Chapitre 43 * (- 2)

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***

– Lève les mains !

Amerius aurait voulu tirer sans attendre, histoire de faire taire une bonne fois pour toutes cet éclat arrogant dans ses yeux. Mais Galicie le voulait vivant.

Stanford obéit sans protester. Amerius le maintenait en joue, attendant que les soldats se rassemblent.

– Toute résistance est inutile. Une cinquantaine d’hommes se tient ici, et des renforts sont en chemin.

L’autre le fixait comme un insecte indésirable.

Amerius ne pouvait contenir la colère qui déformait ses propres traits ; et la douleur. L’accident de train n’avait pas été prévu et il s’était tordu la jambe. La tête du conducteur de la locomotive avait frappé le tableau de bord. Amerius avait eu du mal à sentir son pouls.

Le reste du train n’était heureusement pas seulement vide de roches, mais aussi d’hommes. Ces vies-là n’avaient pas été fauchées.

Galicie et Amerius n’avaient pas été dupes, ils s’étaient bien doutés que Maguel Stanford avait d’autres ressources dont sa fille n’avait pas connaissance. Ce train et ces fiacres n’avaient pas été destinés qu’à l’appâter, ils voulaient aussi le faire puiser dans ses moyens.

Ils avaient imaginé plusieurs scénarios, mais que Stanford fasse dérailler le train n’en avait pas fait partie. De même qu’il agisse si vite, alors que le jour devait se maintenir durant une heure supplémentaire, un laps de temps durant lequel la magie fonctionnait.

D’autant que Rose avait eu connaissance du danger. Amerius ne voyait qu’une seule explication à ces deux imprévus : Stanford avait changé la réalité, pour une où il avait connaissance du trajet du train. Sauf qu’il n’était pas assez remonté dans le passé – ou allé assez loin dans le futur – pour savoir que tout n’était que mascarade.

Une mascarade composée de plusieurs dizaines de soldats, qui seraient bientôt deux centaines. Stanford aurait dû paniquer. Au lieu de quoi, il restait serein, bien trop au goût d’Amerius.

– À genoux. Mains derrière la tête.

Stanford ne réagit que lorsqu’Amerius désigna le sol, où l’homme se laissa tomber, sa rage tranquille toujours dirigée vers lui. Celui-ci fit signe aux soldats de s’avancer, sans gestes brusques. Revolvers et lances étaient tous pointés vers ce seul homme.

En s’approchant, Amerius put constater que son état avait empiré. Ses lèvres étaient craquelées de gerçures écarlates, son œil gauche avait pâli, comme devenu aveugle. Sous l’exosquelette de métal qui recouvrait ses bras, on distinguait la peau crevée d’abcès, qui tenait à peine sur les os.

Amerius fronça soudain les sourcils, cherchant à distinguer ce qui était coincé dans les oreilles de Stanford. Des boules jaunes, semblables à celles à base de cire utilisées par les ouvriers d’usine pour se protéger du bruit.

Qu’est-ce qu’il fabriquait avec cela ?

Leurs regards se croisèrent, au moment où les doigts de Stanford tapèrent sur son exosquelette.

– À terre ! Bouchez-vous les…

Amerius n’eut pas le temps de les prévenir qu’un son bas envahit la clairière. Il avait mis à temps ses mains sur ses oreilles, mais ce ne fut pas le cas des soldats qui s’effondrèrent pour la plupart au sol.

Stanford avait relâché le bruit comme on lance une bête affamée. Les vibrations secouaient le corps d’Amerius, s’abattaient sur ses tympans et son oreille interne, le déséquilibrant. Il lâcha son arme, devenue impossible à tenir. Il dut se faire violence pour ne pas retirer ses bras tremblant de ses oreilles, dont il sentait un liquide chaud s’écouler.

Certains soldats n’avaient pas eu cette chance, ils avaient sombré dans l’inconscience, des auréoles écarlates autour du nez et des oreilles. Les renforts étaient arrivés, pour s’arrêter à une centaine de mètres avant de reculer, eux aussi courbés en avant.

Amerius comprit que ses jambes venaient de céder lorsqu’il tomba sur le dos. Il se retourna sur le ventre et rampa sur les coudes pour tenter de s’éloigner de Stanford.

Mais celui-ci l’avait déjà contourné. Amerius releva la tête pour découvrir le revolver pointé sur lui. Stanford parla, mais il ne l’entendait pas à cause des vibrations.

Amerius ne baissa pas les yeux. Si cette ordure devait l’abattre, ce serait sans pleurs ou supplications. En temps normal, il n’aurait pas regretté cette fin prématurée, estimant sa vie bien remplie et satisfaisante. Mais il allait laisser Rosalie derrière lui.

Avant qu’ils ne se quittent, il avait failli lui dire ce qu’il ressentait. Il savait bien sûr qu’il existait des mots pour l’exprimer, mais n’avait pas eu le courage de les formuler, attendant sans doute qu’elle se lance la première.

