Chapitre 47 * (- 2)

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L’intervention d’Amerius jeta un froid. Ergueï se tourna vers lui, le regard rempli d’orages.

– Vraiment ?

Galicie n’était pas intervenue pour démentir Amerius. Elle lui faisait confiance et savait que s’il prenait la parole, c’était pour une bonne raison. Elle avait dû convaincre les autres de se taire, parce qu’aucun n’intervint.

– Les Basses-Terres n’ont en aucun cas l’envie de recevoir une aide la sorte. La magie est un fléau destiné à faire paresser l’homme, et rien ne pourra jamais remplacer le travail acharné et le savoir-faire de nos concitoyens.

– Vous avez pourtant lu la missive gravée que nous avons envoyée. Des missives dont il faut éveiller une autre partie de l’équation pour qu’elles révèlent le message contenu. Cela prouve donc que vous avez déjà touché à cette magie.

– Évidemment. Comment saurais-je autrement quel fléau elle représente ?

– Savoir lire et interpréter une équation peut demander des années de pratique. Ce n’est pas à la portée du premier venu.

Ergueï remua sur son siège et le pli de ses lèvres eut un tic agacé. L’orgueil, le point commun de tous les manipulateurs et dictateurs.

– Mais j’ai su relever le défi, répondit l’homme.

Amerius avait entendu la retenue dans sa voix. Ergueï ne s’était pas attendu à devoir évoquer ce sujet.

– Dans ce cas, permettez-moi de vous montrer… (Il fit signe à la princesse Anne de lui donner une feuille et un stylo.) Avec quelle équation nous envisageons de protéger les Basses-Terres.

La formule de l’équation lunaire était une chose complexe. Lorsqu’Amerius avait eu l’opportunité de l’étudier, il s’était trouvé face à une énigme, mais à force de patience il avait pu en tirer une logique. La formule ne comportait que des éléments qui lui étaient uniques, mais d’une telle simplicité une fois séparés qu’un débutant pouvait en comprendre une partie, si tant est qu’il sût où les diviser.

L’équation n’était donc compréhensible que par quelqu’un l’ayant étudiée. Amerius griffonna un morceau de la formule sur le papier. L’orgueil de son père ferait le reste.

– Ceci est une formule d’absorption de l’énergie. Nous nous en servons pour récupérer le rayonnement solaire, transformé ensuite en électricité. Nous l’avons simplement modifié de sorte à pouvoir résister à l’impact d’une explosion.

Ergueï récupéra la feuille, avant de s’esclaffer.

– Vous n’êtes pas du métier, je me trompe ? Un installateur, peut-être ?

Amerius s’efforça d’avoir l’air déçu.

– Comment le savez-vous ?

– Parce que vous n’avez pas lu la formule correctement. Elle ne sert pas à absorber et transformer l’énergie, mais à la restituer par ondes, de quoi rendre la force de l’impact, mais sous forme de goutte à goutte.

Il jeta la feuille sous le nez du jeune homme.

– Vous me prenez pour un idiot ? Vous essayez de me faire passer pour un incapable qui aurait besoin d’autrui pour s’en sortir !

L’ambassadrice d’Eyraulte fit mine d’intervenir, mais Galicie l’en empêcha d’une main sur son bras, des gestes qu’Ergueï n’avait pas remarqués.

– Sauf que cette équation est unique en son genre, fit Amerius.

– Et alors ? Cela ne la rend pas davantage…

– Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Il récupéra la feuille et la leva pour qu’Ergueï puisse la voir, véritablement.

– Vous ne la reconnaissez pas ?

L’homme lui jeta un regard venimeux. Mais un de ceux qui l’accompagnaient venait de blêmir.

– Cette équation, continua Amerius, est en fait incomplète. Elle appartient à un ensemble bien plus grand. Plus précisément, à une formule permettait de transformer la roche lunaire en énergie.

Ergueï venait d’appuyer son menton dans sa main, dont les doigts se resserrèrent autour de ses joues.

Un peu plus loin sur sa gauche, le Monarque Edmé s’était penché en avant, intéressé, quand l’avocat se préparait déjà à modifier le document rédigé plus tôt.

– La particularité de cette formule, c’est que seuls ceux qui l’ont étudié peuvent en comprendre les termes. Ce qui signifie que vous l’avez fait. Or, cette formule a été imaginée par Astrasel Noé et Maguel Stanford. Il se trouve aussi qu’elle fait l’objet d’une clause de non-divulgation, ce qui signifie que le seul moyen pour vous de l’avoir eu en votre possession est de l’avoir dérobé illégalement à la Cie-Ordalie.

Le silence s’abattit dans la pièce. Le Monarque Edmé se laissa retomber contre son dossier.

– Vous n’avez aucune preuve, siffla Ergueï.

– En fait, si, intervint Galicie. Les études de la formule se trouvent en Cie-Ordalie, où elles ont été authentifiées. Il y a même la signature d’Astrasel Noé au bas des feuilles. Un ordre de ma part et une missive gravée sera envoyée au palais royal, avant de m’être retournée avec les preuves nécessaires. Je crois que cela suffit pour établir votre lien avec Maguel Stanford, en plus d’ajouter « espionnage industriel » et « vol de biens d’état étranger » aux chefs d’accusation.

