Chapitre 44 * (- 2)
– Qu’est-ce que ça signifie ? ajouta Galicie.
Elle se tourna vers Rosalie, une lueur de reproche dans le regard. Rosalie reporta son attention vers la falaise, et comprit. Le bloc de roche décroché plus tôt avait roulé, achevant d’obstruer l’entrée de la grotte. La lumière de la Lune ne parvenait pas jusqu’à son fragment.
Galicie VII n’eut pas besoin d’explications.
– Très bien. On repasse à l’ancienne méthode. Il faut se débarrasser de cette onde vibratoire.
– J’ai peut-être une idée pour la repousser, intervint Rosalie.
Elle espérait que son plan convaincrait. Elle vivait l’échec du rocher comme une défaite personnelle, et avait besoin de se sentir à nouveau utile. Attentifs, Amerius et Galicie l’encouragèrent à poursuivre. Rosalie se tourna vers son amant.
– Il nous faudrait de la roche lunaire. Celle des manoirs magiteriens suffirait. Est-ce qu’ils sont cachés à proximité ?
– J’ai mieux que ça, intervint Amerius.
Il plongea la main dans son manteau, extirpant un tube de verre fêlé. À l’intérieur, Rosalie découvrit une poignée de sable sombre, de la même couleur que la roche lunaire.
– C’est… un morceau de Lune ?
Il hocha la tête.
– Pris à Maguel. On peut s’en servir.
Amerius mit quelques secondes à répondre.
– C’est une possibilité. Mais je ne sais pas exactement comment fonctionne le matériau lunaire. Donner de nouvelles propriétés à la roche nécessite de graver une partie de la formule.
– Il faut essayer quand même.
– Nous n’avons cependant pas de place.
– Pas de place ? Tu as une plaine entière à ta disposition ! Si on grave l’équation en cercles concentriques et qu’on met le sable au milieu, en le dotant d’une formule de mimétisme comme celle utilisée pour me libérer de mon bracelet…
Ils se tournèrent vers Galicie, attendant son approbation.
– Combien de temps ?
– Pas plus d’une demi-heure, assura Amerius.
La reine inspira, hésitante.
– La plaine est à vous, mais il va vous falloir vous contenter de couteaux pour graver.
Un détail qui ne les arrêta pas. Rosalie trouva une bande de terre sèche et Amerius y déposa le tube de verre. Il dirigea les étapes de l’équation, sous les yeux curieux et plein d’espoir des agents. Courbés en avant au-dessus du sol, leurs couteaux le griffaient sans relâche, creusant les symboles et sculptant les signes. Le manque de lumière leur brûlait les yeux, l’air glacé de l’hiver gelait leurs mains mises à nu pour mieux tenir les couteaux. Leurs poignets et leurs dos étaient meurtris à force d’être sollicités. Mais ils ne pouvaient pas demander d’aide, l’équation était trop complexe pour la confier à des non-mages, la moindre erreur pouvait faire s’emballer la magie.
Galicie leur apporta de l’eau et de quoi manger, qu’ils avalèrent entre deux cercles achevés. Lorsque Rosalie traça le symbole final et qu’Amerius eut tout vérifié, moins d’une demi-heure s’était écoulée.
Rosalie et Amerius traversèrent le cercle de formules avant de se relayer pour inscrire l’équation de mimétisme sur le tube de sable, ainsi que celle permettant d’absorber l’énergie des vibrations. Ils la reposèrent au centre et s’éloignèrent sur leurs jambes engourdies. Amerius se pencha et d’une impulsion, activa l’équation lunaire. Elle se mit à briller, sans fausse note, imitée par celle sur le tube. Les équations cessèrent de briller, sans certitude.
Le duo se précipita vers le sable avant de l’inspecter. Ils échangèrent un regard incertain. Le sable vibrait de magie, mais avait-il bien obéi à leurs exigences ?
Les muscles de Rosalie se relâchèrent enfin, car elle avait choisi l’espoir.
– Ça a marché, se persuada-t-elle.
Elle réalisa alors que tous les combattants valides se tenaient prêts à intervenir, alignés en rang face à Galicie. L’idée était d’atteindre le sommet de la falaise le plus vite possible et de prendre Maguel par surprise.
– Sauf qu’il risque de voir les hommes s’avancer, souleva Galicie. Il faudrait au moins lui masquer leur position. Si seulement du brouillard s’était levé.
– Du brouillard, vous dites ?
Les visages se tournèrent vers Rosalie.
– Avec les bons ingrédients, je peux en fabriquer un.
Un savoir acquis auprès des Landepluie et utilisé par les BasRose pour adapter le climat des serres aux plantes qu’elles renfermaient.
Son impulsion avait été la même que précédemment. Son envie d’aider prenait le pas sur ses mauvais souvenirs et sa résolution de ne plus utiliser la magie de Terre.
– De quoi avez-vous besoin ? s’enquit Galicie.
– D’eau et de terre froide, ce qui ne devrait pas poser problème, ainsi que d’une source de chaleur. Et d’un cornet pour diriger le brouillard.
