Chapitre -- * (- 1)
Première réalité, 13h23, 3 occibre de l’an 1909
Dans le quartier industriel d’Annatapolis, à seulement un kilomètre de la mer, se dressait une bâtisse à la façade rose. Le bâtiment se prolongeait jusqu’aux falaises, exhibant son toit courbé au-dessus des usines voisines.
Rosalie s’avança jusqu’à la fabrique, d’un pas las. La porte à double battant demeurait fermée, des traces de poussière sur sa surface de verre. Les fleurs en pot qui ceignaient l’allée n’avaient pas été arrosées depuis longtemps et commençaient à dépérir.
Sans Maguel, Rosalie n’avait su tenir la fabrique. Avec la menace de la guerre, acheter des jouets n’était plus une priorité, et la Bulle, comme tant d’autres entreprises, ne tournait plus qu’au ralenti. Si Rosalie dirigeait la fabrique, Maguel en étant le responsable financier. Le moindre chèque qui entrait ou sortait passait par lui, ce qu’il ne concevait plus comme une priorité.
Ce n’était pourtant pas ce qu’il lui avait promis, des années plus tôt.
– Tu aimes cette fabrique ?
C’était la question que lui avait posée Maguel, à peine quelques jours avant leur mariage.
– Comment le sais-tu ?
Il lui sourit, de cet air malicieux qu’elle trouvait si adorable.
– Tu la regardes chaque fois que l’on revient de la mer.
Rosalie haussa les épaules, un peu gênée.
– C’est vrai. Parfois, je me dis que j’aimerai partager mes petites June et Alizée avec d’autres.
– Ça n’a rien de stupide.
Maguel enroula son bras autour de sa taille.
– Tu crois au destin ?
– Tu sais bien que non.
– Et pourtant ! Tu étais destinée à me rencontrer !
Confuse, elle fronça les sourcils. Sa curiosité fut d’autant plus grande lorsqu’il lui tendit une feuille de papier pliée.
– Tu m’as déjà demandée en mariage, se moqua-t-elle.
Elle se saisit du papier et le déplia. Ses yeux lurent les mots tapés à la machine, mais son esprit mit du temps à comprendre.
– Qu’est-ce que cela signifie ?
Du bras, il désigna la fabrique, dont l’enseigne défraîchie ne laissait plus deviner l’ancien nom.
– Tu vas devoir te mettre à croire en le destin. Parce que cet endroit est mon héritage, et désormais le nôtre.
Il lui offrit les clés de La Bulle Mécanique le jour de leur mariage.
Tout cela remontait à des années, mais Rosalie ne pouvait s’empêcher de pleurer. Elle avait cru en Maguel, et voici comment elle en était récompensée. Elle étouffa ses sanglots et se détourna.
L’avenir ne s’avérait pas sombre pour autant.
Il lui suffisait de se défaire de ce qui la retenait en arrière.
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