Chap 1

5 minutes de lecture

Pschiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit !

— C’est bon, c’est bon, j’ai entendu, t’es ouvert. Maintenant, tu m’arrêtes ce potin !

Tout en repoussant le couvercle récalcitrant, Raoul enjambe le bord du sarcophage et s’essaie à la position verticale pour la première fois depuis...

— Hé, Zébulon ! Depuis combien de temps que j’suis en cryo ?

— Si Zébulon est le nom que Monsieur a choisi de donner à son ordinateur de bord, je suppose que votre requête s’adresse à moi ?

— Commence pas à faire ta mijaurée et réponds à ma question.

— Deux ans, six mois, vingt-huit jours et ...

— Ouaah putaingue, ça fait une paye ! Pas étonnant que j’me trimballe une telle envie de pisser !

— Même après cette longue période d’absence, je constate avec plaisir que Monsieur a conservé toute sa délicatesse...

Les yeux encore à moitié fermés, l’air hagard et la plante des pieds douloureuse, Raoul se dirige tant bien que mal vers la salle de récup du vaisseau spatial.

— Bon, pour le café, t’as fait des progrès pendant mon sommeil ?

— Pour la énième fois, je signale à Monsieur que ma synthèse de l’arôme café est impeccable. Nous avons juste un problème d’eau. À force d’être recyclée et recyclée, elle garde un arrière-goût qu’il m’est difficile d’éliminer. De toute façon, tant que vous n’êtes pas sorti de la salle de bains, je n’ai pas les moyens matériels de faire couler un café.

Nu comme au jour de sa sortie d’éprouvette, Raoul s’installe à califourchon sur le recycleur tous produits. Tout en refaisant le plein d’eau du vaisseau, il observe son reflet dans un miroir minuscule. Des yeux caves, une pâleur de cadavre, une barbe hirsute et une tignasse peignée façon dessous-de-bras. Heureusement pour les autres, il est seul à bord du vaisseau.

— Au fait, c’est quoi le truc à explorer ce coup-ci ?

— Planète type "U" (comme dirait un enfant à l’odorat délicat), secteur 3.1416 de la Galaxie, atmosphère respirable et eau à profusion.

— Ça, c’est une bonne nouvelle, répond Raoul, au bord de l’évanouissement après avoir reniflé sous son aisselle droite.

Attendant que sa vessie finisse de se vider, il contemple l’extrémité de ses doigts.

— C’est dingue, je me demande comment je fais pour avoir les ongles aussi noirs.

— L’explication est simple, il semble que pendant son sommeil, Monsieur se gratte.

Ses sommaires ablutions terminées, Raoul se dirige vers la kitchenette du vaisseau.

— C’est quoi ce foutoir ? T’aurais pu faire un peu de ménage pendant mon sommeil.

À chaque fois, c’est le même scénario, notre héros a une telle peur de rester coincé dans le congélateur-cryo qu’il ne se décide à y entrer que légèrement euphorique. Manifestement, lors de la dernière préparation-au-sommeil, il a dépassé la dose prescrite.

— Que Monsieur me pardonne, mais les bras d’une intelligence artificielle sont un peu courts pour nettoyer la pagaille laissée lors de, je cite, « l’enterrement de la vie de spationaute » de Monsieur. Je peux, par contre, synthétiser un objet révolutionnaire pour ce genre de travail.

Avec un plop ! de bon aloi, un parallélépipède bi-composant - frot-frot d’un côté/grat-grat de l’autre - jaillit du synthétiseur neutronique. Raoul s’empare de l'objet de haute technologie et, sans même consulter le mode d'emploi, commence à nettoyer les traces peu ragoûtantes.

— Dis-donc, elle est habitée par une race évoluée ta nouvelle planète ?

— L’option est en cours de vérification. Par mesure de sécurité, nous sommes arrivés dans l’axe du pôle Nord et entreprenons une exploration en spirale... Mais jusqu’à maintenant, pas de trace de polluants dans la haute atmosphère, pas de trace de déforestation ; la couche d’ozone est immaculée (comme dirait Marie en regardant Gabriel s’enfuir à tire-d’aile), les cours d’eau sont limpides et l’air contient un taux de CO2 normal. En résumé, pas le moindre signe d’une activité intelligente...

