Chapitre 49 * (- 1)

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Siège de La Bulle Mécanique, 14h23, 14 de jerve l'an 1901

L’odeur d’eau rouillée réveilla Rosalie.

Le sol froid et humide sous sa joue lui arracha un frisson. Elle eut un spasme qui acheva de la ramener à la conscience. Paniquée, Rosalie se redressa un poussant un cri étranglé. Le souffle court, elle regarda son poignet tremblant. Des marques violacées striaient sa peau, telles de nouvelles taches de vin. Le bout de ses doigts engourdis était glacé, et il lui semblait que sa main ne pourrait plus jamais être réchauffée.

Elle s’en préoccuperait plus tard. La priorité était la fuite. Rosalie releva la tête, essayant de se repérer dans la pièce sombre où Maguel l’avait laissée. Elle n’eut besoin que de quelques instants pour la reconnaitre.

« Revenons là où tout a commencé. »

La Bulle Mécanique.

Il l’avait amenée ici, dans la réserve, dont Rosalie reconnaissait les étagères branlantes de jouets. Cela aussi, il voulait se l’attribuer. Elle frappa le sol de ses poings, constatant qu’il lui restât encore de la haine à donner à Maguel. Pire que cela même. De la répugnance, du dégoût, tous les mots qui pouvaient exister étaient pour lui.

Cette fois, elle ne garderait pas ses sentiments pour elle. Rosalie se releva et fit un pas. Son front buta soudain contre une surface dure. Elle cria, la main sur le visage. Courbée en deux de rage et de douleur, elle se redressa l’instant suivant, empli d’incompréhension.

Des barreaux venaient d’apparaitre devant elle. Des équations inconnues s’alignaient sur leur hauteur. Rosalie crut comprendre qu’ils pouvaient se camoufler dans leur environnement, en plus d’être faits de métal inflexible. Se camoufler. Pourquoi ? Maguel la prenait-il donc pour un animal, à qui il ne fallait pas révéler sa captivité ? C’était pourtant bien ce qu’elle était. Contre le mur, les barreaux formaient un demi-cercle tout juste assez large pour qu’elle s’allonge à l’intérieur.

Rosalie les frappa de sa main toujours gelée.

– MAGUEL !

Son hurlement lui brûla la gorge, ce qui ne l’empêcha pas de recommencer. Au troisième, la porte de la réserve grinça enfin. Elle l’entendit approcher, traverser la réserve d’un pas lent et grinçant. Une attente insupportable. Lorsque sa silhouette se découpa enfin entre les étagères face à Rosalie, elle songea qu’il le faisait exprès. Encore quelques mètres, et elle put distinguer son visage, si proche des barreaux et pourtant inatteignable.

– Toi, cracha-t-elle. Bon sang, mais vas-tu te décider à me laisser en paix ?!

Il afficha l’air penaud d’un enfant. Penaud. Alors qu’elle se trouvait enfermée.

– Je regrette, ma Rose, mais je dois…

– « Je, je, je »… Il n’y a pas que toi dans cette histoire ! Je te demande de me relâcher !

– Mais si je…

– Ferme-la !

Elle refusait de le laisser parler, que le dernier mot soit pour lui.

– Ouvre cette porte. Que crois-tu qu’il puisse se passer, Maguel ? Que je vais te suivre et que nous allons vivre heureux ? Après ça ?

– Bien sûr ! Les Basses-Terres ne sont plus un problème. Plus rien ni personne ne se mettra entre nous.

Cette dernière phrase glaça Rosalie. Maguel prétendait que tout danger était écarté, or, il n’y avait pas que les Basses-Terres qu’il considérait comme tels.

– Maguel. Qu’est-ce que tu as fait ? Qui… qui est mort ?

Ne le dis pas, ne le dis pas !

Il afficha un sourire ravi, sans doute à cause de sa déduction.

– J’ai envoyé ma dernière Poupée tuer ce qu’il restait de la famille Bas-Terrienne.

La poitrine de Rosalie lui fit mal.

– La fam… Amerius ?

– Il ne nous embêtera plus, assura Maguel.

Rosalie souhaita que ses organes mécaniques se grippent.

Non, en fait elle ne le croyait pas. Amerius ne pouvait pas mourir, pas après tout ce qu’ils venaient de traverser. Pas comme ça. Pas de la main de June ou Alizée.

– Tu mens.

Maguel souffla par le nez.

– Rose, je fais cela pour t’aider. Je crois que tu as besoin de te reposer. Je reviendrai plus tard.

– Attends ! Comment ça ? Qu’est-ce que tu pars faire ?

– Je vais protéger cet endroit. Il ne me reste que mes mains et un scalpel, mais je peux encore nous protéger.

Il tourna les talons sans la regarder.

– Maguel, attends !

Il allait la laisser seule ici, comme un chien dans une cage. Qui savait s’il n’allait pas l’oublier, qu’elle n’allait pas mourir de faim !

– Reviens !

La porte de la réserve se referma dans un claquement. Elle le suppliait pour rien, et se maudit de l'avoir fait, de l'avoir vu comme un sauveur, même un bref instant.

Sa détresse ne dura pas, déjà remplacée par la détermination.

Elle refusait d'attendre que Maguel change d'avis ou qu'on vienne la chercher. Elle se libérerait seule.

Mais comment ? Ses armes s'avéraient réduites. Sur le terrain de la magie industrielle, Maguel la battait largement, et il faudrait des heures à Rosalie pour graver des équations capables de l'aider. Quant à la magie de Terre, elle n'était pas faite pour se battre.

Les espoirs de Rosalie auraient dû fondre. Elle refusa cependant d'abandonner et se laissa glisser au sol. Le dos appuyé contre le mur poisseux, elle ferma les yeux pour s'astreindre au calme.

