Chapitre 45 * (- 1)

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Falaises des côtes cie-ordaliennes, 17h52, 13 de jerve l'an 1901

Amerius s’enfonça dans le brouillard, suivit par la troupe de soldats. Davantage aurait été trop bruyant pour une attaque surprise. La lampe perçait à peine le rideau brumeux créé par Rosalie, aussi avancèrent-ils avec hésitation sur le sentier rocheux. Amerius avait repéré l’emplacement des courbes et virages avant qu’il ne disparaisse, et lorsque la masse sombre de la falaise lui apparut, il dirigea la troupe vers la gauche avant de poser un premier pied prudent sur la piste.

D’un geste, il fit signe à ses hommes de laisser les lanternes. La montée s’effectua en frôlant la roche d’une main. Le groupe parvint au sommet de la falaise, où le brouillard moins dense laissait voir les contours de la machine de Stanford.

Amerius ne se servit pas d’une radio pour informer Galicie de cette réussite. Ils ne devaient pas prendre le risque d’être entendus de Stanford, et de toute façon, il n’aurait pas reçu la réponse à cause de la cire dans ses oreilles.

D’un geste, Amerius ordonna à ses troupes de se figer. Il s’accroupit et observa Stanford bouger au travers du brouillard. Il ne semblait pas avoir compris que le climat n’avait rien de naturel. Courbé au-dessus de la sphère, son bras effectuait des allers-retours sur le métal. Amerius reconnut ce geste comme étant celui d’un mage gravant une équation.

Il était difficile de croire qu’il ne s’attendait pas à une attaque. Amerius peinait à cerner cet homme. S’agissait-il de folie et d’un jeu d’acteur ?

Une incertitude qui justifiait aussi le nombre d’hommes envoyés. En cas d’échec, peu perdraient la vie, même si aux yeux d’Amerius c’était déjà trop. Bien sûr, il y avait le morceau de Lune qu’il conservait sur lui, mais son rayon d’action était trop faible pour protéger tout le monde. Le but était de toute façon de distraire Maguel, en espérant que le rocher puisse être décoincé.

Il percevait désormais la faille dans leur plan. Ils s’étaient précipités, profitant de l’ouverture créée par Rosalie, inquiets que Stanford soit déjà en train de terminer son arme. Mais une fois face à lui, comment pouvaient-ils espérer l’occuper tout ce temps ? Amerius était certain qu’il avait de quoi leur tenir tête. Il avait vu des troupes être anéanties en moins de temps.

Il fallait pourtant continuer.

Il se releva et fit signe à la troupe de se séparer en deux. Les hommes se déployèrent autour du plateau. Amerius les imita et s’avança d’un pas dans le brouillard presque dissipé.

Maguel Stanford redressa sa masse frêle alourdie de métal de la sphère. À l’aide d’un scalpel chauffé à blanc, il gravait des équations, sans se soucier qu’elles soient droites. Il récitait à voix haute, mais Amerius ne percevait qu’un vague murmure. Dos au sentier, il n’avait pas vu les soldats arriver, et ne releva la tête, surpris, que lorsqu’ils se rapprochèrent de lui.

Stanford s’avisa de la présence d’Amerius. Son visage se déforma de rage. Amerius s’avança, enjambant les câbles et instruments qui jonchaient le sol, le revolver visant le crâne du mage.

– Mains en l’air.

Stanford répondit, mais Amerius avait toujours les oreilles bouchées. Son absence de réaction fit exploser l’homme de colère. Il cria et leva le bras vers un soldat sur sa droite. Le combattant eut un sursaut, avant de s’effondrer.

– ÉCOUTE !

Cette fois, Stanford avait hurlé. Les soldats répondirent à l’agression en tirant, mais les balles rebondirent sur un champ de vibrations entourant le mage.

Amerius leur ordonna d’arrêter. Il préférait ne pas savoir à quel point ils s’étaient trompés au sujet des ressources qui lui restaient. Il pouvait l’occuper sans sacrifier de vies. Il fit signe aux soldats de baisser leurs armes et de reculer. Amerius rangea son revolver, et retira une boule de cire sans gestes brusques.

– Inutile d’en arriver là. Ses hommes sont innocents. Ils sont ces victimes que vous essayez de protéger de la guerre.

– Ce sont les vôtres qui l’ont déclenché.

