Chapitre 47 * (- 1)

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Port royal, 14h01, 14 de jerve de l’an 1901

Le bateau Bas-Terrien était davantage destiné à parader qu’à voguer sur les mers. Le bois sombre laqué de feuilles dorées devait facilement se tacher de sel, et rarement quitter son emplacement portuaire. La coque n’était pourtant pas rongée de coquillages, sans doute arrachés chaque jour par des ouvriers, de même que les dorures devaient être nettoyées.

La frégate se plaça le plus loin possible des autres navires déjà ancrés dans la baie. Elle était accompagnée de bateaux militaires, plus petits, mais tout aussi sombres, qui la serrèrent de près sur les côtés de sorte à la protéger, en veillant à lui laisser assez d’espace pour un départ rapide.

Ergueï Alenov venait d’avouer son implication – car Amerius n’en doutait pas, son père était venu en personne. Galicie lui avait proposé de ne pas assister à l’échange, mais il avait refusé. À ses yeux, Ergueï ne représentait plus rien, et si la présence de son fils pouvait le déstabiliser, ce serait un avantage. De quoi semer également la discorde parmi ceux qui l’accompagnaient, puisqu’Amerius était censé avoir été abattu en même temps que Diëtri Karfekov.

Des soldats Bas-Terriens se déployèrent sur le quai, alignés dos au bateau. Un geste d’intimidation qu’Amerius jugea inutile et grossier.

La rampe fut déployée alors que Galicie s’avançait vers les visiteurs, escortée de ses propres combattants. Resté près de l’abri, Amerius vit Ergueï descendre sans se presser, avec un regard sans aucun doute méprisant pour ce qui l’entourait.

Les représentants de l’Union le saluèrent avant d’ouvrir la voie vers le bâtiment accueillant les invités. Il n’était censé être qu’une étape avant l’arrivée officielle au palais. Un privilège dont les Basses-Terres ne bénéficieraient pas.

Ergueï était suivi de deux autres hommes, mais lorsque des soldats firent mine de l’accompagner, ceux de Galicie firent barrage. Le cheminement du groupe repris sans heurt, Amerius se détourna. Il se rendit en salle de réunion et s’installa à sa place, à la gauche de Galicie, attendant en compagnie d’un avocat de l’Union, et de la fille du roi Chamdor.

Les portes de la salle s’ouvrirent quelques minutes plus tard. Les dirigeants entrèrent les premiers, suivis des Bas-Terriens. Les soldats refermèrent la porte, tandis que deux d’entre eux l’encadrèrent depuis l’intérieur de la salle.

Ergueï fut prié de s’installer face aux membres de l’Union. Amerius ne le regarda pas, concentré d’abord sur les gardes du corps. Mais il vint un moment où leurs regards durent se croiser.

Amerius eut la satisfaction inattendue de voir son père sursauter avant de détourner les yeux. Les Bas-Terriens qui l’accompagnaient avaient eu aussi remarqué Amerius, et échangèrent une œillade interrogative dans le dos de leur dictateur.

Les membres de l’Union se firent plus discrets, à l’exception du Monarque Edmé, dont le visage se tourna ostensiblement vers Amerius, puis Ergueï, avec un reniflement dédaigneux.

Car le visage du fils était celui du père. Amerius avait tout hérité de lui. Son géniteur avait les yeux à peine plus grands, et la mâchoire un peu plus dessinée. Avec amertume, Amerius songea que c’était là l’apparence qu’il aurait dans vingt ans, parcourue de rides et les cheveux teintés de blanc, et cela le contrariait davantage qu’il ne l’aurait cru.

– Asseyez-vous, Dirigeant Alenov, fit le roi Chamdor.

Prudent, Ergueï obéit. Il attendait de connaître ses adversaires et leurs raisons. Un despote apprenait très tôt à savoir quand s’imposer et quand patienter.

Il retira son manteau, dévoilant le sobre costume écarlate, uniforme de l’élite Bas-Terrienne.

– Puisque vous êtes présent, continua le roi Chamdor, j’en déduis que vous prenez la menace au sérieux.

– Quelle menace ?

Amerius n’avait pas entendu sa voix depuis vingt-quatre ans. Ce détail aussi, les deux hommes le partageaient. Le timbre d’Ergueï était à peine plus grave que le sien.

– Maguel Stanford, répliqua Galicie. Un citoyen Cie-Ordalien qui vous avez tenté d’emmener contre sa volonté.

L’Union avait donc choisi une confrontation directe. Ils ne perdaient pas de temps en tentant de piéger Ergueï. Un choix risqué, puisque sans preuve, ce serait leur parole contre celle du Dirigeant, mais Maguel Stanford était une menace assez sérieuse pour que la méthode porte ses fruits.

– Les Basses-Terres n’ont jamais eu affaire à cet homme.

– Vous savez très bien que si. Et il a juré de se venger en rasant votre pays. Chose que vous pouvez éviter en choisissant de collaborer.

Galicie adressa un signe de tête à la fille du roi Chamdor. La princesse Anne fit glisser le document vers Ergueï, qui le prit sans se presser ou s’émouvoir. Il le lut avant de le laisser retomber sur la table.

– Tentative d’enlèvement et crime en bande organisée avec des citoyens de l’Union ? Je réfute ses accusations.

– Que vous les réfutiez ou non ne change rien à la situation, clama l’ambassadrice d’Eyraulte. Maguel vous menace et nous vous donnons l’opportunité de protéger votre peuple.

– Les Basses-Terres n’ont pas besoin de l’aide de l’Union pour veiller sur sa population.

Ergueï n’avouerait jamais. Amerius l’imaginait volontiers laisser son peuple se faire tuer si cela pouvait sauver sa misérable vie.

Pour le confronter, ils n’avaient pourtant besoin que d’un élément prouvant le lien entre Stanford et les Basses-Terres. Quelque chose certifiant qu’il leur aurait été utile.

Amerius se rappela soudain que cette preuve existait. Il l’avait su, dans une autre réalité, lorsque lui et Rosalie s’étaient introduit dans la prison Bas-Terrienne. Il se souvenait des mots de Maguel à propos de la formule du matériau lunaire. Qu’il n’était là que pour la compléter, parce que le Basses-Terres en possédaient déjà une partie – peut-être volée, peut-être donnée par Astrasel Noé avant son assassinat, peu importait.

– Et d’abord, de quel moyen pourrait disposer l’Union que nous n’avons pas ?

– La magie industrielle.

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