Chapitre 14
Heureuse d’avoir eu un message de Nicolas, Solène avait décidé de marquer le coup. Aussi se présenta-t-elle à lui sur la place Jules Guesde dans une robe pull épousant élégamment ses courbes, d’où tombaient des collants pour disparaître dans ses bottines. Sa veste en cuir la couvrait de la fraîcheur automnale.
L’Ukrainien la contempla, immobile devant la porte d’Aix, le visage figé, les sourcils haussés, les yeux ébahis derrière ses lunettes. Il reprit vite ses esprits pour échanger deux bises avec elle, puis passa délicatement sa main dans ses cheveux soyeux.
– T’as l’art de me clouer au sol à chaque fois que je te vois, toi… nota-t-il, la faisant rire. Comment tu vas ?
– Très bien, merci ! Super contente de te revoir ! Et toi ?
– Ça va aussi. Vraiment désolé qu’on n’ait pas pu se voir avant, j’étais occupé. Comment était la soirée de mardi ? J’aurais bien aimé pouvoir y être, c’est dommage… Mais bon, j’avais l’anniversaire de Raph qui tombait le même jour, je ne pouvais pas lui faire faux bond.
« Raph », ou Raphaël… elle se souvenait bien de lui : son ami programmeur qui avait signé la mise en page de son site. Elle balaya ses excuses d’un revers de la main. Elle concevait parfaitement qu’il eût ses amis qui demeuraient sa priorité, pour le moment. Mais tout ça lui importait peu, maintenant. Enchantée de le revoir, elle ne demandait qu’à profiter de la journée avec lui.
– Dis-moi plutôt où on va, aujourd’hui, lui enjoignit-elle.
Nicolas sourit et fouilla dans sa poche, pour en ressortir le poing fermé. Solène haussa un sourcil.
– Je t’emmène quelque part pour fêter un événement spécial.
– Ah ?
– Oui. C’est ton anniversaire, aujourd’hui, non ?
Les joues rouges, elle hocha timidement la tête.
– Oui. Enfin… c’est le 15 novembre, mais je serai dans ma famille, ce jour-là. Comment tu le sais ?
– On est amis sur les réseaux sociaux, je te rappelle. Donc, à moins que tu aies mis une fausse date de naissance… j’avais une chance sur deux. Du coup, comme je me doutais que dimanche, tu serais chez toi, j’ai préféré qu’on se voie aujourd’hui, en espérant que tu aies du temps à me consacrer.
La jeune femme resta silencieuse, le regardant dans les yeux sans pouvoir se départir de son sourire. Béate.
– D’accord… et donc ? Je peux savoir où tu m’emmènes ?
Le slave tendit la main devant lui, paume vers le ciel, et ouvrit les doigts pour lui montrer deux billets de cinéma. Elle prit l’un des deux pour l’examiner, surprise, et leva les yeux vers lui.
– Je t’invite au cinéma. On va voir Seul sur Mars, The Martian, en anglais. En version originale sous-titrée, bien sûr. J’ai pris ce risque en sachant que tu parles allemand, ce qui veut dire que tu t’intéresse aux langues. Donc, je suppose que ça ne te gênera pas, en toute logique.
– Non… bredouilla-t-elle. Pas du tout. T’as bien fait.
Solène contempla son billet, la gorge nouée, clignant plusieurs fois des paupières pour éliminer les picotements de ses yeux.
– Bon. Alors, viens avec moi maintenant. La séance commence bientôt.
***
Ils ressortirent dans la nuit deux heures et demie plus tard, le bras enroulé autour du dos l’un de l’autre.
– Alors ? s’enquit Nicolas.
Solène tourna la tête vers lui, les yeux coruscants de mille étoiles.
– C’était génial, répondit-elle. Et très touchant. J’ai trouvé l’histoire très belle, et puis le héros est vraiment très doué, je trouve. Je n’aurais même pas fait le quart de ce qu’il a su faire… et je n’aurais pas tenu une journée.
– Oui. Bon, après, il faut dire qu’il a eu quelques aides scénaristiques, aussi. Et puis, c’est de la science-fiction.
– En tout cas… psychologiquement, ça a dû être vraiment très éprouvant. Moi-même, qui m’y connais un peu, j’aurais rapidement pété les plombs. C’est invivable, comme situation. J’ose même pas imaginer la puissance de ce qu’il a dû ressentir à la fin du film, c’était tellement intense…
Nicolas sourit, aux anges. En son for intérieur, conscient que la science-fiction ne faisait pas l’unanimité malgré sa popularité, il avait redouté de la voir en ressortir déçue… Mais, bien au contraire, ça lui avait plu. Beaucoup plu.
Tout en profitant de la fraîcheur de la nuit, ils continuèrent à parler du film jusqu’à leur arrivée à la résidence de la germanophone. Ils s’arrêtèrent devant le portail.
– Bon… voilà. Très joyeux anniversaire, Solène.
Comblée, elle lui offrit un regard nimbé de gratitude et de tendresse.
– Merci, Nicolas. J’ai passé une super soirée, vraiment. Ce voyage dans l’espace était génial.
– Tant mieux. Je suis vraiment content que ça t’ait plu.
– T’as mis la barre haute pour moi.
– Tu as toute l’année pour y réfléchir. J’ai fêté mes 21 ans en octobre.
– C’est vrai ? Mais pourquoi tu l’as pas dit ?
– Personne ne me l’a demandé.
– C’est quoi, cette excuse en papier bulle… soupira-t-elle.
Elle baissa les yeux. Surpris, Nicolas la regarda d’un air soucieux.
– Dis… tu aurais fait la même chose pour moi ?
– Je n’en sais rien, j’avoue… fit-il avec un sourire taquin, tu sais, moi, Mars…
– Enfoiré…
La psychologue lui donna une tape sur l’épaule. Le slave posa ses mains de chaque côté de sa taille en plongeant son regard dans le sien.
– Ils sont allés sur Mars ; pour toi, je serais allé jusqu’à Jupiter.
Elle murmura un « wow » avant d’accueillir son baiser. Ses bras s’enroulèrent autour de son cou. Pendant ce qui leur sembla une délicieuse éternité, chacun savoura la douceur tiède des lèvres de l’autre. Inlassablement.
Enfin, Nicolas s’écarta de quelques centimètres, et la regarda rouvrir les yeux. Son regard irradiait, intense. Pour lui seul.
Il posa une main sur sa joue.
– Passe une bonne nuit, ma Martienne. Et prends bien soin de toi. À bientôt.
– À très bientôt.
Solène posa à son tour sa main sur sa joue et lui offrit un tendre baiser en retour, auquel il répondit avec le même entrain. Puis il s’éloigna.
Le jeune homme ne se retourna que quand elle disparut dans sa résidence.
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