Chapitre 45 * (- 2)

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***

On avait appliqué un baume cicatrisant sur les lèvres de Rosalie. Vidée et inquiète, elle avait refusé de bouger du pied de la falaise. Ce fut la reine qui vint à sa rencontre, un pot d’onguent à la main. Sans dire un mot, elle avait appliqué le produit sur les doigts et les lèvres meurtries de Rosalie, trop anéantie pour s’en rendre vraiment compte.

– Il reviendra, fit la reine.

Rosalie releva la tête. Galicie VII s’était assisse en tailleur face à elle, et s’occupait de sa main gauche.

– S’il y a bien quelqu’un pour réussir et s’en sortir, c’est Amerius, ajouta-t-elle.

Sa voix tremblait.

– Et s’il ne revient pas ?

La reine suspendit son geste, avant de le reprendre avec maladresse.

– Alors j’irai cueillir moi-même cet enfoiré, murmura-t-elle.

Les blessures de Rosalie soignées, Galicie VII se leva et lui tendit une main.

– Il compte sur nous pour dégager ce rocher. Allons rejoindre mes hommes.

Rosalie ne comprit pas de suite que cette main lui était destinée. Elle donna finalement la sienne en retour, et se laissa tirer vers le haut. Galicie se précipita la première vers la grotte. Elle menait avançait avec prudence, redoutant un nouvel éboulement.

Rosalie la suivit, le regard rivé vers le plateau à plusieurs mètres de hauteur, dans l’espoir d’apercevoir Amerius. Le brouillard camouflait tout, et l’onde vibratoire bloquait le son.

Et si Maguel les avait déjà tous massacrés ? Rosalie retint la nausée que l’angoisse lui provoquait. Il ne restait pas beaucoup de temps, l’air devenait encore plus glacial à mesure que la nuit avançait. La silhouette de la Lune était même visible au travers des nuages.

Rosalie remonta les derniers mètres du sentier avec une lenteur insupportable. Les quelques soldats avaient retiré les débris plus petits, et entouraient maintenant le bloc obstruant l’entrée de la grotte. Ils tentaient de le pousser, mais leurs visages blêmes trahissaient les blessures du précédent combat contre Maguel. Davantage en état, Galicie les seconda. Motivés par la présence de leur reine et ses encouragements, les soldats redoublèrent d’ardeur, mais le bloc ne bougea que de quelques centimètres.

Galicie poussa un puissant juron. Rosalie avait assisté à la scène sans être utile, sachant très bien que le peu de forces qui lui restait serait bien négligeable.

Elle enragea à la seule vue de ce bloc. Il n’y avait que lui entre elle et le rocher lunaire, mais impossible de s’en défaire ! Rosalie réfléchissait à un sort magiterien quand son regard accrocha l’espace laissé par le bloc. Un étroit boyau permettait de rejoindre l’intérieur de la grotte. Avec sa silhouette fine, Rosalie pouvait passer. Elle en informa Galicie.

– À quoi bon ? lui répondit-elle. Le rocher lunaire restera bloqué dedans.

– Sauf si j’en détache un morceau.

Il s’écoulerait plusieurs minutes avant que le toucher humain ne le souille pour de bon et ne lui fasse perdre une partie de sa magie. Rosalie avait vu ses ancêtres le faire.

Le regard de Galicie dériva jusqu’au sommet de la falaise.

– Faite vite.

Rosalie se jeta dans l’ouverture. La reine et les soldats utilisèrent leurs dernières forces pour lui dégager un peu plus d’espace. Rosalie poussa de toutes ses forces sur ses coudes, au mépris de la roche qui lui broyait la hanche et des gravillons lui écorchant les mains.

Son cri de victoire résonna dans la grotte. Elle se releva, poussée par une énergie puisée sans qu’elle sache où et comment.

Les secousses avaient endommagé la caverne. Le matériel gisait au sol, brisé par les tables renversées. Les toiles de tente béaient, déchirées par les débris de falaises. Une lampe-tempête avait survécu, projetant un maigre éclat.

Rosalie se précipita vers le rocher, priant pour qu’il ait tenu bon, car il était leur dernière chance. Elle souleva le drap avec empressement, au point de batailler avec les nœuds qui se formaient. Le soulagement lui fit tourner la tête. Le rocher allait bien. Il vibrait de magie, et semblait n’attendre que de s’échapper pour se baigner sous les rayons lunaires.