— Tant mieux, avec leur stupide loi galac-éthique, nous serions obligés d’abandonner l’exploiration si la présence d’une peuplade évoluée était confirmée.

— Il me semble pourtant que sur la dernière planète visitée, il existait toute une population ayant atteint le stade de la construction. Cela n’a pas empêché le pillage des ressources locales et la disparition du peuple en question.

— Allons, allons... N’exagère pas. Appeler « construction » quelques huttes en torchis, faut pas pousser ! Puis, tu as vu comme moi la tête de ces créatures. Franchement, comment croire que la nature ait pu mettre une âme, surtout bonne, dans un corps tout bleu ? Et pour finir, ce n’est quand même pas ma faute si ces êtres se sont découverts allergiques aux gaz d’échappement du vaisseau... Allez, changeons de sujet, fais-moi plutôt visiter ce nouveau caillou. J’attends tes images sur l’écran holo.

Après un soupir d’un milliardième de seconde, mais très réprobateur, Zébulon puise dans ses archives tout un savoir-faire de cinéaste et commence à mettre en scène la rotondité contrastée de la planète.

Au premier plan, défile une sylve luxuriante, donnant l’impression de survoler un brocoli en rase-mottes. Çà et là percent de petits lacs, dont l’eau turquoise s’évapore en nuages cotonneux. À l’approche du vaisseau, un brouillard de volatiles multicolores jaillit du sommet de la canopée, poussières scintillantes dans le soleil. La visite s’accélère, en bordure d’une mer rose bonbon, la forêt est brusquement coupée par une large bande de sable bleu-pétrole. Désert ondoyant sous la poussée d’une multitude de dunes arrondies. L’immense cuillère du vent a prélevé de goulus morceaux dans certaines d’entre elles et découvert l’ombre cachée sous le sable.

La scène prend de la hauteur, embrasse l’horizon, tandis que le soleil déclinant allume en taches irisées la mousse sommant les vagues sans fin. Soudain, la queue d’un animal marin explose la surface des eaux, feuille d'une plante grasse démesurée un instant en équilibre à la limite des flots, pour disparaître en une gerbe d’écume, éclats de forge dans les rayons argentés du couchant.

Imperceptiblement les eaux s’estompent, occultées par des brumes en formation. La mer devient si chargée de nuages qu’on la devine à peine rejoindre les eaux douces d’un delta. L’embouchure s'étrécit en un fleuve imposant et scinde par le milieu une immense plaine littorale. De part et d’autre une herbe mauve se densifie et se transforme en un tapis ondoyant et continu. Le vaisseau remonte le cours d’eau. Le paysage se bossèle. D’abord timides, les ondulations du sol prennent de l’ampleur, deviennent collines voluptueuses, croupes parcourues par le frisson perpétuel de l’herbe en mouvement.

La plaine se resserre entre deux chaînes montagneuses, ombrées par un soleil de plus en plus bas. Par de nombreuses trouées caracolent des rios venant se joindre au fleuve. La vitesse du travelling semble inverser le cours de l’eau. L'illusion que les eaux escaladent les deux versants du val, que par leur fuite vers l'amont elles vident le fleuve pour venir le faire mourir, réduit à un simple ruisseau, au pied d’un immense glacier. Soudain, un ultime rayon de lumière accroche la surface liquide. Le temps d’un clignement d’œil le fleuve se transforme en éclair argenté, zigzaguant depuis la mer pour venir silencieusement frapper sa propre source.

Puis, par-delà un pic enneigé, la vision bascule dans la nuit. Le vaisseau accélère sa rotation autour de la planète pour, très vite, rallumer le soleil. Les paysages se succèdent jusqu’à ...

— Zébulon, on va se faire des couilles en or avec cette planète. Au fait, mon café-spatial est prêt ?

— Voilà, voilà... « Plop ! », servi sur sa soucoupe. Oh, je viens juste de repérer un cours d’eau assez profond pour cacher le vaisseau. On va s’installer dans le secteur et Monsieur pourra faire une sortie.

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