L’homme retira sa main de son visage. Son poing serré vint se poser sur la table. Il ne prit pas le risque de s’enfoncer davantage.

– Je crains que vous n’ayez qu’une manière de vous en sortir.

Galicie lui tendit le tout nouveau document rédigé par l’avocat. Ergueï pivota vers ses deux hommes, mais ils avaient perdu leurs sourires suffisants. Ils se détournèrent de leur dirigeant.

– Le contrat stipule que tout témoignage à l’encontre d’Ergueï Alenov vous donne droit à une protection, ajouta le roi Chamdor en les regardant.

L’un d’eux hocha discrètement la tête.

Galicie posa la feuille devant Ergueï.

– Signez.

L’homme s’empara du stylo, avec hésitation. Il devait peiner à croire qu’il assistait bien à la réalité des faits. Voilà comment son règne despotique allait s’achever, non pas par une guerre engendrant mort et destruction, non pas dans un vacarme épouvantable. Mais dans une salle, sur une île étrangère, par le biais d’une signature au bas d’une feuille.

Il n’avait aucun moyen de s’échapper. Et il ne mettrait certainement pas fin à ses jours. S’il tombait, son empire tomberait avec lui.

Amerius songea à ce qu’il venait de se passer. Il avait défait son père, s’était vengé de lui, et de ce qu’il avait fait à sa mère et son grand-père. Non pas avec une balle dans le cœur, comme il en avait parfois rêvé, mais avec ce qui lui était venu en aide à l’époque où il se sentait perdu. La magie industrielle.

Ergueï posa la pointe du stylo sur le document. En seulement deux tours de poignets, ses initiales mirent fin à l’existence des Basses-Terres.

Galicie s’empressa de récupérer la feuille et de la tendre à la princesse Anne, qui la fit approuver et authentifier, par elle-même et ses collègues. Le document passa ensuite de main en main, jusqu’à ce que tout le monde ait signé, même Amerius.

La reine exigea ensuite la même chose des deux autres Bas-Terriens.

– Vous pouvez garder le stylo.

Elle fit signe aux soldats d’escorter Ergueï Alenov dans une pièce sécurisée.

– Arrêtez également l’ensemble des soldats présents, et empêchez les départs des bateaux, ajouta le Monarque Edmé.

Les soldats se saisirent chacun d’un bras d’Ergueï, contraint de se lever. Galicie ouvrit l’un des battants de la porte, tandis qu’un des gardes se saisissait de l’autre.

La reine se figea soudain. Entre les corps aux gorges tranchées des combattants, se dressait une Poupée, une dague encore ruisselante de sang entre les mains. Elle leva l’autre bras, dévoilant un revolver.

– Galicie !

Amerius se saisit d’elle pour la tirer en arrière. Mais ce n’était pas elle que la Poupée visait. Elle tira, envoyant la balle éclater le cœur d’Ergueï.

L’homme n’était pas mort que la Poupée se tourna vers Amerius. Son bras tenant le pistolet tomba en cendres, mais la main munie du poignard fonça sur lui. La lame lui effleura la joue alors qu’il s’écartait. Il leva sa canne et frappa la Poupée au visage.

Sa mâchoire s’envola dans un nuage de cendre. Son expression demeura neutre, pourtant, elle sembla pousser un hurlement de désespoir.

Elle acheva de se dissiper, jusqu’à ce que la poussière disparaisse à son tour. Le silence tomba dans la pièce, les représentants s’étaient agglutinés dans le fond, laissant Amerius et Galicie face à la Poupée.

– Amerius ?

Celui-ci ne releva pas la tête vers Galicie. Son regard resta fixé sur le sol, là où se trouvait la Poupée à peine quelques minutes plus tôt. Stanford l’avait envoyé pour le tuer, lui et Ergueï, ses ennemis attitrés.

Amerius ne comprenait pas son acte. Il parvint enfin à se détourner du sol, sans pour autant réagir. Il réfléchissait, tandis que Galicie parlait, à d’autres que lui.

S’il s’agissait de la dernière Poupée de Stanford, l’amener à ce moment précis lui avait permis d’assassiner à la fois père et fils, bien qu’Amerius ait survécu.

Sauf que Stanford était mort, il gisait au fond d’une cellule, sans vie. Comment pouvait-il savoir à quoi ressemblait le futur ? Au moment de son décès, un doute avait saisi Amerius, qui l’avait balayé, le prenant pour une conséquence de l’émotion.

Dans la mesure où il ignorait l’existence du rocher lunaire, Stanford aurait pu garder sa Poupée pour sauver sa vie, au lieu de quoi il l’avait gaspillé pour une vengeance.

Amerius se mordit l’intérieur de la joue. Cela ne collait pas. Stanford avait plus que prouvé son intelligence, il avait agi en ayant une autre idée en tête, une solution de secours.

« J’irai au bout de mon but. » avait-il dit.

Les Basses-Terres ne constituaient qu’une étape, ce n’était pas pour elles que Stanford faisait tout cela, son objectif avait toujours été autre.

Rosalie.

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