Dans le charriot, Rosalie trouva des outils de taille. Elle eut peur de toucher au rocher, mais son séjour parmi ses ancêtres lui avait montré comment procéder pour en extraire une partie sans dommage pour la Lune originelle. Elle plaça le burin dans une fente naturelle, là où la roche était le plus fragile, et tapa délicatement à l’aide du marteau. Ses hésitations lui firent perdre du temps, mais au final, un morceau gros comme ses deux mains réunies se décrocha. Elle toucha le rocher, mais il vibrait toujours, sa magie intacte.

Après avoir de nouveau rampée sur le sol, Rosalie ressortit de la caverne. Le soulagement de Galicie fut de courte durée. Elle regarda le morceau, puis la falaise, et fronça les sourcils.

– Elle est encore là.

Sa voix n’avait été qu’un souffle rauque, découragé par l’échec. Rosalie refusa d’y croire. Elle serra le bout de roche contre sa poitrine. La Lune ne pouvait pas l’avoir abandonné, pas après l’avoir attendue tous ces siècles. Elle le colla contre la falaise. Un peu plus haut, l’onde vibratoire sembla diminuer en intensité.

Détaché du rocher-mère, le rayon d’action du morceau devenait faible.

– Il faut l’amener là-haut.

Rosalie n’attendit pas que Galicie lui dise quoi faire. Elle se précipita vers la plaine. La reine lui cria quelque chose, mais Rosalie grimpait déjà le chemin suivant, portée par l’espoir et l’adrénaline. L’onde vibratoire dangereuse s’écartait sur son chemin, repoussé par le rocher lunaire.

Un coup de tonnerre perça soudain la barrière d’ondes. Surprise, Rosalie trébucha, puis comprit qu’on avait tiré avec un revolver. Elle se releva, les muscles réveillés par l’adrénaline.

Au même moment, des soldats dévalèrent le chemin en sens inverse. Rosalie ne les évita que de peu, et aucun ne fit attention à elle. Elle en revanche, vit qui manquait à l’appel.

Amerius n’était pas avec le groupe. Il était resté sur place, pour distraire Maguel Stanford. Il allait se faire tuer. Maguel ne supporterait pas de le savoir en vie. Rosalie ne le laisserait pas causer davantage de tort.

La première fois qu’elle avait cherché à parler à Maguel, Mona s’était interposée. Cette fois, personne ne l’en empêcherait. Il l’écouterait, il ne lui ferait pas de mal.

Lorsque Rosalie s’engagea sur le plateau, le vent lui gifla le visage. Elle grelottait, mais ne referma pas son manteau, gênée par le gilet de cuir qui lui enserrait le buste. Elle se contenta de serrer davantage le rocher, qui la guidait de sa douce lueur argentée.

Rosalie distingua un dialogue par-dessus le brouillard. Quelques pas plus tard, elle vit Maguel, penché au-dessus d’Amerius. Le sang des deux hommes coulait sur le sol, se mélangeant pour former une aquarelle écarlate.

– Maguel !

Son appel avait distrait l’homme. Il se détourna de son prisonnier pour la regarder. Rosalie lui rendit son examen, se refusant à croiser les yeux terrorisés d’Amerius.

– Rose, murmura Maguel.

– C’est bien moi. Tu ne voudrais pas qu’on discute ?

Il s’éloigna d’Amerius et fit un pas vers elle.

– Rose, répéta-t-il. C’est dangereux de rester là. Il y a un Bas-Terrien juste à côté de nous.

Rosalie regarda Amerius, qui venait de se redresser, une grimace sur le visage.

– Je sais, mais je devais te parler.

Il ne répondit pas, mais ses sourcils décharnés se froncèrent.

– Rose ?

– Oui Maguel, c’est moi.

Il perdait pied, mais elle devait continuer de le distraire, tant qu’Amerius ne pouvait pas l’atteindre. Elle serra les poings et se maudit de ne pas avoir pris d’arme. Elle aurait dû, pour tuer Maguel. Il était une menace, et elle voulait le supprimer, tant qu’elle le pouvait, juste pour être certaine que ce soit fait.