Stanford lui cria quelque chose, qu’Amerius crut lire sur ses lèvres, mais sa vision brouillée ne lui apporta qu’une phrase dénuée de sens.

Il comprit alors comment le mage avait pu vaincre ainsi tout un bataillon. Sur l’exosquelette, là où il avait appuyé, se trouvait une sorte de tube de verre, rempli de sable sombre, aux reflets anthracite. De la roche lunaire. Réduite à l’état de magie brute. Le sable dansait dans le tube, et continuerait sans doute jusqu’à ce que dure la torture. Une seconde fiole était attachée à sa jambe, dont le sable restait pour l’heure inerte.

Stanford allait appuyer sur la détente, au moment où ce qu’il lui restait de visage se déforma. L’arme lui échappa et il tituba, la main sur le flanc. Amerius tourna la tête, apercevant plus loin un soldat qui rabaissait le canon d’un fusil longue distance.

Stanford chuta au sol. Le tube se décrocha et roula dans l’herbe. Le choc l’avait fêlé, stoppant les vibrations. La pression dans les oreilles d’Amerius se relâcha. Il retira ses mains tachées de gouttelettes rouges et se redressa, un sifflement strident dans les oreilles. Il ramassa l’arme du mage et tira sans chercher à savoir quelle partie il visait.

Mais juste avant l’impact, un souffle brutal balaya la clairière, repoussant Amerius qui ne fit que tirer en l’air. Amerius jeta l’arme en poussant un cri de rage, ravivant la douleur à ses tympans. Il voulut se relever, mais la tête lui tournait.

Il parvint à hurler un ordre.

– Repliez-vous !

Les soldats encore debout obéirent, l’un d’eux se précipita pour soutenir Amerius. Pris d’une soudaine impulsion, il le repoussa et se jeta sur le tube au sol pour s’en emparer. Ils coururent loin des rails pour se réfugier dans les hauteurs de la colline voisine.

Amerius se laissa tomber au sol, avec la sensation que du feu se répandait dans ses oreilles. Tandis qu’un combattant-infirmier se penchait sur lui, Amerius se retourna vers la plaine. Stanford n’avait pas bougé, mais il aurait juré que son regard était posé sur lui, le Bas-Terrien de naissance, l’homme qui lui avait pris Rosalie.

La rage déforma soudain les traits de Stanford. Il hurla, bien qu’Amerius ne puisse dire contre qui ou quoi. Il regarda son bras, celui où se trouvait la fiole de sable, puis ses mains, alors que ses traits achevaient de se durcir. Amerius connaissait ce regard. C’était celui de l’homme qui n’avait plus rien, qui arrivait au bout de ses capacités.

Amerius jubila de le voir ainsi démuni. Stanford avait l’effet de surprise pour lui, mais ils avaient une chance de se saisir de lui, ou au moins de la distraire le temps que la nuit tombe. Il doutait cependant de son plan, au point d’hésiter à agir. S’il se trompait et que Stanford possédait encore de quoi les anéantir, que les soldats fussent cent ou mille à l’affronter n’y changerait rien. Amerius redoutait de gaspiller des vies pour le vérifier.

Il ne restait que peu de temps avant la nuit, mais Amerius ignorait s’ils pourraient tenir jusque-là.

Il repoussa l’infirmier et se releva, malgré les protestations du soignant.

– Combien reste-t-il d’hommes ?! hurla-t-il.

Son ouïe endommagée l’empêchait encore de s’entendre. L’infirmier ne répondit pas. Son regard dériva vers la colline, derrière Amerius. Ce dernier se retourna, avant de blêmir.

Il ne restait personne debout. Ses hommes gisaient à terre, inertes, voire recouverts de draps blancs. À son appel, quelques courageux s’étaient relevés, pour aussitôt vaciller. Aucun d’eux ne pourrait l’aider.

Non, pas question de le laisser s’échapper !

Malgré la distance, Amerius et Stanford se défièrent du regard. L’homme se moquait de lui, l’imaginait incapable d’agir. Amerius allait lui prouver le contraire. Il posa la main sur son épée et s’élança vers le train. Derrière lui, l’infirmier cria, mais il l’ignora. Amerius dévala la côte, malgré le vertige qui lui brouillait la vue. Il ne fit que trois pas.

Stanford leva son bras, d’un mouvement lent et gauche. Une salve d’ondes pures heurta Amerius, qui chuta sur la terre sèche de la colline. La rage monta dans sa poitrine, qui se mua en une toux rauque. Il chercha à se relever, la main crispée autour de son arme. Ses jambes refusèrent de suivre.

Amerius refusa de rester tête basse. Il se redressa vers Stanford, juste au moment où une Poupée se matérialisa, emportant le mage. Amerius laissa retomber sa haine, mais l’écœurement menaçait de l’étouffer.

Un son. Un seul son bien choisi pour que Stanford commette une hécatombe. Il violait sans conteste le septième amendement, et dans son respect des lois, le royaume était désarmé face à lui.

Un son, un homme.

Qui en plus des Basses-Terres, avait choisi la Cie-Ordalie pour ennemie.

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