Les idées fusaient dans son esprit, de la plus enfantine à celle impossible à réaliser.

Rien ne convenait.

L'énervement lui donna chaud. Elle se décolla du mur et se débarrassa de son manteau. Elle le jeta au sol, puis se figea.

La rose dont Mona n'avait pas voulu se trouvait encore dans sa poche intérieure. Les pétales s'étaient pliés, mais tenaient toujours. Rosalie s'en empara.

De toutes les fleurs utilisées en magie, celle–ci était l'une des plus prisées. Aussi belle que dangereuse, aussi puissante que difficile à maîtriser. Les sortilèges possibles s'avéraient nombreux, tout en étant peu utilisés.

Ses parents avaient nommé Rosalie ainsi pour qu'elle soit celle qui choisisse son futur, plutôt qu'il ne décide à sa place. Comme s'ils avaient pressenti qu'elle serait différente.

Rosalie rapprocha la rose de son visage pour mieux la regarder. Puis elle observa les barreaux, où brillaient les équations.

Si ni la magie industrielle ni celle de Terre ne fonctionnaient, sans doute que la solution résidait dans une troisième voie.

Les deux magies avaient fait partie de sa vie, sans qu’elle ne veuille jamais les associer, semblable au soleil qui ne rencontrait jamais la Lune.

Il était peut-être temps de les réunir.

Fébrile, Rosalie fouilla les poches de mon manteau à la recherche d'un stylo. Elle en conservait toujours un sur elle, pour noter les idées qui fusaient au mauvais moment.

Elle posa le stylo et la rose côte à côte sur le sol. Au travers de sa prison, elle regarda la réserve, son sol inégal et les gouttes d'eau rouillée sur les murs.

Cet endroit était le sien. Elle connaissait chacun des jouets parcourant les étagères. Maguel voulait la Bulle, alors la Bulle se défendrait.

Les roses servaient surtout à influencer les autres, à prendre le contrôle de leurs sentiments, pour de brefs instants seulement.

Certaines équations pouvaient faire de même avec des objets, en les forçant à adopter un autre comportement. Encore une fois, l'effet ne durait pas, car imprévisible et destiné aux urgences, mais Rosalie n'avait besoin que de quelques minutes. Juste le temps de surprendre Maguel et le déstabiliser. L'immobiliser serait alors facile.

Puis elle le tuerait, cette fois pour de bon. Il n'y avait pas d'autre solution.

Rosalie se saisit du stylo et entreprit de recouvrir les pétales blancs d'encre noire.

Elle devait écrire lentement, sans trop appuyer pour ne pas déchirer les fibres, mais assez pour que l'encre les marque. Plusieurs pétales se déchirèrent, qu'elle arracha avec un grognement frustré.

Pour ne pas rompre l'équation, elle devait écrire des signes à même le cœur de la rose. Entre ses doigts, le stylo lui paraissait énorme, les signes tracés bavaient, lui faisant craindre l'échec de son sortilège.

À mi-chemin, elle fit une pause pour soulager sa nuque et son dos contractés. Ses mains piquetées de sang tremblaient sous l'effort, ses yeux brûlaient. Elle touchait au but, avec l'impression de tout restait à faire, et elle faillit se laisser entraîner par sa précipitation.

Quand la formule au complet recouvrit enfin les pétales, Rosalie laissa tomber le stylo au sol. Son souffle était aussi court que si elle avait couru.

Elle s'accorda le temps de se calmer. Elle retira le bouton de rose de sa tige, et plia cette dernière pour former un anneau qu'elle enroula autour de son cou. À l'aide de son ruban à cheveux, Rosalie maintient la tige serrée. Les épines lui griffaient la peau, sans qu'elle ne ressente la douleur.

La rose serrée dans sa main, Rosalie se releva. Ne lui restait plus qu'à faire venir Maguel.

Elle poussa un hurlement né du fond de sa poitrine. Son pied frappa les barreaux au point de les faire trembler. Sa voix menaçait de se briser et ses muscles de céder, mais elle n'arrêtait pas tant que Maguel ne serait pas là !

Au bout d'un moment interminable, Rosalie crut entendre des bruits de pas par-dessus son vacarme. Elle se tut et approcha la rose de ses lèvres.

La porte de la réserve s'ouvrit à la volée.

– Rose ! Pourquoi cris tu ? Tu as fait un cauchemar ?

Ho que oui, mais je compte bien me réveiller.

Rosalie ouvrit la bouche et y fourra la rose. Elle se dépêcha de mâcher les pétales, jusqu'à manquer de s'étouffer. Les fibres collaient à son palais, mais elle se retint de tousser.

Maguel se rapprochait, il fallait que le sortilège qu'elle se récitait soit achevé. Elle inspira une misérable goulée d'air et continua de mâcher. Le goût sucré de la fleur devint écœurant, l'encre coulait dans sa gorge.

– Rose ?

Maguel se tenait à quelques pas de la cellule. Rosalie acheva de broyer les derniers pétales et se figea, la mâchoire contractée.

Maguel continua de s'avancer, sans précipitation. Il l'observait comme on le faisait d'un animal sauvage.

Approche. Encore. Plus près.

Il s'immobilisa face aux barreaux. Une poignée de centimètres les séparaient, à peine plus que le bouton de la rose. Rosalie le regarda dans les yeux, des yeux bleus comme la glace, qu’elle trouvait splendides, même s’ils n’exprimaient plus rien.

Elle se pencha vers lui, avec l'air de vouloir lui murmurer un secret. Il l'imita.

– Qu'est-ce qu'il y a ? chuchota-t-il.

Rosalie avala les pétales.

Alors qu'une fumée épaisse envahissait sa bouche, elle entrouvrit les lèvres face aux barreaux.

– Tombez.

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