Amerius ne perdit pas de temps à lui expliquer qu’il avait fui les Basses-Terres, et entra dans son jeu.

– En effet. Sauf que ces soldats n’y sont pour rien. Vous m’avez demandé d’écouter. Faisons cela. Parlons, mais laissez ces hommes s’en aller.

Stanford leur jeta des œillades incertaines, mais puisqu’il ne s’y opposa pas, Amerius ordonna aux siens de regagner la plaine. Lorsque le dernier d’entre eux eut franchi l’onde vibratoire, il détendit ses muscles.

Il prenait un énorme risque. Rien ne lui garantissait que le rocher lunaire pourrait être dégagé, mais chaque minute de plus devenait une chance supplémentaire.

Amerius désigna la machine d’un mouvement de tête.

– Comment cela fonctionne ?

– Ne me prenez pas pour un idiot, siffla Stanford.

Il s’avança.

– J’ai toujours rêvé de ça. Vous et moi, mais où je suis celui en position de force. C’est à cause de vous qu’elle est morte, parce que vous n’avez pas su la protéger.

Amerius se souvint du récit fait à Rosalie par Mona. Comment cette dernière, enfant, était restée des jours sous les décombres, à côté du cadavre de sa mère.

Oui, dans la première réalité, Rosalie avait péri, mais il ne comprenait pas en quoi c’était sa faute. Il jeta un discret coup d’œil à sa montre. Presque douze minutes avaient filé.

– Racontez-moi où j’ai échoué.

– Vous êtes parti en la laissant derrière.

Amerius ne le croyait pas.

– Jamais je n’aurai…

Stanford se saisit de lui par les cheveux et tira pour l’emmener à sa hauteur.

Si.

Son haleine empestait la charogne et le fer rouillé.

– Dans ce cas, articula Amerius par-dessus la douleur, je veux savoir en détail ce qui…

Stanford resserra sa prise.

– Vous n’êtes pas en position de savoir. Je vais vous attacher à ma machine et vous laisser assister au spectacle, avant d’arracher vos membres.

Amerius regarda de nouveau les aiguilles. Treize minutes et vingt-six secondes, et une onde vibratoire toujours présente. Pas question de se laisser torturer. Il laissa Stanford se coller au plus près de lui, et du sable de Lune dans son manteau.

Amerius le frappa au plein plexus. Stanford relâcha sa prise, Amerius lui faucha les jambes. Il s’empara de son revolver et tira, mais la balle fut ralentie par le champ de force, se logeant qu’à peine dans la peau.

Frustré et plein de fureur, il tira deux balles supplémentaires, déterminé à supprimer cet homme qui ne cessait de l’accuser de tous les maux et de menacer des vies. La deuxième balle ricocha, mais la troisième put percer la protection et s’enfoncer dans la jambe de Stanford. Ce dernier rampa vers sa machine et se saisit d’une maigre poignée de sable, qu’il lança sur Amerius en marmonnant. Celui-ci s’écarta pour l’éviter, mais la seconde le toucha de plein fouet. Une décharge électrique la secoua et son arme glissa sur le sol. Stanford se releva et s’en empara, avant de lui rendre son coup. Amerius s’effondra, une balle dans la jambe.

Sa montre s’envola de sa poche, se brisant sur une heure qui resterait à jamais figée. Dix-huit heures neuf. À l’est, les étoiles brillaient.

– Je m’attendais à mieux de la part du bras droit de la reine. Comme quoi, un stupide amendement peut changer beaucoup de choses.

– Ou empêcher certains de se prendre pour plus forts et de terroriser les autres.

En réponse, Stanford appuya du talon sur sa jambe blessé. Amerius hurla. Il se sentait idiot, idiot et faible, à s’être fait vaincre aussi facilement. Il aurait dû désobéir aux ordres de Galicie et abattre ce type quand il en avait eu l’occasion.

L’espoir lui revint quand plus loin, venu du bord du plateau, un vague halo argenté se manifesta. Stanford sourit d’un air carnassier, dévoilant deux rangées de dents jaunies.

– Je vais te…

Il fut interrompu par l’appel de son nom. Surpris, il releva la tête vers la porte du toit. Amerius se contorsionna dans la même direction, avant de blêmir. Son instinct ne l’avait pas trompé. Le pire qu’il pouvait imaginer venait de se produire.

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