Galicie n’attendit pas pour donner l’ordre aux soldats. Une dizaine s’élança vers la mer, tandis que d’autres raclaient la terre gelée pour la rassembler en monticules.
Rosalie s’assit au pied d’un arbre et alluma un feu à l’aide de la flamme d’une lampe-tempête. Faire un feu ici était risqué, mais sa flamme n’avait pas besoin d’être importante.
Malgré son corps épuisé, elle récupéra un bol qu’elle remplit d’eau et de terre. Elle espérait que le sel ne serait pas un obstacle, mais par chance, le mélange changea d’aspect pour se changer en brume poisseuse. Elle récupéra le cornet de papier roulé par Amerius et le rempli avec le sortilège. Rosalie recommença son rituel et ses incantations plusieurs fois, jusqu’à remplir le cornet.
La vingtaine de soldats n’attendait plus qu’elle pour s’élancer. Par précaution, ils avaient tous mis des boules de cire dans leurs oreilles.
– Combien de temps le brouillard tiendra-t-il ? demanda Galicie.
– Pas plus d’une demi-heure.
– Commencez à approcher ! hurla la reine.
La troupe se mit en mouvement, jusqu’à ce que les effets des vibrations se fassent soudainement sentir, réveillés par leur approche.
Rosalie se plaça au plus près de l’onde, face à un sentier. Amerius l’avait rejoint, prêt à la rattraper si elle s’effondrait de fatigue. Rosalie le laissa s’entretenir avec Galicie.
– Soufflez droit devant, ordonna-t-elle.
Rosalie porta le cornet à sa bouche en récitant mentalement le sortilège qui ferait lever le brouillard, espérant qu’elle y mettrait assez de puissance pour recouvrir ce pan de falaise.
La magie lui chatouilla les lèvres, sa vision se voila de blanc, à l’image de l’apparence adoptée par ses yeux, qui fit sursauter Galicie. Ses cheveux se détachèrent, soulevés par un vent soudain.
Rosalie prit une inspiration et souffla.
Le brouillard se déversa du cornet comme la vapeur d’un geyser. Amerius et Galicie s’écartèrent, laissant la masse brumeuse se répandre sur la mer à la vitesse d’un cheval au galop. Elle atteignit la roche et l’engloba, épousant sa forme. Une partie du plateau où se tenait Maguel était enfermée par le voile, mais celui-ci n’irait pas plus loin.
Rosalie continua d’expulser l’air de sa poitrine, jusqu’à ce qu’elle se creuse et que le manque d’air ne l’étouffe. Elle lâcha le cornet et vacilla, avant d’être rattrapée par Amerius. Il la fit asseoir dans l’herbe.
– Impressionnant, lâcha un soldat.
Rosalie toussa, expulsant un petit nuage de brouillard.
– En fait, ils sont géniaux, ajouta un autre.
Ça n’avait été qu’un murmure, mais suffisamment fort pour que Galicie l’entende. Amerius et Rosalie se retournèrent d’un bloc vers elle. Galicie s’était détournée pour ne pas à avoir à répondre, mais Rosalie avait vu ses joues devenir écarlates.
D’un raclement de gorge, elle rappela ses soldats à l’ordre.
– Nous ne devons pas renoncer au rocher lunaire pour autant, dit-elle. Il faut que l’on trouve un moyen de dégager l’entrée de la grotte. Amerius, je veux que tu t’en occupes. Je vais monter avec les soldats pour superviser l’opération, informa Galicie. Je suis équipée. Je vais d’abord tenter d’occuper Maguel, sauf si je vois une possibilité de le tuer, j’y vais.
Elle réajusta son gilet et son épée, mais Amerius l’arrêta.
– Non. Tu n’as ni héritier ni fratrie. Nous ne pouvons pas risquer de te perdre. J’y vais.
– Non !
Rosalie avait laissé le mot franchir ses lèvres.
– Je vais briefer les troupes.
Galicie s’éloigna, les laissant seuls. Amerius s’accroupit à côté de Rosalie, qui n’avait même plus assez de forces pour le retenir.
– Je reviendrais.
– Tu as plutôt intérêt, souffla-t-elle de sa voix éraillée. Rappelle-toi que je peux faire revenir temporairement les âmes. Je trouverai bien un Vole-Poussière pour m’y aider.
Amerius lui saisit le visage et l’embrassa. Elle le lui rendit, de toute la force de ses lèvres griffées par le sortilège. Lorsqu’il recula, Rosalie sentit un sanglot lui comprimer la poitrine.
– Rose, je…
– Amerius ! le pressa Galicie.
Il soupira, mais finit par se lever. Rosalie l’imita, se tenant à la rambarde. Amerius la regarda avant qu’elle ne le supplie de s’en aller. Ils avaient besoin de lui.
Elle le regarda courir vers les troupes, et entrer le premier dans le brouillard, suivit des lueurs fantomatiques des soldats, équipés de lampes-tempête.
Rosalie suivit celle d’Amerius, jusqu’à ce que le brouillard l’avale.
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