore jour, mais essaie de dormir un peu. La journée de demain sera longue.

Mais elle avait déjà sombré.

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