L’attention de Maguel se reporta soudain sur le morceau contre sa poitrine.

– Qu’est-ce que c’est ?

Derrière lui, Amerius se releva. Sans un bruit, il tendit la main vers son épée, le regard fixé sur Maguel. Rosalie devait continuer à le distraire.

– C’est un cadeau, dit-elle.

Lui confier la répugnait. Elle ne voulait pas que ses mains salies de sang effleurent la Lune, mais il fallait qu’il soit le plus proche possible.

– Il brille, s’émerveilla Maguel. Cela me donne des idées pour la fabrique, pas toi ?

Rosalie se crispa pour ne pas le frapper. L’entendre dire cela l’ébranlait. Il lui avait déjà pris Alizée et June, et maintenant, il voulait la Lune ?

Elle regarda par-dessus son épaule pour croiser le regard d’Amerius. Il avait ramassé son épée, et s’efforçait de traîner sa jambe derrière lui.

Dépêche-toi, supplia-t-elle. Tue-le avant que je ne perde le contrôle, avant qu’il ne touche le rocher.

Elle n’arriverait pas à lutter sans aide. Maguel tendit les mains, attiré par l’éclat d’argent, déjà affaibli. Rosalie fit mine de reculer.

– Donne-le moi, ordonna Maguel. Je le veux.

– Non.

C’était le mot à ne pas prononcer. Elle ne le regretta pas. Il ne devait pas toucher la Lune. Il l’avait assez rendue impure par ses armes.

Maguel ne l’entendit pas de cette oreille.

– Donne-le moi !

Rosalie s’écarta pour l’en empêcher. Au même moment, Amerius cria et s’élança sur lui. Rosalie entendit Amerius crier. Maguel se retourna vers lui. Il affichait un air serein, tandis que l’épée visait sa poitrine. Il grimaça lorsqu’il comprit que sa protection ne fonctionnait plus.

La lame s’enfonça dans son buste, au moment où le rocher perdait pour de bon son éclat. Rosalie crut voir une équation dorée illuminer le crâne de Maguel, mais si elle avait existé, elle s’était dissipée.

Maguel s’effondra, du sang au coin des lèvres. Il ne chercha pas à lutter, sans pour autant paraitre délivrer de sa souffrance. Sans doute que ce genre n’arrivait que dans les histoires. Dans la réalité, le monstre ne désirait pas que la mort l’emporte ou lui fasse prendre conscience de ses erreurs.

Il se contenta de dévisager Rosalie. Un geste qui n’échappa pas à Amerius. Il posa son pied sur sa poitrine ouverte et appuya. Maguel retint une légère grimace, à peine gêné.

– Tu n’y arriveras pas, lâcha Amerius. Ton objectif ne s’accomplira jamais.

Maguel lui sourit.

– Ha… tu parles des Basses-Terres. Oui. Il ne s’accomplira pas. J’irai au bout de mon but.

Malgré ses paroles contradictoires, un éclat de conscience traversa son regard. Rosalie frissonna, prête à supplier Amerius ne lui couper la tête pour être certaine de sa fin. Son propre excès de folie ne dura pas.

Les paupières de Maguel se refermèrent soudain, comme celles d’une Poupée éteinte.

Un fourmillement grouilla sur l’omoplate gauche de Rosalie. L’espace d’un instant, elle craint que la mort de Maguel n’entraîne la sienne. Elle respirait pourtant encore.

Amerius retira son pied. Sa botte était tachée de sang. Il releva la tête vers Rosalie, qui le fixa en retour. Un bref instant, l’incertitude flotta entre eux. Puis ils réalisèrent que c’était bien fini. Amerius laissa tomber son épée et la prit dans ses bras. Elle s’accrocha à lui, mais ses yeux restaient rivés sur Maguel.

Plus loin, des éclats de voix retentirent. Des silhouettes coururent vers eux, menées vers Galicie.

– Il est mort ?

Amerius hocha la tête. La reine parut un instant contrariée, peut-être par le fait qu’elle ne pourrait pas l’interroger. Rosalie se fichait bien des informations qu’il détenait encore.

Elle et Amerius étaient tous les deux en vie. Elle ne demandait rien d’autre.

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