Chapitre 46 *

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Palais royal, 13h41, 14 de jerve de l’an 1901

Au matin, la Cie-Ordalie s’apprêtait à fêter une première victoire, celle contre Maguel. Quelques heures plus tard, une missive en annonçait une possible seconde.

Rosalie se reposait dans la chambre d’Amerius. Son corps malmené lui paraissait rouillé et pesant, mais quitter le lit s’avérait une nécessité plus pressante. Elle tolérait simplement mal de rester inactive. Elle ressortit de la salle de bain, lavé du sang séché encore accroché à sa peau, quand Amerius la rejoignit. S’il lui sourit, un air préoccupé empêchait son visage d’être serein.

– Les Basses-Terres ont répondu, annonça-t-il.

– Elles viennent ?

Rosalie s’approcha de lui et prit sa main dans la sienne.

– Est-ce que ton… Ergueï sera là ? À moins qu’il ne soit du jour à n’envoyer que des sous-fifres ?

Amerius rit jaune.

– Non. Il se doute bien que si l’Union lui envoie cet ultimatum, c’est qu’elle a les moyens de le faire. Il ne résistera pas à l’envie de montrer qu’il est le plus fort. Il ne doit juste pas savoir que Maguel est déjà mort.

– Je ne vois pas comment, assura Rosalie.

Suite à sa défaite, il avait été récupéré en toute discrétion. Les troupes témoins de sa mort se reposaient dans une base militaire, avec interdiction d’en sortir ou de communiquer avec l’extérieur jusqu’à la reddition des Basses-Terres. Galicie espérait éviter la moindre fuite.

Galicie que Rosalie n’avait pas revue depuis la fin de l’affrontement. Elle ne l’avait qu’entendue, et à la manière dont la reine hurlait, la visite des Basses-Terres l’angoissait plus qu’elle ne voulait l’avouer.

La mort de Maguel devait également la contrarier. À défaut de l’interroger, Galicie avait fait conserver le corps. À lui seul, il renfermait sans doute de nombreux secrets de magie industrielle qu’elle avait l’intention de découvrir. Maguel reposait dans une cellule de prison, surveillée par un garde, malgré son décès avéré.

Une disparition que Rosalie devait annoncer à Mona. Malgré leur différent, elle tenait à le faire elle-même. Elle mit de l’ordre dans ses cheveux mouillés, et renoua son chignon.

Amerius l’embrassa pour lui souhaiter bonne chance, bien qu’il en ait plus besoin qu’elle. Ils cheminèrent ensemble dans une partie du palais, jusqu’à devoir se séparer. Rosalie regarda Amerius disparaître au détour d’un couloir. Puis elle gagna les jardins, en direction de la prison.

Le gel recouvrait les végétaux, les figeant telles des peintures. Il craquait sous les bottines de Rosalie, emmitouflée dans son épais manteau. Elle marchait lentement, redoutant d’entrer dans la prison. Comment annoncer à Mona que son père n’était plus ? Les choses avaient dégénéré entre eux, mais Rosalie restait persuadée que Mona continuait d’aimer son père.

Rosalie s’arrêta soudain, à quelques pas de la prison. Elle aurait voulu trouver une fleur. Chez les BasRose, il était de coutume d’en offrir des blanches aux proches d’une personne décédée. En fouillant les alentours du regard, elle finit par apercevoir une serre. Les jardiniers ne lui en voudraient pas si elle prenait quelque chose.

Elle remonta l’allée et ouvrit la porte. À l’intérieur, des roses s’épanouissaient par centaines, leurs pétales de toutes les nuances chaudes qui existaient.

Rosalie dénicha un buisson de fleurs blanches. Elle choisit la plus pure qu’elle trouvât, d’un blanc aussi immaculé que Mona. Elle la coupa avec soin, en veillant à ne pas se piquer avec les épines.

Elle regagna ensuite la prison, le cœur toujours aussi lourd.

Mona gisait au fond de sa cellule, le regard vide. Il se ralluma lorsqu’elle vit Rosalie, et esquissa un sourire. Celui-ci se fana. Mona venait d’apercevoir la rose dans sa main.

La gorge de Rosalie se noua. Lui dire la vérité à voix haute serait superflu. Il n’était pas non plus question de mentir. Elle resta là, à attendre que Mona lui pose la question.

Son amie desserra les lèvres. Des perles d’eau brillaient au coin de ses yeux.

– Quand ? Comment ?

– Hier. Il était trop dangereux.

C’était un monstre et une menace.

Des mots que Rosalie garda pour elle. Un sanglot échappa à Mona. Son visage aux joues mouillées se durcit.

– Qui ? siffla-t-elle. C’est Karfekov, pas vrai ?

Rosalie resserra sa main sur la rose. Mona exprimait encore sa haine envers Amerius, une rage qu’elle ne s’expliquait pas.

– Peu importe. Maguel n’est plus, je suis désolée.

– Non, tu ne l’es pas. Mais merci.

Mona disait la vérité. Rosalie ne regrettait pas la disparition de Maguel. Comme la veille, son omoplate la démangea.

– Je veux le voir, exigea Mona.

Rosalie ouvrit des yeux ronds.

– Je… je ne sais pas si je peux.

Elle ne parlait pas uniquement d’autorisation, mais de capacité émotionnelle. Elle serait tenue d’accompagner Mona, que tout le monde refusait d’approcher, et craignait de revoir Maguel. Qu’elle se soit trompée et qu’il respire encore.

Mona donna un coup contre les barreaux avec sa chaîne.

– Je veux le voir !

Un spasme agita la main de Rosalie. Elle se piqua sur une épine, mais n’essuya pas le sang qui coulait sur son doigt. C’était une mauvaise idée, pourtant elle céda.

– Je vais voir ce que je peux faire.

Après une longue négociation avec le capitaine de la prison, Rosalie eut l’autorisation de mener Mona à son père. La garder en vie dans un cercle de confinement était un problème, mais elle trouva une solution. Elle grava les équations sur le plateau d’un chariot de manutention. La chaîne de Mona fut attachée à la poignée, puis elle s’installa en tailleur sur le plateau.

En le poussant, Rosalie se rendit compte à quel point son amie s’avérait légère. Était-ce à cause de son corps artificiel ? S’avérait-il vide du moindre organe pour n’être que du bois creux ?

Le court trajet jusqu’à la cellule de Maguel se fit en silence, uniquement rythmé par les pas du garde sur le dallage, et le grincement des roues. Rosalie n’avait pas envie de parler. Elle se contenta de pousser et d’avancer, la rose toujours coincée entre ses doigts.

Ils remontèrent l’allée de cellules jusqu’à une grande porte en métal à double battant. Le garde la déverrouilla et l’ouvrit.

– Vous avez dix minutes.

Rosalie le remercia et poussa le charriot.

Son omoplate recommença à la démanger.

***

Malgré le froid qui enveloppait le port royal, Amerius refusa de rentrer dans l’abri. Debout au milieu du ponton, il fixait l’horizon à la recherche d’une tache sombre, celle du bateau Bas-Terrien. Le message indiquait que la frégate avait quitté le port au lever du soleil. Elle serait là d’une minute à l’autre.

L’ensemble des représentants de l’Union patientaient avec lui, bien qu’ils aient l’intelligence de rester au chaud. Amerius aurait dû les imiter, mais il ne sentait plus le froid.

Le bois du ponton craqua soudain derrière lui. Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qui venait.

– Je crois ne t’avoir jamais vu aussi angoissé, remarqua Galicie. Bien qu’on ne puisse pas dire que tu t’agites beaucoup.

Elle vint se poster à ses côtés. Ils regardèrent la mer s’agiter, portant avec elle l’odeur du salin. Cela rappela leur enfance à Amerius, quand il venait d’arriver en Cie-Ordalie, déposé dans cet immense palais comme un trophée. Il passait son temps à la bibliothèque, refugié dans les livres. Galicie le rejoignait et s’installait sur le fauteuil voisin, imitant sa position. Une communication silencieuse s’installait entre eux. Ils apprenaient à se connaitre par les titres de leurs ouvrages, la manière dont ils en tournaient les pages.

Malgré leur histoire d’adolescence ratée, ils avaient su conserver ce lien.

Galicie se tourna vers lui.

– Le royaume de Jade a été prévenu. Il ne fait pas partie de l’Union, mais sa frontière avec les Basses-Terres en fait une cible. L’ambassadeur du Prince est en chemin depuis le palais.

Cette nouvelle fut de bon augure. Si l’Union impliquait un autre état, cela signifiait qu’elle ne laisserait pas les Basses-Terres périr, car le Jade pourrait se constituer témoin de crime de guerre.

Les minutes s’écoulèrent sans nouvelles. L’ambassadeur du royaume de Jade se présenta au moment où l’horloge de la tour de guet sonna quatorze heures. L’instant suivant, la vigie signala un bateau aux voiles frappées d’un cercle rouge et d’un triangle sombre.

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